Ecotone est le pionnier de l’alimentation bio et végétarienne en France et en Europe. Challengé sur son terrain de prédilection par les marques qui s’engouffrent sur ce créneau d’une alimentation plus durable et responsable, Emilie Lowenbach, directrice RSE chez Ecotone et présidente de la Fondation Ecotone, nous raconte comment l’entreprise garde une longueur d’avance !
The Good : Ecotone est moins connu que ses marques filles (Bjorg, Alter Eco, Gayelord Hauser). Pouvez-vous nous présenter le groupe Ecotone et ses activités ?
Emilie Lowenbach : Ecotone est une entreprise à mission française basée à Lyon. Nous sommes les pionniers de l’alimentation bio et végétarienne en Europe et en France, cela fait un peu plus de 30 ans que l’on trace une voie alternative au modèle alimentaire dominant. Nous agissons et sommes connu à travers nos portefeuilles de marques bio et engagées : Bjorg, Alter Eco, Clipper qui sont vendues en grandes surfaces, et Bonneterre, Evernat, Tartex, Danival, vendus en magasins bio, car nous avons la particularité d’être présents sur les deux réseaux de distribution. Ecotone c’est 1600 collaborateurs en Europe (dont 60% des effectifs sont en France) et un chiffre d’affaires de 700 millions d’euros.
The Good : Quelle est votre feuille de route RSE ?
EL : Nous avons fait évoluer notre nom vers Ecotone pour mieux incarner notre mission autour de la biodiversité. Ecotone c’est un nom qui désigne dans la nature l’espace où deux écosystèmes se rencontrent pour s’augmenter. Par exemple, la forêt et la prairie. A la jonction de ces deux écosystèmes, on a un effet magique de 1+1=3 : la biodiversité est plus riche que la somme des deux écosystèmes réunis. Pour nous, c’est une super symbolique de ce qu’on cherche à construire.
Notre raison d’être, clarifiée l’an dernier, est de « nourrir la biodiversité ».
Ecotone a été le premier groupe agroalimentaire européen à décrocher la certification B Corp et sommes entreprise à mission depuis 2019.
Nous avons défini un plan d’engagement pour soutenir notre mission :
– Préserver la biodiversité par une alimentation biologique sans pesticides, sans fongicides, sans insecticides, sans herbicides, sans tout ce qui a pour fonction de tuer le vivant.
– Favoriser une alimentation végétarienne pour limiter la déforestation. Aujourd’hui, 80% de la déforestation de l’Amazonie est liée à l’élevage intensif.
– Faire grandir la biodiversité dans les assiettes puisqu’aujourd’hui, 2/3 de notre alimentation repose sur 9 espèces végétales sur les 6000 qui sont cultivées dans le monde. Proposer des alternatives, diversifier les ingrédients, pour nous, c’est à la fois diversifier les sources d’apports nutritionnels, diversifier les goûts mais c’est aussi stimuler la biodiversité cultivée dans les champs.
– Développer des pratiques agroécologiques qui vont plus loin que les standards du bio en faveur de la biodiversité. Par exemple, développer les rotations longues, la couverture des sols, réintroduire les haies, les bandes fleuries… toutes ces pratiques qui vont favoriser encore plus de biodiversité que les cahiers des charges bio sur les parcelles où sont cultivés nos ingrédients.
Nous avons aussi vocation à protéger la biodiversité via notre fondation en soutenant les projets de restauration et de préservation des espaces qui ont été dégradés, en soutenant par exemple le fonds pour l’arbre qui vise à restaurer et replanter les haies qui ont été massivement arrachées dans les milieux agricoles dans les années 50. Ou encore le projet Elzéard qui vise à rendre de nouveau possible la culture de l’amande bio en France. Pour chacun des engagements, nous avons fixé des objectifs à atteindre d’ici 2030.
The Good : Parmi vos engagements quels sont les plus difficiles à mettre en place ?
EL : Les plus difficiles sont ceux qui visent à faire grandir les pratiques agricoles car le cycle agricole est un temps long. Par exemple, planter des haies, le temps qu’elles poussent et qu’elles aient vraiment un impact, ça prend du temps… C’est difficile de convaincre car cela a pour conséquence d’avoir moins de surface à exploiter. On a l’ambition que chacun y trouve son compte, que l’agriculteur en retire un bénéfice. En faisant revenir la biodiversité, on mise aussi sur des rendements et une plus grande résilience par rapport à ce qui nous attend sur le changement climatique. C’est beaucoup de travail de conviction, d’accompagnement des agriculteurs. On a une équipe filière qui est dédiée à ça.
