Suivant la vague du simili-carné, de plus en plus d’acteurs se lancent dans le marché embryonnaire du poisson végétal à base d’algues, de pois et de soja. Une chair végétale qui esquive la souffrance animale et les désastres écosystémiques de la surpêche, sans pour autant répondre frontalement aux enjeux de l’ultratransformation.
Nous sommes nombreux à observer l’arrivée spectaculaire de la viande végétale en France depuis quelques années. Mais c’est parfois moins dans les rayons de nos supermarchés que dans les colonnes de la presse que nous en découvrons l’actualité. L’arrivée de l’américain Beyond Meat en France, le lancement d’une gamme spéciale chez Herta et plus récemment l’essor des Nouveaux Fermiers nourrissent un sujet qui ne cesse de diviser écologistes, pragmatiques et agriculteurs. Et voilà qu’aux côtés de la simili-viande débarque le simili-poisson, de quoi jeter de l’huile sur un feu déjà bien ardent. Il faut dire que le marché est croissant. Rien qu’en France, le cabinet Xerfi estime à 66 millions le nombre de consommateurs potentiels, soit la quasi-intégralité de la population. Le chiffre d’affaires était de 400 millions d’euros en 2019, soit une hausse de 11% sur l’année précédente. Les perspectives économiques sur les années à venir sont lumineuses, de quoi faire passer les substituts végétaux de la niche au marché de masse.
Saumon, thon et crevette végétaux
Alors que la viande végétale ne cesse de se développer en France (steak, escalope, saucisse, nugget, pâté…), le poisson végétal reste encore très timide dans nos supermarchés. Il y a bien quelques rares restaurants vegan qui proposent du « faux poisson », mais côté industriel, c’est encore timoré. Un son de cloche différent des États-Unis, de l’Angleterre ou de l’Asie, où la dynamique simili-poisson semble être lancée. Saumon, thon, crevette et autres poissons en tout genre sont progressivement végétalisés, avec l’objectif de garder une fibrosité et une fermeté similaire. Ils sont principalement produits à partir de soja, de pois, de tomate, de champignons, d’algues et de konjac, une plante asiatique. Le marché a engrangé 116 millions de dollars pour le seul mois de septembre 2021, contre 83 millions l’année précédente. En France, la marque française Nautilus est l’une des rares à vendre depuis un an des émiettés végétaux proches du thon. Chez nos voisins suisses, c’est également le thon qui est à l’honneur avec le lancement du « Sensational Vuna » début 2020 par Nestlé. La start-up française Umiami travaille quant à elle sur du caviar végétal et du faux cabillaud.
Une bonne nouvelle pour la biodiversité et l’ultra-transformé
À l’image du simili-carné, le simili-poisson permet de résoudre des problèmes d’ordre nutritionnel, environnemental et éthique. D’abord parce que les poissons sont de plus en plus remplis de microplastiques que nous ingérons sans en mesurer encore bien les conséquences sanitaires. Ensuite parce que leur surpêche dégrade durablement l’équilibre des écosystèmes marins, défigure la chaîne alimentaire et la capacité des océans à stocker du carbone. Enfin parce que la pêche commerciale piège souvent dans ses filets des centaines d’espèces qui meurent asphyxiées et dont les cadavres sont rejetés à la mer. En ce sens, le poisson végétal, tout comme la viande végétale, sont de bonnes nouvelles pour la biodiversité et le climat. Mais sur le plan sanitaire et nutritionnel, la question reste en suspens. La plupart des viandes végétales industrielles sont ultra-transformées, saturées d’additifs pour atteindre la bonne texture, la bonne couleur, le bon goût. Elles sont d’ailleurs gavées d’eau, parfois jusqu’à un tiers du poids total, ce qui en limite l’intérêt nutritionnel. La question est de savoir si ce constat est applicable au poisson végétal. Les industriels développent des succédanés de mer avec des procédés similaires à celui de la viande, mais avec la contrainte supplémentaire d’ajouter ce goût iodé et fumé du poisson. Difficile de ne pas recourir à la transformation dans un tel cas de figure.
La chair végétale, un compromis pragmatique
Le développement croissant d’ersatz de chair animale est révélateur de notre rapport à l’alimentation. Il montre d’une part notre éveil à la souffrance animale et aux préoccupations environnementales, d’autre part notre attachement au simulacre du régime omnivore. Difficile pour l’être humain et son héritage ancestral de s’arracher d’une alimentation qui a participé à sa constitution. Sans parler de la mythologie carnée qui participe à la croyance d’une virilité sanguine née de la viande. Pour ces deux raisons au moins, la chair végétale est une manière de dresser un compromis acceptable et pragmatique entre carnistes vitupérants et vegan engagés. Ni les premiers ni les seconds ne seront convaincus, mais les millions de consommateurs situés au milieu du spectre pourraient bien se laisser séduire. Après tout, n’est ce pas jouissif de voir un omnivore s’étonner du goût et de la texture d’un steak végétal ?