Depuis 2018 l’Institut de l’Entreprise, avec la Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises (FNEGE) et PWC France et Maghreb, mène une réflexion sur l’Entreprise Full-RSE à horizon 2030, qui serait nativement responsable, avec deux études, côté des dirigeants et côté parties-prenantes. Le troisième volet s’adresse aux fonctions de l’entreprise (RH, Marketing, SI, Communication,…) avec pour chacune un atelier de partage et de co-construction entre pairs recourant à la méthodologie de design fiction. Ces derniers ont réuni plus de 90 entreprises, dix associations professionnelles, une trentaine d’académiques pour se demander comment sera cette entreprise pleinement responsable en 2030 ?
Les entreprises agissent dans et pour un environnement distinct. Si ce dernier se dégrade, les entreprises aussi. Alors par esprit égoïste de survie ou par volonté propre guidée par l’altruisme de contribuer positivement à la société, la nature, la science, la culture et la liberté, elles doivent repenser leurs rôles, leurs modèles et l’impact de leurs activités. Pour ce faire, elles ont intégré des politiques de responsabilité sociale et environnementale qui sont un bon point de départ. Maintenant, il leur incombe de repenser la place de la RSE dans tous les métiers, toutes les ambitions et pratiques de l’entreprise pour que la RSE ne soit plus seulement la cerise sur le gâteau mais bien le gâteau en lui-même. Et ce n’est pas leurs collaborateurs souhaitant contribuer à l’intérêt général ou les deux-tiers des Français interrogés par ELABE pour l’Institut de l’Entreprise déclarant que les entreprises ont le pouvoir d’améliorer le monde actuel, qui proclameront le contraire. Quelle est donc la recette de ce gâteau ? Comment ne plus être dans le prisme de la satisfaction client régi par la recherche constante du profit et passé dans celui de la satisfaction citoyen guidée par l’empreinte positive que l’on laisse ?
Une nouvelle organisation avec des fonctions aux missions plus transversales
L’Entreprise Full-RSE est une entreprise désilotée aux frontières poreuses avec des fonctions qui connaissent une transversalisation de leur action et un élargissement de leur périmètre et des parties-prenantes plus impliquées dans les prises de décisions. Sont privilégiées la mutualisation des ressources, l’interopérabilité et la coopération pour créer un écosystème plus vertueux au bénéfice de tous. D’ailleurs la notion de bras droit perd de son sens puisque chaque membre du collectif a le même niveau de responsabilité. La Direction Générale délègue davantage de son pouvoir de décision aux directeurs locaux. Il n’est d’ailleurs plus attendu d’elle qu’elle soit dans une logique pyramidale mais qu’elle rassemble un collectif autour d’une raison d’être en co-construisant sa stratégie avec son Comex, son conseil d’administration, voire ses salariés. L’administrateur qui voit lui aussi son rôle évoluer fait figure de contre-pouvoir. Il prend de l’envergure avec des responsabilités et interactions plus étendues sans oublier sa mission première qui est d’inscrire la stratégie de l’entreprise dans la durabilité et de veiller à l’impact des orientations prises. Certaines fonctions se situent davantage “au cœur des processus de l’entreprise” comme la fonction SI qui intervient sur la conception « green, social and secure by design » des systèmes, logiciels et applications optimisés de l’entreprise. D’ailleurs si le télétravail venait à s’installer dans le temps, la DSI deviendrait naturellement responsable du maintien du lien social. D’autres assument un rôle de “chef d’orchestre” prenant de la hauteur au sein de l’entreprise. C’est le cas des RH rebaptisées sous le vocable “People and Organizations” chargées de la gestion du collectif interne et externe qui assument un rôle plus stratégique. La fonction Supply Chain est le “chef d’orchestre” qui veille à la bonne application des engagements RSE tout au long de la chaîne de valeur. Beaucoup soulignent la nécessité de renforcer le dialogue avec les autres fonctions opérationnelles de l’entreprise comme la fonction Finance chargée du reporting des données financières et extra-financières auxquelles elle accordera autant d’importance ou encore de la fonction Communication qui veille à la cohérence des messages véhiculés par l’entreprise. La fonction RSE ne se dissout pas, elle garde au contraire toute sa place pour maintenir le cap.
Une montée en compétences nécessaire
L’Entreprise Full-RSE a un défi majeur qui l’attend : réinventer son modèle d’affaires en repensant les notions de « performance », de « valeur » ou de « croissance » pour sortir d’une vision étriquée de la performance limitée à la simple création de valeur pour l’actionnaire. Pour cela, elle a besoin que toutes ses fonctions montent en compétences et ce avant même leurs entrées en poste. Il sera nécessaire de travailler de manière plus étroite avec le monde académique pour préparer les futurs leaders, dès leur formation initiale, aux modes de fonctionnement et aux enjeux de l’Entreprise Full-RSE. Les récents discours d’étudiants à HEC ou bien Polytechnique soulignent déjà cette volonté d’être formé. L’upskilling, le reskilling, l’outskilling concerne toutes les fonctions tout comme l’appui de nouvelles technologies qui permettront de se délaisser des tâches chronophages à faible valeur ajoutée. Par exemple, la fonction Achats grâce à l’automatisation des processus de commandes peut se concentrer davantage sur l’accompagnement de ses fournisseurs dans leur transformation RSE. L’Entreprise Full-RSE recrute des profils influents, empathiques et polyvalents pour des équipes hétérogène. Le déploiement systémique des stratégies Full-RSE et les défis qui les accompagnent exigent une palette à la fois de compétences métier, d’expertises techniques (hard skills) et de qualités humaines (soft skills). Dans un environnement incertain, les compétences métier traditionnelles restent essentielles mais ne suffisent pas. Une variété d’expertises techniques sont nécessaires pour répondre à plusieurs défis parmi lesquels figurent la reconception de son modèle d’affaires, le recours à la technologie comme source d’émancipation et non d’aliénation, la consolidation de la culture d’entreprise dotée d’un sens du collectif, la montée en compétences de tous les collaborateurs, la capacité à embarquer tout l’écosystème de l’entreprise dans une dynamique de transformation qui ne peut être que systémique. De nouveaux outils qui intègrent les externalités, la dimension immatérielle des actifs de l’entreprise et de ses impacts voient le jour. D’ici 2030, l’Entreprise Full-RSE devra prouver son utilité et se réinventer pour évoluer dans un des trois mondes imaginées selon la méthode de design fiction : PACE qui sera une continuité de notre monde actuel contrôlé par la mondialisation, MUTATE qui engagera une mutation écologique sans pour autant en faire une priorité et SLOW, un monde de décroissance vertueux. A terme, la RSE sera pleinement intégrée à tous les niveaux de l’entreprise qui devient multi-locale tout en généralisant le télétravail. Plus présente sur les territoires, l’Entreprise Full-RSE irrigue des écosystèmes locaux en interagissant avec une multitude d’acteurs territoriaux, notamment les collectivités locales.