Sur les 2 milliards de tonnes de déchets produits chaque année dans le monde, 81% d’entre eux sont enfouis, incinérés ou laissés à ciel ouvert. Une brèche dans le mythe du recyclage qui a conduit les ressourceries de France à développer le zéro déchet, la réparation et la valorisation des objets. Résultat, 94% d’entre eux bénéficient d’une seconde vie, créant par la même occasion 27 fois plus d’emplois que la filière du recyclage. Un eldorado écologique et social qui pourrait devenir l’une des pierres angulaires de la transition.
Les Français sont de plus en plus sensibles au recyclage. En 2016, on estimait son taux à 68%, contre 60% en 2010. Une hausse encourageante, mais insuffisante face aux estimations alarmantes de la Banque mondiale qui prévoit 3,4 milliards de tonnes de déchets par an en 2050. Un chiffre qui rappelle que plus que jamais, « le meilleur déchet, c’est celui qu’on ne produit pas ». Un aphorisme qu’a bien compris Sébastien Pichot, vice-président du réseau national des Ressourceries. « Les ressourceries vont bien au-delà des recycleries. Chez nous, on considère que l’alternative aux déchets n’est pas le recyclage, mais bien le zéro déchet, la réparation et le réemploi des objets ». On peut ainsi y amener ses objets (vaisselle, mobilier, livres, vêtements, luminaires, électroménager, …) qui ne servent plus afin de leur insuffler une seconde vie. « En plus de ce travail de revalorisation, nos structures observent localement la circulation des déchets en pesant tout ce qui rentre et tout ce qui sort afin d’améliorer le circuit ». Par ce travail d’observation, le réseau a pu calculer que 94% des objets collectés ont pu être réemployés, vendus à un prix peu élevé.
Le réemploi solidaire à la rescousse
Si elles sont méconnues, les ressourceries sont pourtant de plus en plus nombreuses et jouent un rôle crucial en ce qu’elles se situent à la croisée des problématiques écologiques et sociales des territoires. « On a plus de 150 ressourceries dans l’hexagone et d’après nos estimations, nous touchons un Français sur quatre. Peu de structures de la transition ont un tel ancrage ». Car à la différence d’Emmaüs, les ressourceries disposent d’une expertise forgée sur plus de 20 ans, laquelle permet de former et d’accompagner les territoires dans leur transition écologique. « Peu de municipalités sont au courant de l’approche sociale et écologique que nous proposons », souligne Sébastien Pichot. « Au-delà de l’économie circulaire que nous proposons, nos ressourceries sont aussi des lieux de proximité qui favorisent le lien social ». Certaines d’entre elles se sont ainsi transformées en tiers-lieux avec des activités de restauration, de coworking, d’artisanat, etc.
Pour saisir les leviers sociaux dont disposent ces laboratoires de la social-écologie, les chiffres de l’Ademe (agence de la transition écologique) parlent d’eux-mêmes. À l’heure actuelle, les principales méthodes de recyclage de la France sont l’enfouissement, l’incinération ou la décharge à ciel ouvert Or, ces pratiques, en plus de la pollution importante qui s’en dégage, ne créent en moyenne que deux emplois pour 10 000 tonnes de déchets. À l’inverse, le réemploi solidaire de ces objets trop vite perçus comme des déchets générerait 850 emplois en moyenne. Autant de métiers qui touchent à l’électronique, la menuiserie, la soudure, la mécanique, l’artisanat, mais aussi à l’administratif, la gestion, la comptabilité… Des emplois solidaires qui participent à la consolidation de l’économie réelle et locale.
« On a ouvert des ressourceries en 3 mois là où ça prenait 2 ans auparavant »
Malgré l’utopie concrète qu’elles représentent, les ressourceries se heurtent à un certain nombre d’obstacles. « Le frein à notre développement réside principalement dans les mentalités et l’éducation de chacun. Nous avons collectivement intégré le mythe d’une économie circulaire au sein de laquelle le recyclage serait une alternative suffisante. C’est une forme de greenwashing intégré ». C’est ainsi que la majorité des individus sensibilisés à l’écologie se contente de trier leurs déchets sans s’intéresser à la manière dont ces derniers sont recyclés en bout de chaîne. Soutenir les ressourceries devient in fine un acte politique de soutien à une économie véritablement circulaire.
Pour autant, ces structures de réemploi solidaire commencent à connaître un certain succès, ne serait-ce que par sensibilité croissante des citoyens à l’écologie. La hausse de la pauvreté en France et la recherche de produits à bas coûts ont probablement augmenté l’exposition de ces lieux de revalorisation. Mais côté pouvoir public, Sébastien Pichot considère le changement trop lent. « Les mairies ne sont pas expertes sur ces sujets et prennent trop souvent la solution de facilité en passant par des multinationales comme Veolia. Pourtant leurs contrats sont onéreux et peu soutenables en matière d’emploi et d’écologie. Nous représentons une alternative très sérieuse en matière de réduction d’émission, d’emploi non délocalisable et de lien social. » La preuve : « on est parvenu à ouvrir certaines ressourceries en moins de 3 mois là où cela prend en général 2 ans. La facilité avec laquelle ces structures peuvent être lancées et la vitesse avec laquelle elles font baisser la quantité de déchets d’une collectivité est considérable », souligne le Vice-Président du réseau national.
« La Covid-19 a montré aux territoires le caractère incontournable de nos activités »
Pour engager les citoyens et les collectivités territoriales à s’intéresser de plus près au réemploi solidaire, Sébastien Pichot n’hésite pas à présenter les ressourceries comme « des laboratoires de sauvegarde des savoirs manuels qui créent des emplois et participent à la transition écologique. Il s’agit selon les mots du vice-président d’un « haut lieu de la résistance écologique et sociale qui met l’humain au centre tout en écoutant les besoins des territoires ». Le réseau national a par ailleurs calculé qu’en cinq ans, si le territoire était maillé de recycleries aux normes et de ressourceries, cela pourrait créer jusqu’à 70 000 emplois non délocalisables.
Face à la question de savoir comment la Covid-19 a frappé les ressourceries, Sébastien Pichot est partagé. « La Covid a créé beaucoup de débats en interne. D’un côté, les collectivités territoriales voudraient qu’on poursuive nos activités de collecte, notamment dans les villages isolés, montrant le caractère incontournable de nos activités. Cela dit, on souffre fortement du confinement : nos revenus ont chuté et le « click and collect » est clairement insuffisant. C’est regrettable car nous participons à la bonne santé des territoires ». Pour rappel, si le fonds de 10 millions d’euros bloqué par Bercy pour venir en aide aux ressourceries, recycleries et Emmaüs, a finalement été débloqué, la crise COVID va durement impacter ce tissu associatif qui joue un rôle d’amortisseur social dans un pays qui compte désormais 10 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté.