Le constat est sans appel, il y a urgence à transformer le modèle alimentaire. A l’échelle planétaire, la production de notre alimentation est responsable de 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et de plus de 70 % de la déforestation (1), tout en étant particulièrement vulnérable. En France les conséquences du changement climatique sur les rendements sont déjà visibles et vont s’amplifier.
La crise que traverse le monde agricole illustre le besoin de coopération entre les acteurs des systèmes alimentaires. Les agriculteurs ne peuvent porter seuls la responsabilité de la transition. A la croisée du tissu agricole et des attentes des consommateurs, les industriels agroalimentaires jouent un rôle décisif lorsque l’on considère qu’en France, l’industrie transforme 70 % de la production agricole (2). Diminution de l’empreinte environnementale des produits, traçabilité, transparence, rémunération juste des producteurs, ou encore amélioration des régimes alimentaires, font partie des enjeux auxquels ils doivent répondre.
4 axes concrets sont ici proposés pour rendre nos systèmes alimentaires compatibles avec un modèle soutenable :
1. Elargir l’action des entreprises agroalimentaires, d’une vision centrée sur le climat vers l’intégration des limites planétaires et de la santé humaine dans la mesure d’impacts et la prise de décision
Aujourd’hui, la transition des entreprises est principalement structurée autour de l’action climatique, mais d’autres enjeux entrent en ligne de compte. A titre d’exemple, l’agriculture est responsable de 4 dépassements de limites planétaires sur 6 (Changement d’usage des sols, érosion de la biodiversité, cycles de l’eau, de l’azote et du phosphore) (3), en même temps qu’explosent les maladies chroniques (multiplication du taux d’obésité par 4 en 30 ans)(4) l’antibiorésistance ou encore le taux de pesticide dans nos aliments. Il est donc essentiel d’avoir une vision et une mesure d’impacts exhaustives.
2. Accélérer le déploiement de pratiques agricoles assurant la protection et la restauration des écosystèmes et de la biodiversité
En tant que décideuses et utilisatrices des matières premières agricoles, les entreprises agroalimentaires ont des effets structurants sur l’agriculture tout particulièrement à travers leurs politiques d’approvisionnement qui constituent un vecteur d’influence et de changement. Encourager l’agriculture régénératrice (approche globale visant à produire et restaurer les écosystèmes en se concentrant sur la régénération des sols, l’augmentation du stockage de carbone et la gestion des ressources) permet également d’améliorer la résilience des systèmes agricoles face aux aléas climatiques et aux risques de transition.
L’agriculture régénératrice repose sur des méthodes d’agroécologie telles que la réduction du travail du sol, la couverture végétale, la diversification des cultures et l’agroforesterie.
Le déploiement massif de ces pratiques ne pourra s’opérer qu’en activant des leviers financiers permettant d’accompagner les agriculteurs dans leur transition et de leur garantir une meilleure rémunération.
3. Faire évoluer les régimes et l’offre alimentaires face à ces enjeux climatiques, environnementaux et nutritionnels
La diversification des cultures, nécessaire à l’adaptation des filières agricoles, requiert en parallèle une évolution des processus industriels et de l’offre alimentaire. Le rééquilibrage de la part du végétal par rapport aux produits animaux, la réduction du gaspillage alimentaire ainsi que la simplification des recettes (nombre d’ingrédients et ultra-transformation) font partie des recommandations clefs des scénarios de transition.
Industriels et distributeurs agroalimentaires structurent les dimensions de l’environnement alimentaire des consommateurs, ce qui leur offre de forts leviers pour sensibiliser et éduquer le consommateur à ces changements souhaitables.
4. Encourager la territorialisation des systèmes alimentaires en favorisant les synergies locales et globales.
L’objectif est d’ancrer les entreprises agroalimentaires mondialisées dans leurs territoires et de favoriser la relocalisation de certaines productions pour améliorer la souveraineté et la sécurité alimentaire, répondre aux enjeux d’emplois locaux, d’approvisionnement, de création et partage de la valeur.
Des chaines de valeurs plus courtes favorisent également le renforcement du lien entre consommateurs et production agricole, indispensable pour restaurer la confiance. Cela permet de développer les démarches collectives de transition et de résilience des filières.
Au-delà de ces leviers, cette transition nécessaire requiert une action collective coordonnée et collaborative impliquant tous les acteurs des filières et où la puissance publique permet une meilleure convergence des politiques agricoles, alimentaires, climatiques, environnementales et de santé. C’est en tous cas le signal envoyé par la nouvelle Stratégie pour l’Alimentation, la Nutrition et le Climat (SNANC) qui détermine les orientations pour une politique de l’alimentation durable moins émettrice et respectueuse de la santé.
Emilie Miege, Manager Expert pour le Pôle d’expertise transition des filières agroalimentaires chez EcoAct
1) Alimentation pour des systèmes durables WWF
2) Ministère de l’Agriculture et de l’alimentation, 2018
3) https://www.stockholmresilience.org/publications/publications/2017-10-31-agriculture-production-as-a-major- driver-of-the-earth-system-exceeding-planetary-boundaries.html
4) https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(23)02750-2/fulltext