Accompagnés par des chercheurs et différents experts, plus de 500 étudiants de l’école de commerce KEDGE Business School ont planché sur le thème de l’égalité des sexes dans le monde professionnel. Après un long travail de diagnostic, ils se sont engagés dans une démarche prospective visant à imaginer l’évolution des rapports de genre d’ici à 2050. Publié en septembre dernier, ce travail, baptisé « 2050, une France (du travail) toujours sexiste ? » avait pour objectif de « les former, en tant que futurs managers, pour anticiper les futurs possibles et être en capacité de prendre des décisions », commente Céline Hay, directrice du Programme Grande Ecole de KEDGE.
Cette étude, qui invite à un changement de paradigme pour construire un avenir professionnel plus juste et inclusif, se veut également une base de réflexion pour les décideurs politiques, les entreprises, et tous ceux qui sont engagés dans la lutte pour l’égalité des sexes.
Leurs propositions concrètes
Lorsque le sujet leur a été soumis, raconte Céline Hay, nombre d’étudiants pensaient « que beaucoup de choses ont été faites en la matière et ne voyaient pas bien ce qu’ils pouvaient apporter de plus ». Ils ont toutefois changé d’optique, une fois le constat de la situation actuelle, dressé (lire encadré : Les données qui les ont interpellés…). Ils ont réalisé qu’« il y a, en réalité, encore beaucoup à faire, et pas uniquement du côté de l’entreprise », commente Céline Hay. « Il faut agir dès la petite enfance, au niveau de l’éducation, car on encourage des stéréotypes de genre dès le plus jeune âge, mais aussi à des moments qui viennent jalonner la vie d’une femme tels la parentalité, qui est un catalyseur de ces inégalités ».
L’étude propose donc des solutions concrètes pour réduire les inégalités de genre, en travaillant sur les trois éléments forts considérés ici comme à la racine des inégalités : « le contexte professionnel en lui-même, l’éducation dès l’école primaire et, troisième jalon, la parentalité », liste Céline Hay, en considérant « deux variable qui influencent les conditions d’égalité homme/femmes de manière assez forte : les conditions matérielles d’existence et les mécanismes de solidarité ».
Les étudiants proposent ainsi de repenser la parentalité, « catalyseur central des inégalités professionnelles » et prônent « l’égalisation des congés parentaux pour éviter que les femmes ne soient pénalisées dans leur progression de carrière ». Les auteurs de l’étude pointent que « des entreprises pionnières ont déjà mis en place des congés parentaux équivalents », mais, regrettent que « ces initiatives restent rares » et estiment qu’elles « nécessitent un soutien plus large ».
Nos chercheurs en herbe proposent aussi de travailler sur l’éducation et les stéréotypes de genre : l’ouvrage recommande « des actions dès l’éducation pour déconstruire les stéréotypes de genre, notamment à travers des programmes scolaires égalitaires et des formations pour les personnels éducatifs ». Selon eux, il conviendrait également de repositionner la femme au cœur de l’Histoire et des manuels scolaires, dont elles sont quelque peu oubliées.
Afin de jouer sur l’égalité des sexes dans le milieu professionnel, ils préconisent « des pratiques de transparence sur les salaires et la mise en place de quotas de parité dans les postes de direction ». Ils insistent également sur « la nécessité de revaloriser symboliquement et économiquement les métiers souvent occupés par des femmes, tels que les métiers du soin ou l’aide à la personne, afin de lutter contre la ségrégation professionnelle et les bas salaires dans ces secteurs. » Ces initiatives, estiment-ils, « peuvent accélérer l’évolution vers une égalité réelle au sein des entreprises ».
Quatre scenarii envisagés pour 2050
Pour imaginer à quoi ressemblera la place des femmes dans le monde du travail en 2050, les auteurs proposent quatre scénarii possibles, « chacun révélateur des forces en jeu et des leviers de transformation », souligne Céline Hay. Ces quatre hypothèses (lire encadré : Les scenarii envisagés) offrent des trajectoires possibles, allant du scénario de continuité à celui d’une véritable égalité obtenue grâce à une mobilisation collective. L’option une envisage « La société de la lente transformation ». L’option deux, celle d’« Une égalité par la technologie et l’automatisation ». L’option trois est « Un retour en arrière dû à la crise et à la précarisation », et l’option quatre, « L’égalité réelle».
