16/05/2022

Temps de lecture : 6 min

Christophe Audouin (Les Prés Rient Bio) : « Notre singularité c’est d’être ancré et d’être dans la proximité »

Les Prés Rient Bio est la filiale bio de Danone qui détient les marques Les 2 Vaches et Faire Bien. “Impact native”, elle a su développer une trajectoire de progrès au-delà du bio, notamment sur le volet de l’équitabilité avec les éleveurs. Cela lui permet aujourd’hui d’obtenir un score B Corp en forte évolution et de faire face sur un marché du bio qui ralentit. Rencontre avec Christophe Audouin, directeur général des Prés Rient Bio.

Les Prés Rient Bio est la filiale bio de Danone qui détient les marques Les 2 Vaches et Faire Bien. “Impact native”, elle a su développer une trajectoire de progrès au-delà du bio, notamment sur le volet de l’équitabilité avec les éleveurs. Cela lui permet aujourd’hui d’obtenir un score B Corp en forte évolution et de faire face sur un marché du bio qui ralentit. Rencontre avec Christophe Audouin, directeur général des Prés Rient Bio.

The Good : Les 2 Vaches ont 15 ans. Comment cette marque emblématique du bio s’est-elle créée ?

Christophe Audouin :  Le projet des 2 Vaches a émergé chez Danone au début des années 2000, avec l’envie de répondre à deux problématiques intimement liées : celle d’un marché du bio émergent mal maîtrisé par Danone et celle de la crise liée aux conversions en bio notamment du côté des éleveurs laitiers. Le premier combat de la marque était donc de sauver les fermiers bio, en développant un marché de l’ultra-frais bio jusque-là réservé aux connaisseurs, avec des produits austères et peu gourmands. Nous sommes arrivés avec une proposition à la fois légère sur la forme et très solide sur le fond, symbolisée par nos 2 vaches, l’une décalée qui apporte la dérision et l’autre sérieuse qui apporte l’engagement.

Dès le début nous avons mis en place une structure protectrice du projet, pour pouvoir faire les choses différemment. Nous nous définissons plus comme une entreprise que comme une marque, car l’entreprise est faite d’hommes contrairement à une marque qui est une vue de l’esprit. Seule une entreprise peut avoir une vision, une raison d’être, du fait de son unicité, sa complexité et son interdépendance avec ses parties prenantes.

Sur l’amont, nous avons toujours été exigeants avec nos éleveurs. Ce n’était pas simple au début puisque nous leur demandions de changer leur modèle et leurs pratiques. Mais nous avons réussi à les embarquer, et nous avons même réussi à sauver notre laiterie en Normandie qui était potentiellement condamnée à moyen terme faute de volumes additionnels.

TG : Comment maintient-on une longueur d’avance en matière d’exigence ?

C.A : Notre singularité c’est d’être ancré et d’être dans la proximité. Le fait de travailler avec les mêmes personnes depuis 15 ans en Normandie nous rend responsables d’eux et c’est le plus important. Même quand on va chercher nos ingrédients à Madagascar ou en Sicile pour notre vanille ou nos citrons, nous réduisons les intermédiaires pour connaître les gens avec qui nous travaillons et être co-responsables. Ainsi j’invite mes équipes à être un maximum en contact avec nos éleveurs, nos agriculteurs pour que chacune de leurs décisions soit prise en les ayant toujours en tête.

Le grand pas en avant est venu avec la certification B Corp en 2017. A l’époque nous avions obtenu 82 points. Aujourd’hui nous sommes à 128 points. Nous avons connu une phase d’accélération absolument prodigieuse sur des sujets tels que la réduction de notre empreinte carbone, l’amélioration de nos emballages, le passage à la DDM (date du durabilité minimale), la simplification de nos recettes, le Planet score. Cela est aussi lié à notre passage à l’équitable, à notre travail de structuration de notre raison d’être, de nos filières, à notre engagement avec nos communautés locales. Nous laissons par exemple au moins 2 journées par an à nos équipes pour aider des associations connectées à nos problématiques (gaspillage alimentaire, agriculture, etc..).

TG : Dans un marché bio en récession l’an dernier, qu’est-ce qui vous a permis de tirer votre épingle du jeu ?

C.A : Nous sommes aujourd’hui bio et équitables. C’est un cheminement logique de toute notre démarche de construction de filière. Nous souhaitions encadrer nos contrats bio avec un contrat équitable pour sécuriser nos financements d’un côté et nos éleveurs de l’autre. Nous allons plus loin qu’un contrat bio classique, en s’engageant avec eux pour 4 ans et en leur garantissant un prix minimum. Cela se traduit par un label sur nos packs, par une certification Ecocert et par une communication pédagogique vers les consommateurs. C’est à ce moment-là que nous avons pris le leadership en termes de parts de marché. C’est ancré maintenant, nous sommes une entreprise bio et équitable.

TG : Ce cheminement vers le bio équitable se traduit aussi à travers votre programme Reine Mathilde ?

C.A : La 1ère version du programme Reine Mathilde portait sur l’encouragement à la conversion. La 2ème version se concentrait sur l’amélioration des techniques en autonomie protéique et alimentaire pour améliorer les coûts de production et rendre nos agriculteurs plus résilients. La 3ème version concernait la santé des sols et la biodiversité. Nous venons de boucler le financement pour la 4ème version (avec entre autres l’Agence de l’eau, la région Normandie et le fonds Danone écosystème) : nous y traitons le sujet du dérèglement climatique et des besoins fondamentaux de nos éleveurs. Si l’on veut faire en sorte que les éleveurs, les agriculteurs soient des acteurs du changement et non des personnes qui subissent cette crise climatique, il faut les accompagner.

