Face aux ambitieux Objectifs de Développement Durable impulsés par les Nations Unies, l’association Focus 2030 sort l’artillerie lourde. Avec pour mission d’accompagner les acteurs de la solidarité internationale vers la réalisation de ces objectifs, l’association française mêle production de données et d’analyses, allocation de subventions via un Fonds de réaction rapide, et animation de groupes de travail multi-acteurs. Rencontre avec Fabrice Ferrier, directeur de Focus 2030.
The Good : Comment FOCUS 2030 accompagne-t-il concrètement les acteurs de la solidarité internationale ? Des exemples phares ?
Fabrice Ferrier : Focus 2030 soutient les acteurs de la solidarité internationale dans les domaines de la communication, de la mobilisation citoyenne, de la recherche et dans leurs relations avec les pouvoirs publics afin de contribuer à mettre les Objectifs de développement durable à l’agenda médiatique, politique et citoyen. Nous accompagnons les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux en allouant des financements et en produisant des sondages, des faits et chiffres, des notes de décryptage sur les grands enjeux mondiaux, au premier titre desquels les enjeux de genre, de financement du développement, de santé mondiale et de lutte contre la pauvreté et les inégalités.
Dès notre création, nous avons travaillé conjointement avec Solidarité Sida dans le cadre de sa campagne Printemps solidaire, qui visait à susciter un engagement de la France pour qu’elle alloue enfin 0,7% de sa richesse nationale auprès des pays et populations les plus pauvres. Cette campagne a mobilisé de nombreuses organisations et des centaines de milliers de personnes en France et a sans nul doute contribué à mettre à l’agenda un enjeu jusque-là à la périphérie des champs politique et médiatique. Cet engagement, pris à l’ONU et non tenu pendant 50 ans en dépit des multiples actions menées par un grand nombre d’ONG vient d’ailleurs d’être adopté à l’Assemblée nationale la semaine dernière après un vote en première lecture. Affaire à suivre.
Nous produisons également dans le cadre du projet Development Engagement Lab (piloté par les universités de UCL et Birmingham) quatre sondages par an pour saisir les opinions, attitudes et connaissances des Français·e·s sur les grands enjeux de solidarité internationale. Nos données sont rendues publiques et partagées régulièrement avec une cinquantaine d’ONG, think tanks, acteurs publics, leur permettant de mieux comprendre les ressorts de l’engagement des individus sur ces enjeux, qu’il s’agisse de questions climatiques, de santé, d’égalité femmes-hommes… A ce titre, les Français·e·s témoignent d’un soutien accru à l’aide publique au développement à destination des pays les plus pauvres, un phénomène observé depuis 2015.
The Good : Au regard de votre dernier rapport sur les aspirations citoyennes en faveur de l’égalité femmes-hommes, quels sont les Key Learnings et que comptez-vous faire de ces données ?
F.F. : Il ressort de notre étude menée avec Women Deliver qu’à l’échelle du monde les citoyen-nes sont prêt-es pour l’égalité femmes-hommes. Dans les 17 pays issus des cinq continents couverts par notre étude, 80% des personnes interrogées déclarent que l’égalité femmes-hommes est quelque chose qui les préoccupe personnellement. Deux-tiers estiment que leur gouvernement devrait en faire plus en la matière et une proportion semblable considère que leur gouvernement devrait augmenter leur financement en faveur de l’égalité femmes-hommes à l’occasion du Forum Génération Égalité. 81% des personnes interrogées se déclarent d’ailleurs prêtes à s’engager d’une manière ou d’une autre en faveur de l’égalité entre les sexes (vote, boycott d’entreprises, pétition…).
Ces données qui détaillent les aspirations et expériences de citoyens issus de pays qui comptent pour la moitié de l’Humanité ont été partagées auprès des Nations Unies, des gouvernements, des ONG, des entreprises et des fondations, parties prenantes aux négociations internationales sur les enjeux d’égalité femmes-hommes. L’objectif que nous poursuivons est de susciter des décisions et des orientations fondées sur les faits et prenant en considération les aspirations du plus grand nombre, tout particulièrement à l’occasion du Forum Génération Égalité.
The Good : Si les politiques sont les premiers à être attendus pour engager le changement, comment les entreprises peuvent-elles concrètement s’emparer du sujet ?