Concernant le développement d’ingrédients alternatifs, on a beau les avoir travaillés de manière naturelle et intuitive en allant s’attaquer au bio et au végétarien, ce qui reste à aller chercher n’est pas toujours évident. Par exemple, le riz fait partie des 9 espèces les plus consommées. Cela nous pousse à réinventer certaines catégories, à innover, être capables d’imaginer des galettes de riz avec d’autres ingrédients. Est-ce que les consommateurs y trouveront leur compte ? Comprendront-ils l’intérêt nutritionnel et pour la biodiversité ?
L’autre gros enjeu, c’est comment on embarque les consommateurs, les citoyens là-dedans ? La biodiversité est un concept un peu abstrait aujourd’hui, il est difficile à cerner. Quand on dit espèces en voie de disparition, on pense aux animaux exotiques, à la biodiversité extraordinaire. On doit leur faire comprendre que la perte de la biodiversité ne touche pas que la biodiversité extraordinaire, c’est aussi la biodiversité ordinaire et qu’elle est liée à leur pratique alimentaire, à ce qu’ils mettent dans leur assiette et à comment sont cultivés les ingrédients qu’ils mangent.
Le réchauffement climatique a un peu tendance à éclipser tout le reste mais ce n’est pas le seul enjeu environnemental. Il a tendance à être omniprésent et à cacher un peu les autres.
Dans le schéma des limites planétaires, la biodiversité est en urgence absolue par rapport au réchauffement climatique. La biodiversité, une fois que c’est cassé, c’est cassé. Comme tout est interconnecté, à chaque espèce qui disparaît, personne ne sait si ce n’est pas l’espèce de trop…
The Good : Vous êtes une entreprise impact native, la RSE est quelque chose qui infuse “naturellement” dans vos équipes. Quel est le rôle d’ une patronne de la RSE dans une entreprise impact native ?
EL : Nous sommes nés de la RSE mais à un moment donné on a pris un peu de retard. Nous avons vu des conventionnels venir parler de bien-être au travail, de diversité et inclusion, chose que l’on traitait de façon intuitive mais moins de manière processée. On s’est dit c’est dingue ce sujet de développement durable sur lequel nous sommes pionniers, qui est inhérent à la philosophie bio, nous sommes en train de nous faire dépasser. Ça a été un accélérateur pour construire une vraie démarche RSE qui repose sur le bio et le végétarien qui sont nos piliers mais qui englobe aussi d’autres dimensions et nous font travailler en 360.
Nous avons aussi travaillé la culture d’avoir des collaborateurs moteurs, sensibilisés et formés qui ont envie de faire des choses. Mon rôle, c’est de pousser nos engagements encore plus loin pour qu’on ne se repose pas sur nos lauriers. B Corp c’est un super outil pour ça, car le référentiel évolue et devient de plus en plus exigeant. On ne peut pas se contenter de répliquer nos pratiques d’il y a 3 ans, il faut montrer une amélioration continue. Il faut évoluer, progresser, valoriser ce qu’on fait bien, la culture de nos collaborateurs, la sensibilité sur ces sujets-là. Notre monde a encore beaucoup de problèmes à résoudre.
On ne peut pas se contenter de répliquer nos pratiques d’il y a 3 ans, il faut montrer une amélioration continue.
The Good : De quelles actions concrètes êtes-vous fière ? Des challenges que vous avez réussi à relever ?
EL : Sur les pratiques agricoles on est super fiers, on a développé une filière avoine française qui va plus loin sur la biodiversité. On a engagé tout un collectif de producteurs avec un plan de progrès qui répond exactement à ce qu’on souhaitait faire.
On a aussi changé nos contrats d’achat notamment avec nos partenaires, on a inscrit désormais dans nos contrats d’achat à la fois une volonté d’engagement long terme de notre part et un engagement de progrès RSE de la part de nos fournisseurs. C’est important, on a une relation qui va dans les deux sens. On attend que notre fournisseur nous accompagne dans notre feuille de route RSE, qu’il soit partie prenante et moteur là-dessus.
Sur la diversité et l’inclusion, un de nos objectifs majeurs c’est la place des femmes dans les instances dirigeantes. L’entreprise est assez féminine, 52% de femmes, 48% d’hommes mais 34% de femmes seulement sont dans les instances dirigeantes donc c’est un vrai enjeu qui a été pris en main. Sur la diversité on a fait l’anonymisation des CV, un processus de recrutement minimum à 3 personnes en interne pour éviter les biais inconscients, une formation sur ce qu’est un biais inconscient, etc… Pour nous, ça rentre dans notre engagement envers la biodiversité, ça vaut pour la nature et pour nous. Tout ça se lie, il faut davantage de diversité dans la nature mais aussi chez nous, dans nos équipes.
