18/03/2025

Temps de lecture : 6 min

« 50% du PIB mondial dépend directement de la biodiversité », Olivier Thibault (Office Français de la Biodiversité)

Entre réglementation, stratégies d’entreprise et initiatives locales, Olivier Thibault, directeur général de l’OFB, décrypte pour The Good les leviers d’action pour accélérer la transition et restaurer les écosystèmes.

Alors que le changement climatique occupe le devant de la scène, la biodiversité peine encore à trouver sa place dans les stratégies publiques et privées. Pourtant, ces deux enjeux sont intrinsèquement liés et nécessitent une approche conjointe. Avec la CSRD et la TNFD (Taskforce on Nature-related Financial Disclosures), les entreprises sont désormais appelées à prendre en compte leur impact sur la nature, mais comment éviter une simple mise en conformité et favoriser de véritables engagements ?

Entre réglementation, stratégies d’entreprise et initiatives locales, Olivier Thibault, directeur général de l’OFB, décrypte pour The Good les leviers d’action pour accélérer la transition et restaurer les écosystèmes.

The Good : Alors que la lutte contre le changement climatique est omniprésente, la biodiversité reste parfois en second plan. Comment faire en sorte que ces deux enjeux avancent de concert dans les politiques publiques et les stratégies d’entreprise ?

Olivier Thibault : C’est paradoxal car ces enjeux sont totalement liés. Il est vrai que la lutte contre le changement climatique dispose d’un indicateur simple qui est celui de la tonne de CO2. Si les pertes de biodiversité sont plus complexes à mesurer, c’est pourtant essentiel de porter des efforts sur ce sujet, d’autant que toute action de protection ou de restauration de la biodiversité a des effets rapides et visibles.

Restaurer une zone humide permet par exemple d’atténuer les effets du changement climatique, comme les sécheresses et les inondations par le rôle d’éponge que celle-ci peut jouer. Cet exemple illustre bien la stratégie de l’OFB qui consiste à faire comprendre aux entreprises qu’elles ont aussi un rôle important à jouer.

Alors même que 50% du PIB mondial dépend directement de la biodiversité, la question des dépendances à la nature est une manière très concrète de les pousser à agir en sa faveur. C’est tout le but du programme «Entreprises engagées pour la nature ». Notre conviction est qu’à l’image des solutions fondées sur la nature, les entreprises peuvent s’engager dans ce chemin gagnant – gagnant.

The Good : Avec la CSRD et la TNFD (Taskforce on Nature-related Financial Disclosures), les entreprises doivent désormais intégrer la biodiversité dans leur stratégie. Comment éviter que cela ne se limite à un exercice de conformité et favoriser des engagements réels et mesurables ?

Olivier Thibault : Un rapport de la Banque de France en 2020 révélait que 42 % des actifs des banques françaises sont liés à la nature. Longtemps perçue comme un sujet annexe, le maintien en bon état de la biodiversité est en réalité essentiel à la stabilité économique et sociale. Nous ne parlons pas seulement de protéger des espèces, mais bien de préserver l’habitabilité de notre planète et la résilience des entreprises. Les réglementations récentes comme la CSRD et la TNFD sont une avancée majeure. La CSRD impose à près de 50 000 entreprises européennes de rendre compte de leur impact sur la biodiversité, tandis que la TNFD propose un cadre pour structurer ces informations en direction des investisseurs. Mais se limiter à une approche réglementaire ne suffira pas.

Pour engager des actions concrètes, il faut adopter une approche combinant vision stratégique s’appuyant sur des enjeux forts, rigueur technique et méthodologie robuste. En premier lieux il est important que les entreprises puissent intégrer la biodiversité dans leur stratégie, en s’appuyant sur des référentiels solides comme les Science-Based Targets for Nature (SBTN). Ensuite, elles doivent s’appuyer sur des outils techniques fiables pour évaluer leurs impacts et dépendances. Des méthodologies comme ENCORE ou l’empreinte biodiversité peuvent y aider, et nous allons avec l’ADEME travailler à un Act biodiversité pour aider à l’évaluation.  

La prise de conscience se fait progressivement, notamment à cause des dérégulations climatiques (Sécheresses, incendies…) qui mettent en lumière la vulnérabilité des entreprises face à ces enjeux. Certaines qui n’avaient pas pensé à s’adapter, en subissent de plein fouet les conséquences économiques. À l’inverse, celles qui prennent le virage d’intégrer la biodiversité dès maintenant, seront mieux préparées pour le futur.

The Good : L’Europe vient d’adopter une loi ambitieuse pour restaurer 20% des terres et mers d’ici 2030. Comment cette réglementation va-t-elle transformer les pratiques des entreprises et des collectivités en France ?

