Face aux jeunes pousses nées du Good, certaines entreprises historiques ne savent plus trop par où commencer pour réellement évoluer. Pour d’autres, pas question d’attendre que le monde coure à sa perte. Un plan d’action solide, des ressources et du temps, et l’affaire est dans le sac, ou presque. Acteur majeur de l’industrie des cosmétiques, Clarins connaît une restructuration ambitieuse et encourageante. A travers sa feuille de route RSE 2025, la marque délivre ses intentions en chiffres et en mots que nous décryptons en interview avec Guillaume Lascourrèges, membre du C3D et Directeur du Développement Responsable du groupe Clarins.
Depuis 1954, Clarins promet l’écoute des femmes et l’amour de la nature comme les moteurs de son entreprise familiale de cosmétiques. Sauf qu’en 2020, ces mots ne suffisent plus. Soucieux d’aligner sa position avec son impact réel sur la planète et son vivant, la marque dévoile une feuille de route RSE 2025 qui ne laisse rien au hasard. Pour accompagner la promesse politique : « prendre soin des personnes, prendre soin de la planète », des engagements chiffrés plus qu’encourageants. En bref, d’ici à 2022 : 100 % des collaborateurs auront été formés aux sujets liés à la diversité, l’équité et l’inclusion. Aussi, la marque promet une multiplication par 2 du nombre de plantes issues du Domaine et des Fermes Clarins. D’ici à 2023, Clarins espère l’obtention de la certification internationale B Corp pour s’inscrire dans la logique de fidélisation et d’engagement réciproque entre Clarins et ses employés. Quand à 2025, la promesse d’une neutralité plastique, une réduction carbone de 30%, 80 % d’extraits de plantes bios dans les produits et 100 % de biodégradabilité (solaires et produits rincés), 100 % des emballages soin recyclables, 50 % du catalogue soin conçu à partir de matériaux recyclés, mais aussi la mise en place d’une charte pour un sourcing responsable, prévoyant la traçabilité par pays sur 100 % des ingrédients.
Un programme ultra complet qui confirme que, peu importe le secteur, tous et toutes sont capables d’une transition vers un modèle plus vertueux, même si le business model de l’entreprise ne date pas d’hier. La condition sine qua non : s’en donner les moyens, le temps, et l’ambition.
Pour en savoir plus sur ces engagements et mieux comprendre les rouages et enjeux liés à l’industrie des cosmétiques dont les jeunes pousses vegan ou green de la tête aux pieds ne cessent de fleurir, nous rencontrons Guillaume Lascourrèges, Directeur du Développement Responsable du groupe Clarins.
The Good : Si depuis sa naissance en 1954 Clarins a pour principe l’amour de la nature, son virage vers une dynamique plus green et sa politique RSE sont plus récents. Pouvez-vous nous raconter quand et comment la marque a entamé sa transition écologique, sociale et solidaire ?
Guillaume Lascourrèges : Nous avons la particularité d’être une entreprise familiale. Cela nous fait travailler parfois dans la discrétion et avec moins de formalisme que des entreprises cotées qui doivent rendre des comptes financiers et extra-financiers. Jusqu’à aujourd’hui bien que nous ayons des indicateurs en interne depuis longtemps, nous n’avions jamais publié nos objectifs à l’externe. Notre démarche responsable est à mettre en lien avec notre recherche de la qualité. Si vous cherchez le meilleur fournisseur d’une plante, il sera le plus souvent celui qui pense à long terme en préservant les sols et qui rémunère bien ceux qui cultivent.
The Good : En septembre, vous dévoiliez votre feuille de route RSE 2025 : quels sont vos objectifs concrets ?
G.L. : La démarche s’articule sur notre double promesse de rendre la vie plus belle, transmettre un monde plus beau. Rendre la vie plus belle c’est le volet sociétal à associer à toutes les personnes en lien avec l’entreprise que ce soient les collaborateurs, nos clients et tous nos partenaires. L’ambition d’obtenir le label B Corp sera une belle reconnaissance des efforts accomplis. Transmettre un monde plus beau, c’est notre ambition pour la planète de préserver ce qui va bien et régénérer ce qui a été abîmé. Nous avons aujourd’hui 40% de nos plantes d’origine agricole biologique, nous voulons doubler ce chiffre. Pour le packaging, tous nos emballages devront être compatibles avec une économie circulaire avec un cap majeur en 2025 d’une recyclabilité à 100%.
The Good : Sourcing, packaging, production…Quels obstacles avez-vous rencontrés/rencontrez-vous dans la mise en place d’un nouveau parcours de création plus green ?
G.L. : Bien souvent ce sont les contradictions qui ralentissent notre cheminement. Le marketing accepte désormais d’alléger et d’utiliser du recyclé mais le consommateur continue à percevoir la qualité par le poids et n’aime pas une couleur grisée. Recharger un produit est une solution intéressante pour certains formats mais la réglementation impose des critères identiques à nos lieux de production. Le plus souvent ces obstacles sont le fruit d’un manque de pédagogie, d’admettre que nous n’avons pas toutes les clés et qu’il faut parfois du temps et besoin des autres pour débloquer la situation.
The Good : Avez vous d’ores et déjà quelques résultats chiffrés à nous communiquer, permettant de démontrer la compatibilité de la RSE avec l’aspect économique de l’entreprise ?
G.L. : Si j’avais la preuve irréfutable que la RSE est un accélérateur économique je l’aurais déjà sorti du chapeau. Je vois mon métier comme un investissement pour l’avenir, pour la pérennité de mon entreprise et plus largement de nos sociétés. Pourquoi Clarins finance des projets d’agroforesterie dans des champs de betteraves sucrières depuis 2016 ? C’est une stratégie long terme pour préserver les sols de l’érosion, créer de la biomasse, apporter de la résilience au changement climatique. Je crois que si nous bénéficions de sols en bonne santé dans 20 ou 30 ans ce sera bon pour Clarins d’avoir toujours de l’alcool de betteraves pour ses parfums et bon pour les agriculteurs d’avoir des terres fertiles pour nous nourrir.
The Good : Quelles sont selon vous les clés qui permettront au secteur des cosmétiques d’opérer sa transition durablement vers des modèles plus responsables ?
G.L. : La transition est un enjeu de pérennité du business. Notre écosystème environnemental constitue un capital dont nous tirons déjà des bénéfices. Perdre le capital c’est perdre la capacité de continuer à avoir des bénéfices. Pour le secteur de la beauté et du luxe, j’en reviens à la recherche de la qualité : la meilleure matière ou le meilleur service seront ceux ou celles qui ont un impact positif sur la société et la nature. Nous sommes un secteur qui a une puissance d’achats non négligeable. Je crois beaucoup à la prescription par la commande. Si demain une politique d’achats indique qu’un fournisseur est référencé à la condition qu’il dispose d’une évaluation RSE solide et qu’il propose des produits neutres en carbone, je vous assure que l’on va accélérer la transition.
The Good : Quelles sont les entreprises ou initiatives qui vous inspirent en ce sens ?
G.L. : Je citerais Patagonia qui tente d’illustrer ce qu’il faudrait faire pour répondre aux enjeux d’une activité durable. Il y a près de dix ans la campagne « don’t buy this jacket » faisait sourire mais elle préfigure la cohérence de l’entreprise de revendiquer la qualité de ses produits et de penser le cycle de vie complet jusqu’à un service de réparation accessible à tous. Sans en nommer une en particulier, j’aime les initiatives collectives qui associent les forces pour résoudre ce que l’on ne peut accomplir seul. Elles font généralement résonner ce qu’il y a de meilleur en nous.