(contenu abonné) Alors qu’un récent rapport de la Cour des Comptes interpelle les stations de ski sur la robustesse et la durabilité de leur modèle d’affaires, comment combiner stratégies d’atténuation et d’adaptation ? Comment explorer de nouvelles pistes de développement pour les économies de montagne ?
Le renouveau des territoires de montage passera nécessairement par la diversification d’une économie aujourd’hui trop vulnérable, car trop spécialisée dans le tout-ski ou le tout-tourisme.
Les territoires touristiques, qu’il s’agisse des stations de sports d’hiver mais aussi des destinations estivales ou tropicales, sont parmi les plus exposés aux aléas climatiques. Ils figurent aussi parmi les territoires les moins diversifiés économiquement (donc les moins agiles face à un choc) et les plus dépendants d’une rente touristique qui capte une grande partie du capital humain et financier.
1/ Une économie touristique qui profite peu au territoire
Ce manque de diversité productive dans les territoires touristiques a déjà eu, et depuis de longues années, des conséquences économiques et sociales résumées dans le concept de « fuites économiques », ou dit encore de « seau percé ». En résumé : les retombées économiques du tourisme sont loin d’être automatiques, car les dépenses effectuées localement par les touristes, qui sont la partie émergée de l’iceberg, ne profitent en réalité que dans une petite proportion à l’économie locale. Comme dans un seau percé, ces revenus qui entrent sur le territoire… en ressortent rapidement avec tous les achats réalisés en dehors du territoire.
Une étude menée par UTOPIES en 2017 sur l’économie des territoires de montagne montrait que 73% d’entre eux présentent un effet multiplicateur inférieur à la moyenne nationale, ce qui questionne leur capacité à conserver localement les richesses générées : les stations dépendent de l’extérieur et n’arrivent pas à faire circuler durablement les richesses pour en faire profiter véritablement le territoire.
C’est le cas notamment des stations alpines, qui, bien que présentant des économies attractives, génèrent une production qui ne s’enracine pas suffisamment : les achats des hôtels, logements, restaurants, touristes, équipements et activités de loisirs, … ne trouvent pas de réponses locales, les dépenses « fuitent » du territoire et ne lui profitent pas en conséquence. Un exemple parlant est celui du souvenir à bas prix, produit à l’autre bout du monde, et dont la valeur ne nourrira que très peu à l’économie locale, contrairement à un produit issu de l’artisanat, qui aura soutenu une filière et plusieurs emplois (boissellerie, gastronomie…).
La bonne nouvelle, c’est que les territoires de montagne sont 100% à pouvoir se réinventer, et qu’ils ne partent d’une page blanche !
Certains, comme de nombreuses stations des Pyrénées, disposent même d’un bassin économique relativement dense et complexe, avec une diversité de filières, offrant un vivier local de compétences, d’outils industriel ou de foncier productif précieux pour se réinventer.
2/ Mieux ancrer les filières touristiques
La première étape est de mettre en place des filières locales qui seront soutenues par l’économie touristique de la station, dans les secteurs de l’alimentation, du textile, de l’artisanat, du BTP ou encore de l’énergie, en favorisant un ancrage local et en boostant leur effet multiplicateur.
Cela passe nécessairement par une connexion plus poussée entre les producteurs locaux et les dépenses touristiques, via des politiques d’achats locales. L’implication des touristes dans la consommation locale (labels et marques locales, utilisation des monnaies locales, applications digitales valorisant les offres locales) de même que les solutions de seconde main par définition locales (activités de réemploi d’équipements, vide-grenier professionnels, réparation de matériel…) peuvent également contribuer à renforcer la chaîne d’approvisionnement touristique locale.
3/ Diversifier l’offre touristique et plus largement, l’économie des territoires
Pour faire face aux conditions climatiques incertaines, de nombreux territoires ont engagé le développement d’une activité touristique lissée sur l’année, qui permet également de maximiser l’usage des infrastructures en été. La même stratégie peut être appliquée lors de la saison hivernale, avec une offre alternative au tout ski : randonnée hiver ; VTT ; activités d’hiver alternatives au ski ; escalade et via ferrata ; activités culturelles, en lien avec la nature ; séminaires et vacances au sein des exploitations agricoles… De nouveaux modèles économiques du tourisme, intégrant les enjeux de préservation de la biodiversité, et plus largement des communs écologiques, peuvent également être développés : travail avec les communes forestières, modèles de concession privée articulant mission de préservation, recherche et tourisme, crédits biodiversité…
Quelles que soient les pistes de diversification touristique choisies, il sera difficile de générer un même revenu territorial. Il est donc tout aussi urgent de développer de nouvelles filières, qui renforceront l’autonomie du territoire sur le long terme et émergeront comme relais économiques au tourisme, en s’appuyant sur les ressources et les compétences locales, à l’échelle de la vallée et au-delà.
Ce « redéploiement productif » part du principe que certaines compétences, certaines machines et certaines ressources présentes sur les territoires de montagne peuvent être valorisées pour servir d’autres secteurs proches, essentiels pour l’économie du territoire et ses habitants, mais insuffisamment présents, comme l’agro-alimentaire, l’électronique, la mobilité, la santé, etc. L’exploitation des ressources naturelles ou végétales (« bio-économie ») est par exemple une source de diversification majeure – la production de liqueurs issues de plantes endémiques, comme la Chartreuse ou le Génépi en est un bon exemple. Dans les zones fortement touristiques, ces ressources sont souvent exportées de façon brutes et peu transformées localement (plantes médicinales, …). La valorisation des bio-déchets (café, huiles, déchets de cuisine, …), constitue également une source de diversification productive.
4/ Nouvelles dynamiques territoriales
Comment les acteurs publics ou privés du tourisme peuvent-ils prendre part à cette diversification ? En travaillant activement avec les développeurs économiques pour attirer des entreprises dont les acteurs du tourisme local ont collectivement besoin, en développant des fonds de diversification pour soutenir les entrepreneurs locaux à se lancer (alimenté par un pourcentage des profits touristiques ou des taxes locales spécifiques) ou en intégrant la diversification « amont » dans leur modèle économique. Ainsi le traiteur Zingerman’s a développé depuis 1982, dans un quartier d’Ann Arbor dans le Michigan, un écosystème de 500 emplois avec sa propre ferme et ses propres entreprises – produisant du café, de produits de boulangerie, de la confiserie, de la fromagerie, et même des services aux entreprises.
Les acteurs du tourisme peuvent aussi prendre part à de nouvelles formes de gouvernance locale, en soutenant les pratiques d’écologie industrielle et territoriale (mutualisation ou substitution des ressources humaines ou matérielles, avec d’autres entreprises locales) ou le développement de « coopératives locales de développement touristique » mêlant attractivité touristique et production locale.
Plus qu’un renoncement, le changement climatique ouvre aussi une phase de réinvention collective pour les économies de montagne. Les pistes à explorer sont multiples, mais demandent de mieux comprendre les richesses, parfois insoupçonnées, de l’économie locale.
Annabelle Richard, directrice conseil d’Utopies