25/04/2022

Temps de lecture : 4 min

Aurélie Stewart (Elior) : “Sans démarche inclusive, il n’y a pas de collectif engagé”

Chaque mois, un.e membre du collège des Directeurs du Développement Durable partage avec la communauté de The Good son chemin vers l’impact. Quels ont été ses déclics ? A quels enjeux il/elle est confronté.e dans son quotidien professionnel ? Quelles sont ses fiertés ? Cette semaine, c’est Aurélie Steward, responsable RSE d’Elior qui prend la plume pour nous partager son expérience et sa reconnaissance du collectif et des petits pas.

Chaque mois, un.e membre du collège des Directeurs du Développement Durable partage avec la communauté de The Good son chemin vers l’impact. Quels ont été ses déclics ? A quels enjeux il/elle est confronté.e dans son quotidien professionnel ? Quelles sont ses fiertés ? Cette semaine, c’est Aurélie Stewart, responsable RSE d’Elior qui prend la plume pour nous partager son expérience et sa reconnaissance du collectif et des petits pas.

Depuis 25 ans, j’évolue dans l’univers de l’alimentaire. A mes débuts, je parvenais rarement à formuler mon attachement à cette industrie, les postures de mes interlocuteurs frisant très vite l’industrie bashing. J’opposais alors, avec passion, arguments et preuves de nécessaires tolérances à l’égard du secteur qui nourrit les Hommes, finissant par légitimer en bloc l’ensemble du système. Après avoir côtoyé quelques années les réalités du secteur, il devenait « acrobatique », émotionnellement et intellectuellement, de justifier certains mécanismes ahurissants de production de notre alimentation. Produire notre nourriture vitale est-elle une fin si noble, si absolue qu’elle justifie tous les moyens ? Ma situation était de plus en plus inconfortable.

Puis, mon fils, incarnation du monde et de la génération d’après, a fait irruption dans ma vie. Soudain, projetée concrètement dans notre futur, j’ai deviné le regard qu’il portera, plus tard, sur mes choix de loyauté, mes justifications d’absurdités, mes « tolérances » à l’égard d’un système caduque. Ce regard du futur, déclic ultime, ne m’a pas plu. Il m’intimait de faire un pas de côté pour questionner, faire progresser de l’intérieur, en toute humilité, les panels de sociétés humaines que sont les entreprises. Mon besoin impérieux de faire « autrement » a donc trouvé son origine dans le regard d’un autre, cristallisant le regard de tous les autres, qui ne peuvent plus légitimer les incongruités d’un système qui fait autant voyager un jean qu’un filet de cabillaud.

Je me suis engagée à participer à la transition de mon secteur de prédilection depuis l’intérieur, munie d’un tempérament naturellement confiant dans le progrès humain et de la certitude que la nuance et la diversité seront les premières pierres qui serviront à paver le chemin. Et là, j’ai rencontré une majorité qui, individuellement et collectivement, à l’échelle d’un atelier, d’une usine, d’une direction, est mue par la volonté de faire mieux et plus durable, sans vagues ni tempêtes, sans posture dogmatique ou revendication militante. J’ai rencontré des Madames et Monsieurs Jourdain. Ceux-là même qui, comme moi, composent un système qui parfois marche sur la tête, respectent les règles de production de masse, mais « font » aussi du développement durable sans le savoir, comme d’autres de la prose. 

La transition environnementale et sociétale ne sera pas le fait de quelques happy few. Elle a besoin de toutes les énergies, difficilement mobilisables sur le temps long sous la contrainte ou la menace d’un monde qui s’écroule. Démontrer que la plupart des Jourdain du secteur explorent déjà le chemin de la transition rend l’objectif de sobriété plus accessible, plus audible. Ainsi, en apposant le mot « responsable » sur certains des petits pas déjà effectués, même sous l’égide de la productivité, je cherche à encourager, à donner des perspectives atteignables.

La transition environnementale et sociétale ne sera pas le fait de quelques happy few.

Pour y parvenir, je m’attarde rarement sur les objectifs institutionnels, j’utilise très peu le champ lexical de l’expertise et encore moins politique. Le monde durable décrit par ces parties prenantes est encore flou et incertain. Savoir ce qu’on ne veut pas, ce qu’on ne doit pas atteindre en tant que société humaine n’implique pas forcément connaître ce que l’on veut. A l’échelle de mon écosystème professionnel, déjà majoritairement conscient de son impact, le temps est davantage à s’outiller pour agir plus qu’à définir les contours exacts de l’objectif à atteindre. Je suis convaincue que, pour générer du changement durable, les parties prenantes externes sont certes nécessaires mais pas suffisantes. Il faut donner les moyens d’expression aux agents de l’intérieur. Être dedans et avec eux.

Je pétille littéralement lorsqu’un impératif durable, au sens RSE, se concilie harmonieusement avec une « bonne pratique » qualifiée comme telle selon les standards productifs classiques. Exemple récent tiré d’un entretien avec mon référent Hygiène (qui par ailleurs fait preuve d’un exceptionnel sens pédagogique devant la béotienne que je suis) : sans eau, beaucoup des flores bactériennes, dont certaines problématiques pour garantir la sécurité sanitaire en alimentaire, périclitent. En conséquence, les plans de maitrise d’hygiène concernant le nettoyage évoluent pour limiter l’utilisation de l’eau à sa juste quantité et s’affranchir de la technique « des grandes eaux » connues jusqu’alors. La philosophie est de n’utiliser de l’eau que quand c’est nécessaire, en quantité adaptée et donc limitée, et de l’éliminer ensuite totalement. Cette approche s’articule parfaitement avec l’objectif de réduire nos consommations d’eau. Il ne reste « plus qu’à » s’assurer que la solution (de nettoyage sobre en eau) ne génère pas plus d’externalités négatives que le problème initial (la consommation de ressource). Je jubile quand une approche purement RSE, telle que l’analyse des scénarios d’adaptation de l’entreprise au changement climatique à horizon 2050, sujet effrayant s’il en est, résonne auprès des équipes techniques d’aujourd’hui, faisant écho à leurs besoins immédiats de critères de spécifications des équipements de demain. Certes, ces outils ne seront certainement pas à l’origine d’un grand soir du « monde d’avant ». Certes, à l’échelle de la planète, les petits pas ne suffisent plus. Mais sans démarche inclusive, il n’y a pas de collectif engagé. Et donc pas de grand pas pour l’humanité (sorry Neil…) non plus. Bonne nouvelle, de tels collectifs se multiplient et croissent (Bonjour le C3D !), permettant un effet d’entraînement exponentiel. Donner les moyens de faire plus responsable véhicule à la fois un éloge à la diversité (des façons d’y arriver) et une invitation à construire (un monde durable rapidement). Je ne prétends pas être un colibri opératif en tant que tel. Mon impact professionnel réside à équiper mes collègues-Jourdain-colibris qui, en retour, partageant leur expertise, leur expérience, pavent mon propre chemin.

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