1 550. C’est le nombre de contentieux climatiques que les Nations Unies estimaient en 2020 dans le monde, soit deux fois plus qu’il y a trois ans. Une masse critique qui entraîne de plus en plus de condamnations d’acteurs publics et privés, tout en marquant chaque année davantage leur responsabilité climatique dans les médias et l’opinion publique.
Montesquieu se retournerait-il dans sa tombe s’il voyait de ses propres yeux la judiciarisation de la crise climatique ? Craindrait-il l’essor d’un gouvernement des juges, lui qui avait à cœur une séparation juste des pouvoirs ? Rien n’est aussi sûr tant le droit a muté en trois siècles. Durant l’Ancien Régime, les cours de justice étaient en capacité de soumettre le roi en bloquant l’enregistrement des lois. Aujourd’hui, le rapport de force est renversé, les pouvoirs exécutifs et législatifs tirent de leur élection la légitimité suffisante pour gouverner la nation quand la justice, plutôt qu’un quatrième pouvoir, est devenue un garde-fou des libertés. Mais avec la judiciarisation de la crise climatique, le pouvoir judiciaire renouvelle sa créativité par une interprétation de la loi ample qui permet de condamner les fautes et les carences environnementales des décideurs.
Des Pays-Bas à l’Irlande : deux précédents symboliques
De l’Europe aux États-Unis en passant par l’Australie et l’Amérique Latine, les procédures juridiques essaiment un peu partout. Un phénomène directement lié à la multiplication des lois nationales portant sur les engagements de réduction de gaz à effet de serre des États. C’est le cas de l’Accord de Paris, dont le caractère contraignant – bien que pas toujours chiffré – permet d’offrir un angle de recours pertinent aux associations environnementales. La première condamnation s’est faite en 2015, aux Pays-Bas, lorsque 900 citoyens ont saisi un tribunal pour dénoncer le laxisme environnemental de leur gouvernement. Ces derniers ont gagné en première instance en 2015, puis à nouveau en appel en 2018, forçant l’État néerlandais à respecter son engagement de réduction des gaz à effet de serre de 25% d’ici à 2030. A ce premier précédent historique s’en est ajouté un second, celui de l’Irlande. Une ONG a saisi la Cour suprême au motif que la loi climat du pays n’intégrait pas suffisamment d’étapes concrètes pour assurer son applicabilité. Malgré une première demande rejetée, en juillet 2020, la Cour suprême a effectivement reconnu l’insuffisance du texte et a exigé sa réécriture.
Le tournant 2021 : condamnation de la France, la Belgique et l’Allemagne
Si les condamnations n’ont pas toujours des effets juridiques tangibles, elles gardent une portée symbolique inspirante. C’est ainsi que plus près de chez nous, une cascade de condamnation a été observée. D’abord en Allemagne, où la Cour constitutionnelle a jugé en avril 2021 que la politique climatique d’Angela Merkel « violait les droits des générations futures ». Les juges ont ainsi obligé les législateurs à revoir leur objectif de réduction des émissions pour la période allant de 2022 à 2030. Deux mois plus tard, en Belgique, le gouvernement a lui aussi été condamné pour « faute » au regard de ses ambitions climatiques insuffisantes. Une sanction venue du tribunal de Bruxelles, et dont la portée limitée n’empêche pas les conséquences symboliques. En octobre 2021, c’est au tour de la France d’être condamnée par le tribunal administratif de Paris dans le cadre de l’Affaire du siècle. Le pays doit « réparer le préjudice écologique » causé par le non-respect de ses engagements climatiques.
Et la responsabilité des entreprises ?
Les entreprises aux activités climaticides sont également inquiétées. En mai 2021, le pétrolier anglo-néerlandais Shell a été condamné par un tribunal des Pays-Bas à réduire ses émissions de CO2 de 45% d’ici à 2030. Une décision historique dont les conséquences dépassent celle des États, la sanction étant éminemment financière. Pour Shell, c’est tout le cours de la bourse qui a chuté, entraînant une méfiance des investisseurs préjudiciable aux intérêts de la société pétrolière. En France, le collectif Notre affaire à tous souhaite reproduire le cas néerlandais par l’assignation de Total en justice. Dans le cas où l’association serait déboutée en première instance, elle pourrait faire appel et intégrer au dossier l’étude d’octobre dernier qui présente les façons dont Total et Elf ont alimenté sciemment le doute climatique. Même son de cloche pour le groupe Casino, accusé de déforestation et d’accaparement des terres, mais aussi pour le groupe d’électricité PGE, propriété de l’État polonais, dont la centrale à charbon de Belchatow, considérée comme la plus polluante d’Europe. Cette cascade de poursuites et de condamnations potentielles, si elles n’ont pas toujours de conséquences financières, ont des incidences médiatiques et réputationnelles significatives. De quoi dessiner quelques éclats d’espérance en pleine COP26 à Glasgow.