13/12/2021

Temps de lecture : 4 min

« Nous avons créé la première plateforme de compostage « haute couture » » Stéphan Martinez (Moulinot)

Avec sa casquette, sa boucle d’oreille et sa barbichette grisonnante, Stéphan Martinez a gardé son look d’ancien bistrotier parigot. Ce restaurateur de mère en fils a pourtant choisi de quitter son établissement pour fonder une entreprise de l’économie sociale et solidaire, baptisée Moulinot, qui recycle les déchets de la restauration pour fabriquer du gaz et du compost. Ses 90 salariés récoltent aujourd’hui les détritus alimentaires de 1600 restaurants de la région parisienne. Et ses projets de développement sont prêts. Covid ou pas…

Avec sa casquette, sa boucle d’oreille et sa barbichette grisonnante, Stéphan Martinez a gardé son look d’ancien bistrotier parigot. Ce restaurateur de mère en fils a pourtant choisi de quitter son établissement pour fonder une entreprise de l’économie sociale et solidaire, baptisée Moulinot, qui recycle les déchets de la restauration pour fabriquer du gaz et du compost. Ses 90 salariés récoltent aujourd’hui les détritus alimentaires de 1600 restaurants de la région parisienne. Et ses projets de développement sont prêts. Covid ou pas…

The Good : Comment vous est venue l’idée de récupérer les déchets de la restauration pour fabriquer du gaz et du compost ? 

Stéphan Martinez : Tout est parti d’un constat qui a déclenché quelque chose en moi. Nous sommes restaurateurs depuis trois générations dans ma famille. Ma grand-mère, ma mère, mon frère et moi sommes tous dans le métier. Mon premier établissement était un bistrot près de Montparnasse puis j’ai repris avec mon frère un restaurant de quarante places dans le premier arrondissement. Un jour, j’ai réalisé que tous mes déchets alimentaires étaient enfouis sous terre et j’ai entendu au même moment parler d’une technique utilisée au Canada qui permettait de fabriquer du compost avec des vers de terre. En 2007, j’ai donc décidé de conserver dans la cave de mon restaurant dix kilos de vers de terre à qui je donnais tous mes déchets alimentaires. J’ai convoqué mon chef et ma serveuse pour leur expliquer ce que je faisais et au fil des semaines, de plus en plus de clients me posaient des questions sur mon initiative. Les services se terminaient souvent à la cave où nous nous retrouvions tous ensemble autour d’un verre de jus de pomme pour refaire le monde.

TG : Vous avez rapidement décidé de ne pas vous arrêter en si bon chemin …

ST : J’ai en effet été rattrapé par la patrouille lorsque mon frère m’a fait remarquer que je passais plus de temps à la cave que dans la salle du restaurant. J’ai donc décidé de monter le bas en haut en installant dans notre établissement une boîte contenant 150 vers de terre. Un petit texte et une BD expliquaient ce que l’on faisait et au fil du temps, j’ai réalisé que ce mini-composteur, que l’on a baptisé Moulibox, pouvait servir d’outil pédagogique. Un ver de terre peut faire 500 petits dans l’année et ce petit pépère est hermaphrodite et pond des œufs comme les poules. Ma fille un jour aux Tuileries m’a fait montrer ma boite à une vingtaine de ses copains et copines et quand j’ai réalisé que ces parisiens regardaient ces lombrics comme des dinosaures, je me suis dit que nous pourrions distribuer mes boîtes pour sensibiliser les gens au compostage. L’idée a connu un vrai succès en particulier auprès des enseignants et entre 2007 et 2011, j’ai vendu plus de 3500 Moulibox.

TG : A quel moment avez-vous décidé de passer de restaurateur-éducateur à collecteur-producteur ? 