F.F. : Les entreprises ont également un rôle majeur à jouer. Pour poursuivre sur l’égalité entre les sexes, le secteur privé peut faire la différence. En leur sein d’abord, les entreprises peuvent s’investir auprès de leur personnel dans le cadre de leur politique de ressources humaines (congés, horaires, primes, carrières, heures des réunions) et de formation (harcèlement, sexisme, prises de parole…) et dans leur gouvernance au sein des conseils d’administration. Elles peuvent s’investir aussi auprès de leurs clients, leurs prestataires et dans leurs investissements.
L’égalité n’est pas qu’un principe, c’est une pratique… qui a parfois du mal à être observée dans les faits, dans le champ économique tout particulièrement. A l’échelle du monde comme en France, les inégalités de salaire prévalent, les femmes demeurent sous-représentées dans la gouvernance des entreprises, les femmes sont surreprésentées dans les emplois précaires et informels. Au rythme des progrès actuels, selon une étude du Forum économique mondial, il faudra 257 ans pour qu’hommes et femmes accèdent à part égale à des postes de responsabilité dans la sphère économique. Afin de changer la donne, le Forum Génération Égalité invite les entreprises à s’investir dans chacune des six coalitions d’actions ou axes prioritaires, il s’agit de ne pas manquer ce rendez-vous.
The Good : Aujourd’hui plus que jamais, les entreprises deviennent des acteurs politiques et se doivent de s’engager pour toucher leurs publics. Quels sont selon vous les points sur lesquels les politiques péchent et où les entreprises peuvent prendre le relai ?
F.F. : Les entreprises ont un rôle majeur à jouer dans la réalisation des ODD. Elles ont notamment un rôle prépondérant dans la transmission des normes sociales et une responsabilité colossale en la matière. La manière dont les entreprises communiquent en intégrant ou non des stéréotypes de genre peuvent de ce point de vue avoir un impact plus important que les campagnes institutionnelles des gouvernements.
La manière dont les entreprises innovent en intégrant ou non l’impact genré de leurs produits peut également faire la différence. Le Forum Génération Égalité s’intéresse tout particulièrement à la manière dont l’innovation et les technologies peuvent concourir à l’émancipation des femmes. Les entreprises et le secteur privé ont de ce point de vue un avantage comparatif, pour le meilleur comme pour le pire. Ainsi, un nombre grandissant de femmes ont accès à des comptes bancaires en Afrique grâce aux services offerts par les opérateurs de téléphonie mobile, contribuant ainsi à leur autonomisation.
Autre exemple, les réseaux sociaux ont à la fois contribué à libérer la parole publique et permis aux mouvements féministes d’élargir leur audience mais ont parallèlement créé de nouveaux espaces menaçant l’intégrité des femmes et des personnes LBGT+. Les géants du numérique ont un rôle déterminant à jouer en la matière. Le Forum Génération Égalité entend de ce point de vue s’assurer qu’un cadre permettant de lutter efficacement contre les violences sexistes en ligne soit adopté par l’ensemble des entreprises du numérique d’ici 2026.
The Good : Au regard de la crise actuelle et de l’évolution des politiques publiques et entrepreneuriales, les ODD sont-ils selon vous réalisables d’ici à 2030 ? Sinon, que manque-t-il pour que ceux-ci soient atteints ?
F.F. : La pandémie de Covid-19 a un impact considérable sur la possibilité d’atteindre les ODD à l’horizon 2030. La Banque mondiale estime que 120 millions de personnes ont basculé dans l’extrême pauvreté, mettant une fin brutale à des années de progrès. La pandémie a notamment mis à mal les efforts observés ces dernières années en matière d’accès à la santé, aux traitements et aux vaccins. A titre d’exemple, un an jour pour jour après l’émergence du Covid-19, le Fonds des Nations Unies pour la population estime que 12 millions de femmes n’ont pas pu avoir accès à la méthode contraceptive de leur choix, contribuant à 1 million de grossesses non désirées…
Ces obstacles peuvent pourtant être surmontés et un nombre croissant d’initiatives prennent la bonne direction, parmi ces dernières ACT-A, pilotée par l’OMS et visant à garantir un accès équitable aux traitements, aux vaccins et aux tests de diagnostics à l’échelle de la planète. Cette pandémie nous rappelle avec fracas la nature de nos interdépendances. Peut-être sera-t-elle l’occasion d’une prise de conscience que la solidarité internationale est incontournable. C’est le pari des ODD.