The Good : Avec la multiplication des labels plus ou moins sérieux, comment redonner confiance aux consommateurs et quels sont les travaux qui peuvent être menés en ce sens ?
EL : On voit de plus en plus de labels environnementaux qui sont extrêmement confusants comme l’agriculture régénératrice, zéro pesticide sans réelle performance environnementale derrière. Les gens ne savent plus qui fait quoi. Je trouve qu’il y a un vrai danger à piétiner un chemin qu’on a mis du temps à tracer et ça ne servira pas au final la planète.
On a seulement 6% de bio dans l’alimentation en France, c’est trop peu. Il faut faire grandir ce pourcentage. Tant mieux si d’autres acteurs démocratisent et se mettent à switcher pour des pratiques agricoles plus vertueuses. Mais le bio, ce sont des engagements sociaux et environnementaux beaucoup plus larges, il faut rester conforme à cette philosophie pour ne pas casser le jouet, pour ne pas décevoir les consommateurs. Aujourd’hui, on a un label bio qui marche, les consommateurs ont confiance en lui, il faut le promouvoir et le développer. Et ne pas chercher à faire trop de labels à côté.
Les pouvoirs publics ont leur rôle à jouer et je pense que les industriels aussi, en ne s’engouffrant pas dans cette voie facile d’inventer leur propre label. On a cette capacité à inventer des concepts qui ne changent rien, n’aboutissent à rien mais sonnent bien. Le risque c’est de tout gâcher justement, d’attirer la méfiance du consommateur.
The Good : Comment gardez-vous votre singularité, votre longueur d’avance ? Quelle est votre stratégie de différenciation par rapport aux autres qui sont aussi sur le bio ?
EL : Notre stratégie c’est bio et végétarien, les deux réunis. Il y a vraiment cette notion d’à la fois manger bio et à la fois changer ses habitudes alimentaires pour plus de végétal. Ce que l’on a construit par-dessus ça c’est la biodiversité, c’est les pratiques agricoles avec des critères qui vont plus loin que l’alimentation bio. On travaille beaucoup avec les parties prenantes, en collectif. Les experts qui travaillent dans la Fondation nous alertent aussi. On est beaucoup à l’écoute des attentes consommateurs, des enjeux environnementaux. On a le comité de mission, le comité exécutif de la fondation. Souvent, on fait des panels sur la biodiversité, savoir ce qu’ils attendent, les enjeux qui montent…On a l’avantage d’être présent sur les deux réseaux de distribution, et voir ce qui va arriver en GMS et dans les réseaux spécialisés. Ce qui nous permet d’avoir les deux sons de cloches.
The Good : Justement, quelles sont les grandes tendances que vous voyez arriver ?
EL : Les grandes tendances en GMS : le made in France et les emballages. La notion de biodiversité, du vivant émerge en réseau spécialisé. Les clients veulent aussi comprendre comment le produit a été transformé, quelles sont les pratiques agricoles derrière…ça monte tout doucement mais ça fait partie des points que l’on voit émerger.
Un gros enjeu va être de davantage connecter au niveau groupe avec nos marques. Comment nos marques incarnent, valorisent les engagements du groupe ? Elles deviennent encore plus porte-parole de notre engagement pour la biodiversité, pour B corp.
The Good : Un petit conseil pour vos pairs ?
EL : Nous n’avons jamais abordé la RSE d’un point de vue technique, plutôt toujours réfléchi de manière pragmatique, concrète avec les parties prenantes. Par exemple, pour démarrer on a supprimé les pesticides dans nos espaces verts, mis des moutons pour faire des pâturages, utilisé des fournitures uniquement recyclables. Puis on a effectué un travail de sensibilisation avec des conférences sur pourquoi le bio. On a ré-ancré nos convictions profondes chez nos collaborateurs et ça a déclenché l’envie d’agir. C’est eux qui ont poussé, qui ont demandé ensuite qu’est-ce que je peux faire en finance, en chaîne d’approvisionnement ? Les gens se sont saisis de la feuille de route, du plan d’action. La sensibilisation au démarrage, puis l’engagement sur le pourquoi on le fait sont clé. Derrière ça facilitera toutes les discussions et complexités auxquelles on va devoir faire face.