Flora Thiébaut est la cofondatrice et directrice des opérations d’Auticonsult France, filiale du groupe allemand Auticon. Depuis 2015, cette psychologue clinicienne s’attache à développer l’employabilité des professionnels autistes à travers une offre de services numériques et de formation à la neurodiversité. Elle répond aux questions de The Good.
The Good : Auticonsult, qu’est-ce que c’est ?
Flora Thiébaut : Auticonsult est une entreprise sociale de services du numérique, dont la particularité est d’employer spécifiquement des consultants qui sont sur le spectre de l’autisme. Nous sommes donc une ESN à impact et une entreprise de l’ESS. Nous sommes présents à Paris et Toulouse et opérons dans toute la France, auprès de clients comme Air Liquide, EDF, Airbus, IBM, Décathlon ou la Matmut.
Neuf mois après notre création en septembre 2015, nous avons fusionné avec Auticon, qui proposait le même service en Allemagne depuis 2011. Depuis, notre groupe s’est développé au Royaume-Uni, en Suisse, en Australie, au Canada, en Italie et aux Etats-Unis et nous venons de dépasser le cap des 250 employés, dont plus de 200 consultants autistes.
TG : Pourquoi vos clients font-ils appel à vos services ?
FT : Nous opérons sur les métiers du développement informatique, de la data et de la cybersécurité, ainsi que ceux de l’assurance qualité, des tests de logiciels et de la conformité. Ce sont des métiers en pénurie de talents. C’est donc assez simple : les grands groupes ont besoin de compétences, et si nous les avons, ils sont intéressés pour travailler avec nous.
Néanmoins, il y a d’autres critères qui rentrent en ligne de compte, comme l’impact que nous pouvons avoir chez eux en termes d’inclusion et de sensibilisation à la neurodiversité, mais aussi d’innovation technologique. Nous ne rentrons toutefois pas dans le champ du handicap : en travaillant avec nous, il n’y a pas de bénéfice fiscal ou de prise en compte dans les quotas. Nos clients font appel à nous parce que les compétences de nos consultants sont utiles sur leurs projets, et qu’ils valorisent leur approche divergente, « out-of-the-box », qui est vectrice d’innovation au sein de leurs équipes.
TG : Justement, comment décrivez-vous l’impact que vous avez ?
FT : Cet impact est triple. Il est technologique, car nous insufflons de la neurodiversité chez nos clients : les intelligences atypiques de nos équipes sont un vecteur d’efficacité et d’innovation. Il est social, car nous créons des emplois pérennes pour des personnes sur le spectre de l’autisme. Il est aussi sociétal, car nous permettons de sensibiliser les collaborateurs de nos clients à l’autisme, avec l’espoir qu’ils soient à l’avenir moins discriminants et plus aptes à collaborer avec des profils différents.
TG : Comment recrutez-vous vos collaborateurs ?
FT : Il est difficile pour nous d’utiliser les moteurs de recherche d’emploi habituels ! Nous recrutons donc uniquement sur la base de candidatures spontanées : les chercheurs d’emploi entendent parler de nous par le bouche à oreille, leurs réseaux et les médias. Nous évaluons ensuite les compétences de la manière la plus objective possible, sans regarder les diplômes : nous évitons tous les aspects discriminants des processus habituels de recrutement, en particulier les entretiens de motivation.
Notre processus a donc trois particularités :
1/ pas d’entretien motivationnel, car nous sommes devant une population qui, en raison de l’autisme, ne sait pas se vendre et a tendance à se sous-évaluer ;
2/ les compétences sont mesurées à la fois via les aspects techniques et cognitifs, pendant une journée ;
3/ les candidats pré-sélectionnés participent à un séminaire de recrutement, sur 5 jours, qui repose sur des mises en situation en petits groupes de 4 à 6 candidats. Là, nous évaluons, par l’observation, leur capacité à s’intégrer chez nos clients et à y déployer leurs compétences grâce à notre coaching.
TG : Quelles sont les compétences particulièrement développées par les professionnels autistes qui trouvent un intérêt dans vos métiers ?
FT : Il faut déjà rappeler que 70% des personnes sur le spectre de l’autisme n’ont pas de déficience intellectuelle. Beaucoup d’entre elles ont des compétences et des diplômes. Parmi les compétences typiquement autistiques qui sont valorisables dans nos métiers, il y a notamment la capacité de concentration, le sens du détail, l’analyse logico-mathématique, la reconnaissance de patterns.
Nous recrutons beaucoup d’autodidactes et plus de la moitié de nos consultants n’avaient pas fait de cursus dans l’informatique avant de nous rejoindre. Les personnes autistes ont la particularité de développer des centres d’intérêts très polarisés : elles deviennent ainsi très vite expertes dans leur domaine et peuvent monter très rapidement en compétence si on les emploie sur leurs sujets de prédilection.
TG : Audicon est un groupe international : y a-t-il des différences de perception du handicap notables selon les pays ?
FT : En France, le champ du handicap est tout à fait indépendant du sujet de la diversité, avec des lois et des obligations pour les entreprises. Dans le monde anglo-saxon, les employeurs reçoivent des aides publiques pour adapter tout poste à tout type de handicap. Il n’y a pas de quota, pas d’entreprises adaptées… Mais en revanche, si vous êtes en situation de handicap et que vous vous sentez discriminé à l’embauche, vous pouvez porter plainte au même titre que toute autre discrimination. Cela change beaucoup l’état d’esprit des gens avec qui nous travaillons. En France, les lois et les quotas, même s’ils ont une utilité certaine, peuvent nourrir dans l’imaginaire collectif l’idée que les personnes handicapées seraient moins productives que les autres. Au contraire, le handicap devrait être considéré comme une source de richesse, au même titre que tout type de diversité.
TG : Votre action en faveur de l’employabilité des personnes sur le spectre de l’autisme pourrait-elle bénéficier plus largement à tous les travailleurs en situation de handicap ?
FT : En réponse à une forte demande de nos clients, depuis janvier 2021, nous proposons du conseil et de l’accompagnement pour les aider à recruter eux-mêmes davantage de collaborateurs autistes, mais aussi Dys (dyslexiques, dyspraxiques…) ou TDAH (Trouble Déficitaire de l’Attention – Hyperactivité), ce que nous appelons du conseil en inclusion de la neurodiversité. Cela va du module d’une heure de sensibilisation, jusqu’à des formations plus poussées sur le recrutement ou le management.
Avec nos coachs, nous nous sommes rapidement rendu compte que les recommandations ou aménagements que nous mettons en place pour nos employés autistes avaient aussi de l’intérêt pour favoriser le bien-être dans l’emploi de personnes ayant des troubles dys ou des troubles de l’attention. Nous sensibilisons donc également nos clients à ces différences. Mais le spectre de l’autisme concerne 1 à 2% de la population mondiale : cela représente un nombre incroyable de personnes qui devraient être intégrées sur le marché du travail et c’est vraiment sur ce sujet que nous nous concentrons.