Le 6ème rapport du GIEC nous apporte son lot de constats et d’urgence à l’action. Pour agir, il faut comprendre, paraît-il. Mais alors que la maison brûle, littéralement, l’écrasante majorité des acteurs économiques nous baladent toujours. Comment ? Via la communication. Ici, un constructeur automobile joue sur le « zéro émission de CO2 » – alors même que celles qui sont dues aux SUV explosent ; là, une banque vante la sobriété de sa carte de crédit en plastique recyclé, utilisant moins d’encre, alors que l’enjeu de la finance est ailleurs ; et même le gouvernement, à l’occasion de son plan de relance, nous explique que l’avion vert est à portée de main – alors que les débats à l’occasion de la loi Climat et Résilience sur les vols courts ont tourné court précisément … Les exemples ne manquent pas.
J’avoue, j’y ai cru. J’ai cru aux vertus du greenwashing. Je pensais que quelques bons gros cas d’école dénoncés par des ONG ou citoyens indignés serviraient d’exemples à toute l’industrie concernée, arriveraient jusqu’au régulateur, participeraient à l’éveil du consommateur et agiraient comme un vaccin pour les autres secteurs. Mais non. L’immunité collective n’est pas en vue, bien au contraire : cette année encore, force est de constater que le greenwashing est partout. Même pas en embuscade, subtil et rare, non : en plein jour, partout et même en toute légitimité. La déontologie publicitaire ? Une vaste blague. L’auto-régulation des marques ? Une arnaque généralisée.
Le sujet est loin d’être anecdotique. Sous toutes ses formes, publicité, mais aussi communication interne, relations presse, digital, création de contenu, elle est un levier d’action et de transformation sociétal ultra efficace. C’est même sa raison d’être initiale. Le changement peut donc partir de là. Mais nous n’avons pas compris que nous pouvions, collectivement, nous servir de cette force différemment.
Or, dans le vaste secteur de la communication comme ailleurs, de plus en plus de personnes, jeunes et moins jeunes, veulent mettre en cohérence leurs convictions – voire leur engagement – et leur travail. Pour ceux qui ont pris conscience du lien entre leur métier et la dégradation de la biodiversité et climat, qui vont de pair, ignorer le sujet est devenu impossible. Mais que faire lorsqu’on aime son métier justement, et que l’on ne veut pas participer à l’enfumage ambiant ? Comment utiliser ses compétences, son énergie, son temps, ses mots, ses images, ses idées, son pouvoir de conviction ? Faut-il devenir activiste au travail ? Se terrer dans twitter et râler ? Rejeter le modèle dominant ? En inventer un autre, espérant être rejoint par d’autres ?
Il ne s’agit pas, pour celles et ceux qui ont commencé à s’engager sur ce chemin, de s’acheter une bonne conscience, ou même de lutter contre leur propre éco-anxiété ou solstalgie. Pour eux, mettre ce formidable outil qu’est la communication au service de sujets plus en phase avec les besoins sociétaux est une manière de « faire avancer le sujet », de façon très concrète. Certains ont rejoint des marques engagées, ambitionnent d’aider à transformer les entreprises de l’intérieur, ou ont rejoint ou créé des agences qui décident de servir des clients pour lesquels certaines valeurs comptent.