S’il est souhaitable que le scenario gagnant soit celui de l’égalité, il y a fort à parier que ce sera plutôt un scenario intermédiaire qui s’imposera d’ici à 50 ans… celui de la société de la lente transformation. Céline Hay refuse, quant à elle, de se prononcer : « Il n’y a pas de consensus sur le scénario le plus probable, même s’il y en a un qui naturellement me semble plus souhaitable, notamment en tant que femme… »
Encadré 1 – Les scenarii envisagés
La société de la lente transformation. Dans cette première hypothèse, les inégalités de genre diminuent progressivement, mais sans rupture franche. Les changements se font à un rythme lent, portés par des réformes législatives et des actions sociales limitées. Les écarts de rémunération persistent, bien que légèrement réduits, et les femmes continuent à adapter leurs carrières en fonction de leur rôle familial. Les métiers traditionnellement féminins restent sous-valorisés et sous-payés. C’est un scénario d’évolution modérée, où la prise de conscience existe, mais où les structures inégalitaires se maintiennent en partie.
Une égalité par la technologie et l’automatisation. Dans ce scénario, l’automatisation et la robotisation du travail jouent un rôle central dans la réduction des inégalités. Les tâches domestiques et parentales sont largement déléguées à des technologies avancées, ce qui libère les femmes et les hommes des contraintes qui limitent aujourd’hui l’accès à une carrière équitable. L’égalité salariale devient possible grâce à l’effacement de certaines des inégalités traditionnelles liées à la disponibilité pour le travail. Cependant, cette hypothèse soulève des questions éthiques, notamment sur la valeur des métiers de care, principalement féminins, dans un monde dominé par les technologies.
Un retour en arrière dû à la crise et à la précarisation. Ce scénario plus pessimiste imagine une société marquée par des crises économiques et sociales qui renforcent les inégalités. Les efforts pour atteindre l’égalité de genre sont freinés par une précarisation accrue des emplois, et les droits des femmes régressent face à la montée des conservatismes. La parentalité devient un facteur encore plus discriminant, et les femmes sont de plus en plus cantonnées à des rôles de soutien ou à des emplois précaires. Les inégalités salariales et de progression de carrière s’aggravent, et la société revient à des schémas plus traditionnels.
L’égalité réelle grâce à des politiques publiques ambitieuses. Dans cette hypothèse optimiste, l’égalité entre les hommes et les femmes est enfin atteinte grâce à des politiques publiques volontaristes et des réformes structurelles profondes. L’État, en partenariat avec les entreprises, met en place des mesures fortes : congés parentaux équitables, transparence salariale, quotas de parité dans tous les secteurs, et soutien massif aux métiers traditionnellement féminins. Le travail domestique et parental est valorisé, et les femmes accèdent aux mêmes opportunités que les hommes dans tous les domaines professionnels. Ce scénario est celui d’une véritable révolution sociale, où la société dans son ensemble s’engage pour l’égalité.
Encadré 2 – Les données qui les ont interpellés…
Avant de faire des propositions concrètes et de se projeter dans l’avenir, les étudiants ont mené un important travail de recherche pour dresser un constat de la situation actuelles. Voici quelques données, parmi d’autres, qui les ont interpellés :
Inégalités salariales
-En 2021, les femmes dans le secteur privé gagnaient en moyenne 24,4 % de moins que les hommes (source INSEE). Cet écart s’explique en partie par un volume de travail inférieur (les femmes occupent davantage de temps partiel) et une moindre présence dans les postes les plus rémunérateurs.
-À temps de travail égal, les femmes perçoivent 15,5 % de moins que leurs homologues masculins.
-Les inégalités salariales augmentent avec le nombre d’enfants : en 2019, l’écart de salaire en équivalent temps plein entre mères et pères de trois enfants ou plus atteignait 30,9 %.
Impact de la parentalité :
-Les femmes adaptent majoritairement leur carrière au moment de devenir parents. En 2021, elles étaient 10,6 % moins souvent en emploi que les hommes, et 80 % des temps partiels étaient occupés par des femmes.
-Cette réduction de disponibilité pour le travail est un facteur clé dans la limitation de la progression professionnelle des femmes.
Inégalités dans l’éducation :
-Dès l’enfance, des stéréotypes de genre sont perceptibles. Par exemple, dans les manuels scolaires de CP, seulement 3 % des personnages exercent un métier scientifique sont des femmes, tandis que 70 % des personnages féminins sont présentés faisant la cuisine ou le ménage.
-À l’école primaire, les enseignantes et enseignants interagissent 56 % du temps avec les garçons, contre 44 % avec les filles.