ST : En 2011, j’ai acheté un nouveau bistrot qui se trouvait à deux pas du GNI, le Groupement National des Indépendants de l’hôtellerie et de la restauration. Cette organisation professionnelle possédait une commission spécialisée dans le développement durable et une amie journaliste m’a conseillé de les rencontrer. Rapidement, nous avons décidé de monter ensemble une opération pilote en partenariat notamment avec la Mairie de Paris et la Région Ile-de-France. Durant toute l’année 2014, nous avons récolté les déchets alimentaires de 80 professionnels dans trois arrondissements parisiens. Nous allions aussi bien chez Taillevent, Fauchon et Lasserre que dans des bistrots de quartier. Nous avions budgété de récolter 260 tonnes et nous en avons en réalité collecté… 580 tonnes. Cette opération nous a permis de sensibiliser plus de 2500 salariés de la restauration sur les questions liées au gaspillage. Leur implication et notre décision d’utiliser des sacs transparents et non plus opaques les ont convaincus de faire attention à ce qu’ils jetaient. Les sacs contenaient ainsi moins de 2% d’erreurs de tri. Le succès de ce test m’a encouragé à créer une véritable structure de collecte et de valorisation des déchets alimentaires.

TG : Comment vous êtes-vous lancé dans cette aventure ? 

ST : Nous avons commencé par collecter les déchets alimentaires de grands événements comme la COP21 et nous nous sommes ensuite rapprochés de grands comptes de la restauration tels Sodexo et Elior. En 2019, nous avons créé la première plateforme de compostage « haute couture » capable de produire des engrais de haute qualité. Nous nous sommes également liés à un collectif d’agriculteurs-méthaniseurs appelé La Ferme afin de produire du biogaz. Ce partenariat a permis de créer un pont entre la campagne et la ville.

TG : Quelle est la taille de Moulinot aujourd’hui ? 

ST : Nous avons valorisé à ce jour 55.000 tonnes de déchets alimentaires et nos 36 camions récupèrent chaque mois 1700 tonnes de déchets auprès de 1600 clients en Ile-de-France qui vont de… l’Elysée, à des lycées, des hôpitaux, des marchés, des événements, des restaurants indépendants et des chaînes de restauration rapide. Nous avons créé de A à Z une filière de récolte et de valorisation des déchets avec une méthodologie environnementale mais aussi sociale. Nous sommes en effet aujourd’hui une entreprise solidaire d’utilité sociale qui emploie des personnes en réinsertion professionnelle mais aussi un organisme de formation car nous formons à deux métiers : collecteur.rice de biodéchets et éco-animateur-rice/ambassadeur.rice du tri. Notre taux de remise à l’emploi après notre cursus de 300 heures de formation est de 76%. Nous avons aujourd’hui 90 CDI dans l’entreprise.

TG : La pandémie n’a pas été un obstacle à votre développement ? 

ST : C’est le moins que l’on puisse dire… Nous étions habitués depuis 5 ans à des taux de croissance annuels de 100% et avec les confinements, notre activité à chuté de… 92%. Le chômage partiel, le PGE et nos réserves nous ont permis de tenir le choc. Nos vers ont bien résisté car ils s’adaptent parfaitement à la nourriture qu’on leur donne. Cette crise sanitaire n’a toutefois pas freiné notre stratégie de croissance. La généralisation du tri à la source des biodéchets y compris chez les particuliers sera obligatoire en 2024. Aujourd’hui, à peine 4% de ces déchets sont collectés et valorisés. Nous pensons que la solution que nous avons développée et qui s’adressait au départ surtout aux restaurateurs peut aussi répondre aux besoins des collectivités locales. Notre objectif est donc de dupliquer notre modèle sur un territoire plus étendu. En septembre 2022, nous allons inaugurer à Réau en Seine-et-Marne une seconde plateforme de prétraitement des biodéchets à moins de 800 mètres d’un agriculteur-méthanisateur et si tout se passe bien, nous devrions compter 5 à 6 unités en 2027 et employer 500 salariés. Nous avons notamment de bons contacts à Bordeaux…

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