Quel que soit le chemin choisi, il n’est pas semé de pétales de roses. C’est en partie la raison pour laquelle d’autres choisissent justement … de ne rien changer. Par ignorance, bien sûr, mais aussi par peur d’être ostracisé. Par calcul, aussi : rester dans le ventre mou de la com’ est confortable – le bastion conformiste, largement majoritaire, fait de la résistance pour garder le château avec un certain succès : le « débat » mené tambours battants par les ténors de la profession à l’occasion de la proposition de loi « climat et résilience » portant sur le volet de la publicité a d’ailleurs permis de confronter violemment les idées – d’aucuns diront les idéologies. Pour l’occasion, certains professionnels se sont même mués en hérauts de la survie des modèles d’affaires des médias, de la diversité d’opinion citoyenne, de l’emploi, voire de la démocratie. Le résultat a été l’accouchement d’une souris, sous la forme de quelques anecdotiques mesures anti-greenwashing. Ouf, les avions verts et autres SUV « durables » n’ont pas de soucis à se faire. On peut remarquer que la posture du refus du changement de la part de certains communicants est, a priori, contradictoire avec une nécessité, prônée par la profession dans son ensemble, de savoir se réinventer perpétuellement… Mais en attendant, la vieille garde vient d’obtenir le blanc-seing du législateur pour entretenir des modèles – de consommation et donc de société – obsolètes. « Charte de bonnes conduites » et autres « contrats climats » permettront-ils de changer la donne ? L’histoire jugera.
Croire, voire, plus grave, font croire – à l’illusion du toujours-plus-et-sans-conséquences, lorsque l’on a tout pouvoir pour orienter les comportements, devient criminel. C’est exagéré ? Nous savons que la pub, en transformant nos désirs, nos manières de vivre, nos cultures, a transformé notre environnement, par la même occasion. Ne rien changer en amont, c’est ne rien changer en aval. Bien sûr, c’est la faute des annonceurs, et de leurs offres – les professionnels de la communication ne font que répondre au brief de leurs clients. Et c’est la faute des consommateurs, ces « girouettes », au comportement en magasin en contradiction totale avec leurs déclarations dans les sondages. Sur ce terreau, les acteurs mainstream donnent le « la » et prennent toute la place. Sauf celle de l’action en profondeur. Rien ne les challenge dans l’espace médiatique, ou si peu. Ils crient plus fort, donc ils ont raison. Les parties prenantes interrogent les marques sur leurs engagements ? Qu’à cela ne tienne, ils répondent – à côté de la plaque, certes, mais en l’absence d’éducation citoyenne indépendante sur ces sujets, de contre-voix audible et de soutien du législateur, quelle différence ?
Quelle opportunité ratée, alors que les marques cherchent, justement, des partenaires pour les aider à retrouver du sens et à se réinventer, pour, précisément, retrouver la confiance des consommateurs, eux même en quête de repères ! Elles pourraient bien avoir besoin de « plus » que ce qui est dans le brief : demain, peut-être ce fameux brief demandera-t-il explicitement de prendre en compte le bien commun ou la régénération du vivant. Lorsque les entreprises auront besoin d’être accompagnées sur leur propre chemin vers plus de sobriété, l’adaptation de leurs offres, elles rechercheront ces communicants capables de tisser ce lien de confiance entre des parties prenantes de plus en plus exigeantes. Pour cela, ils devront être éduqués sur les sujets liés au climat et à la biodiversité, et volontaires pour « challenger » l’appel d’offre.
Cette génération de communicants existe. Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir mettre leur talent au service de quelque chose de plus grand que la marque elle-même. Le mouvement pour un Réveil Ecologique est justement l’une des voix de ces jeunes qui refusent de travailler pour entretenir des modèles mortifères. Nos métiers de la communication sont nobles – si nous acceptons de leur redonner leurs lettres de noblesses. Prendre conscience, choisir son camp, se former, faire bouger son métier : voilà ce que peut faire sans attendre le communicant qui veut mettre son talent au service de la Cité. A la clé, en plus d’apporter enfin une vraie valeur ajoutée à son client, il y a la possibilité d’accompagner la société vers un futur plus désirable via le seul moteur que nous connaissons : l’envie, le désir et l’adhésion.
Céline Puff Ardichvili, est communicante et entrepreneure, partenaire dirigeante au sein de l’agence Look Sharp, et co-autrice, avec Fabrice Bonnifet, directeur développement durable du groupe Bouygues et président du Collège des Directeurs de Développement Durable (C3D), de « L’Entreprise Contributive : concilier monde des affaires et limites planétaires ».
A la rentrée, elle participe à www.reboot2021.org, l’événement étudiant pour la communication responsable.