Notre conviction est que les entreprises font partie de la solution à la crise sociale et climatique, en tant qu’acteurs politiques du changement de la société. Notre raison d’être est d’apporter des solutions à la crise sociale et environnementale et surtout de faire en sorte d’embarquer nos parties prenantes dans la mise en place de ces solutions, pour démultiplier notre impact. On consacre beaucoup de temps au partage de nos bonnes pratiques. Si par nos actions, on donne envie à Danone de faire certaines choses différemment, on commence alors à vraiment impacter.

Si par nos actions, on donne envie à Danone de faire certaines choses différemment, on commence alors à vraiment impacter.

TG : Quels sont vos axes stratégiques ?

C.A : De cette vision et cette raison d’être, nous avons définis 3 axes stratégiques, sous 3 piliers : Slow, Dare et Care. Slow s’adresse aux consommateurs citoyens. Le slow, c’est l’idée de privilégier la distance à la vitesse, aller loin plutôt qu’aller vite. Nous prenons notre temps pour faire les choses au mieux, notamment sur les recettes. Faire au plus simple et au plus naturel possible avec des ingrédients que l’on pourrait trouver dans sa cuisine. Notre communication, nous essayons qu’elle ne soit pas influente et manipulatrice mais préférons la pédagogie et la transparence. Il faut que nos consommateurs soient pleinement conscients de leurs choix. Le deuxième pilier, Dare, concerne le fait d’oser changer les pratiques pour réinventer un modèle d’agriculture durable. Cela signifie aussi se poser la question du prix : en quoi cela impacte la rémunération, le coût de nos matières premières et comment nous arrivons à les valoriser ? Le dernier pilier, Care, concerne l’accompagnement de toutes nos parties prenantes. Comment entreprendre ce voyage avec eux, ne laisser personne sur le bord du chemin en amont ou en aval.

TG : Quels sont justement vos indicateurs d’impact ? 

C.A: Nous avons mis en place 3 indicateurs macro d’impact, qui dépassent même notre activité. Sur Slow nous regardons la capacité de nos consommateurs exposés à notre communication et à nos produits des 2 Vaches à modifier profondément leurs habitudes de consommation. Nous allons mesurer pendant 5 ans leurs habitudes de consommation pour voir si elles changent vers le mieux et si nous avons un réel impact sur leurs façons de consommer. Pour le pilier Dare, nous analysons en quoi nos décisions, nos projets avec les éleveurs, changent et améliorent leurs besoins fondamentaux.  Fin 2021, nous avons fait une étude complète en interviewant 70% de nos éleveurs avec un questionnaire dressant l’éventail de tous leurs besoins fondamentaux. Un des volets de Reine Mathilde va justement financer pendant 4 ans cette étude d’impact. Sur le pilier Care, nous allons mesurer notre capacité à inspirer, à faire bouger un certain nombre de sujets chez Danone. Nous le suivrons par des indicateurs de transformation, le premier étant B Corp.

TG : Quels sont vos enjeux à venir ? 

C.A : Quand on voit la situation de l’agriculture et de l’alimentation, on se dit que l’on n’a encore rien fait. C’est un tel chantier. On a tellement mal fait les choses pendant des années qu’il y a encore beaucoup à faire. Sur l’autonomie alimentaire, le bien-être des éleveurs, l’empreinte carbone, le bien-être animal, il y a urgence à aller plus loin. Tous ces sujets sont liés. Quand on parle des besoins fondamentaux de nos éleveurs, ils nous parlent de la charge mentale, de la charge de travail, de la pression sociale avec la société – qui les considère de plus en plus comme des assassins parce qu’ils élèvent des vaches pour les emmener à l’abattoir. Ces sujets sont d’une telle complexité qu’il va falloir faire preuve d’une créativité et d’une originalité d’un point de vue économique pour toujours réussir à concilier les changements de pratiques nécessaires, la viabilité d’un modèle économique et l’accessibilité au consommateur. De plus, la pression des enjeux climatiques ne fait que s’accentuer, ce qui fragilise aussi les modèles. Sur le sujet de l’alimentation c’est pareil, il reste encore un chemin considérable à faire. Prenons le sujet des emballages. Il va lui aussi être structurant en termes d’impact et d’accessibilité. Le plus économique et le plus accessible jusqu’à maintenant était de vendre 16 pots de yaourt dans des pots en plastique individuels sur-emballés de cartons. Quand vous commencez à vous intéresser aux matériaux, à la recyclabilité, au vrac, les comptes d’exploitation des entreprises ne sont plus viables, ou bien les produits deviennent inaccessibles pour les consommateurs.

TG : Peut-on alors concilier véritablement impact et rentabilité ? 

C.A : Notre chiffre d’affaires est de 70 millions d’euros. Nous avons trouvé notre point d’équilibre en 6 ans. Aujourd’hui, nous sommes sur des niveaux de profitabilité certes encore légèrement inférieurs aux standards de Danone, mais qui sont extrêmement intéressants car ils permettent de créer plus de valeur pour tous.

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