Olivier Thibault : Les Etats membres se sont en effet mis d’accord sur un constat simple : la dégradation des écosystèmes ne nous permet plus de nous projeter vers un avenir serein pour nos sociétés. Augmentation des risques sur notre eau potable, notre alimentation, notre santé…. Dès lors, le texte adopté, donne une vision claire de ce que l’on veut restaurer non pas d’ici 2030 mais d’ici 2050 : par exemple 90% des écosystèmes les plus rares ou représentatifs restaurés et des indicateurs qui repartent à la hausse sur la nature en ville, les espaces agricoles ou forestiers, les cours d’eau ou encore les pollinisateurs… Entendons-nous bien, il ne s’agit pas juste de compenser les pertes mais bien de restaurer les écosystèmes de manière additionnelle.

Chaque Etat membre a deux ans pour élaborer son plan national et pour définir les mesures à mettre en place. Il s’agit de mesures concrètes et quantifiables que ce soit sur des pressions, comme réduire une pollution ou des actions directes sur les milieux, comme enlever une épave, remettre en eau une tourbière…

Pour cela, les collectivités, les entreprises, mais également les établissements publics ou la société civile auront tous un rôle à jouer. Ce seront les principaux maîtres d’ouvrage des opérations de restauration. Les collectivités et entreprises ont déjà mené de nombreuses opérations dans la vision intégrée qui est celle du règlement : restaurer un écosystème pour la biodiversité mais aussi pour limiter les risques d’inondations, diminuer la chaleur en ville, permettre la pollinisation des cultures…

Le savoir-faire est là et le modèle qui sera le plus durable sera celui qui garantira des sociétés viables et donc des écosystèmes en bon état. L’OFB est prêt à accompagner ce mouvement.

The Good : Les résistances locales à certains projets environnementaux montrent qu’une transition imposée « d’en haut » ne fonctionne pas toujours. Comment bâtir des solutions co-construites qui soient bénéfiques à la fois pour la nature et les acteurs économiques et sociaux ?

Olivier Thibault : C’est tout à fait vrai. En effet, les nombreux cadres réglementaires qui s’imposent à nous peuvent créer des résistances. C’est pourquoi, l’OFB veut s’appuyer sur les acteurs territoriaux qu’ils s’agissent de collectivités ou d’entreprises pour devenir relais ou ambassadeurs de ces transitions à conduire. C’est le sens des programmes «Engagés pour la nature ».

Nous déployons aussi de nombreuses actions de formation et de sensibilisation à ces questions, nous soutenons de nombreuses démarches de meilleure prise en compte de la nature, par exemple avec le financement d’Atlas de la Biodiversité Communale (ABC) pour que les communes pensent l’aménagement du territoire de demain, ou encore des diagnostics/actions pour que les TPE et PME intègrent mieux la biodiversité à leurs activités et à leur chaîne de valeur. Enfin citons, les Agences Régionales de Biodiversité qui sont pour nous des relais importants et de proximité pour les acteurs qui souhaitent s’engager.

The Good : L’édition 2025 met la nature au cœur du futur. Quels messages clés souhaitez-vous faire passer aux décideurs et au grand public pour accélérer la mobilisation en faveur de la biodiversité ?

Olivier Thibault : Il faut mettre en lumière l’urgence et la nécessité impérieuse d’agir, car nous faisons partie et nous dépendons du vivant. Il faut insister sur le fait que c’est possible, je renvoie aux deux derniers rapports de l’IPBES (le GIEC de la biodiversité) qui invite d’une part à sortir des réponses en silo : dérèglement climatique, effondrement de la biodiversité, accès à l’eau, enjeu d’alimentation et qualité de notre santé sont liés, les réponses sont donc à apporter en même temps à ces 5 défis qui touchent, d’ores et déjà,  50% des habitants de la planète. Et l’IPBES insiste sur le fait qu’il est possible d’agir, et ce, à toutes les échelles.

J’ajoute deux atouts : En matière de biodiversité quand on agit cela se voit, c’est vrai des politiques publiques qui ont eu des résultats (par exemple la protection des rapaces) comme d’action locales (si on met en place la gestion différenciée la diversité de la faune et la flore s’enrichissent)

Mais aussi, la biodiversité émerveille, on peut la voir, la toucher, la sentir, on peut y trouver du bien-être, sachons utiliser cette puissance affective pour donner envie. Bref, allons-y, mobilisons-nous, l’OFB est là pour aider. Protéger la biodiversité c’est préserver notre avenir.

En résumé, plutôt que de chercher à identifier l’origine des différentes pollutions, il paraît important de prendre conscience de l’impact systémique qu’a l’activité humaine sur le vivant afin de pouvoir envisager une action globale.

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Crédits photo : ©Philippe Massit / Office français de la biodiversité

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