Face à l’usage massif des énergies fossiles dans le transport maritime, l’Energy Observer fait le pari de sillonner le monde avec des énergies exclusivement propres. Une prouesse technologique qui a mené l’équipage à devenir l’ambassadeur de la mobilité verte auprès de poids lourds a priori peu sensibles aux questions écologiques. Rencontre avec le Directeur Général, Louis Noël-Vivies.
L’Organisation maritime internationale estime que les émissions mondiales de CO2 du transport maritime s’élevaient à 2,2% en 2012. Un chiffre qui pourrait augmenter de 50 à 250% selon les études d’ici 2050. Face à cette inquiétante pollution de l’air et des océans, les skippers d’Energy Observer ont décidé de freiner la compétition nautique pour se dédier à la fabrication d’un bateau à la hauteur de leurs ambitions écologiques. Louis Noël-Vivies, Directeur Général d’Energy Observer, raconte : « il y a dix ans, on dépensait des millions d’euros en matériaux pour améliorer la performance de nos bateaux et remporter des coupes. Puis en 2013, on a réalisé que si on investissait cet argent dans de nouvelles technologies décarbonées, on pouvait réduire drastiquement notre consommation d’énergie et tenter d’impulser un changement dans le secteur maritime ». Un engagement difficile à respecter en France : la densité du parc nucléaire hexagonal diminue le prix de l’énergie et n’incite pas les entreprises à investir dans les alternatives vertes.
Un mix énergétique entre éolien, photovoltaïque, hydraulique et hydrogène
L’Energy Observer a ceci de particulier qu’il fonctionne avec des énergies vertes et adaptables selon la météo et la géographie. « On se déplace grâce à un mix énergétique qui varie selon le climat : il y a de l’énergie éolienne venue des ailes verticales, du photovoltaïque grâce à des panneaux, de l’hydrolien avec des hélices immergées… », explique Louis Noël-Vivies. Et pour assurer une puissance suffisante sous toute condition, le bateau dispose d’une source d’énergie encore méconnue dans le secteur des transports. « On dispose d’un moteur à hydrogène complètement propre et dépourvu de métaux lourds contrairement aux batteries traditionnelles », précise le Directeur Général. Une source d’énergie d’avenir dont le seul inconvénient reste le prix : la voiture à hydrogène Miraï de Toyota coûte par exemple 78 000 €, soit 4 fois le salaire annuel minimum des Français. Mais en matière de transport public, le coût serait vite amorti de sorte que de nombreuses villes françaises s’y mettent (Paris, Pau, Versailles…)
Un laboratoire flottant et un ambassadeur de l’écologie
Le rôle d’Energy Observer croise le storytelling inspirant et le lobbying écologique. « Nous avons plusieurs missions : d’abord celle d’être un laboratoire flottant qui teste un maximum de nouvelles technologies pour tester leur fiabilité et leur reproductibilité. Mais aussi une mission plus proche de celle d’un ambassadeur : notre histoire est inspirante et constitue un bon aimant pour intéresser à la fois les citoyens et les entreprises du secteur ». Or, c’est justement par la médiatisation de leur projet que les créateurs d’Energy Observer ont pu être entendu des acteurs privés. Au point que l’entreprise travaille aujourd’hui avec des poids lourds. « L’année dernière, on a lancé une filiale industrielle qui collabore avec de gros acteurs comme Toyota et Engie afin de tester et proposer de nouveaux prototypes, notamment un groupe électrogène à hydrogène ».
Un premier bateau taxi dans les calanques de Cassis
Les résultats de ces collaborations sont d’ailleurs en train de porter leurs fruits. « On va présenter un premier bateau taxi pour 15 personnes dans les calanques de Cassis l’année prochaine. On profite de l’interdiction du diesel dans les zones protégées pour développer notre parc. C’est d’ailleurs dans cette perspective de restriction législative qu’on est en train de concevoir des bateaux à passager fluviaux pour des villes comme Paris et Amsterdam » souligne Louis Noël-Vivies. Un cap net qui permet à l’entreprise d’être à l’avant-poste des projets de mobilité maritime décarbonée en France et en Europe.
De la question énergétique aux conflits internationaux
En ce qui concerne l’applicabilité du mix énergétique d’Energy Observer pour les poids lourds, la question se corse. « Pour les porte-conteneurs et les navires de croisière, notre mix énergétique est peu pertinent puisque ces derniers tournent au fioul lourd, un combustible extrêmement polluant. À titre de comparaison, en matière de particules fines, les 30 plus gros bateaux du monde polluent autant que le parc automobile mondial ». C’est in fine la raison d’être même de ces mastodontes des mers qui se pose face à des externalités négatives si colossales. Quoi qu’il en soit, le modèle énergétique de l’Energy Observer pourrait bien révolutionner notre rapport aux transports maritimes. Au point que Louis Noël-Vivies espère à terme réduire l’apparition de conflits internationaux liés à l’énergie. « Face à des conflits géopolitiques liés à l’énergie en Turquie ou en Russie, une meilleure gestion de l’énergie pourrait faire baisser drastiquement la valeur marchande des hydrocarbures et pacifier les relations hostiles entre certains pays ». Un espoir qui souligne les intérêts multiples et inattendus des énergies décarbonées dans le bon fonctionnement des sociétés humaines.