(contenu abonné) La directrice impact de l’entreprise de production et de fourniture d’électricité et nouvelle vice-présidente du Collège des directeurs du développement durable (C3D) se livre sur son passage de la direction financière à celle de la RSE, sur les contours de sa mission et sur ce qui est, selon elle, le plus difficile à exécuter à ce poste.
TheGood : Après une vingtaine d’année dans la finance, vous avez rejoint Edf en 2010 : pourquoi cette transition et comment est-elle arrivée ?
Carine de Boissezon : J’ai effectivement commencé ma carrière chez Morgan Stanley, avant de rejoindre EDF en 2010 à la direction financière. Dès mes premières années, j’ai été confrontée à des sujets liés à la RSE, notamment via le fond souverain norvégien, à l’époque notre deuxième actionnaire après l’Etat, qui souhaitait filtrer son portefeuille de participations sous le prisme de la RSE. En 2013, nous avons lancé les premiers green bonds de taille importante pour une entreprise.
J’ai rejoint la direction du développement durable en juillet 2019, qui a été rebaptisée direction Impact en mai 2022. 2019 a d’ailleurs marqué un tournant dans la transition écologique des entreprises, avec une prise de conscience massive des parties prenantes, des manifestations étudiantes comme les Marches pour le Climat, la Loi Pacte sur les entreprises à mission… Mais jusqu’à encore récemment, la notion d’impact n’était pas encore très développée. Aujourd’hui, c’est davantage le cas, et de manière plus transparente. Les entreprises sont soucieuses de ce que leurs parties prenantes pensent d’elles, et de traiter les sujets de manière systémique.
TheGood : Quel est le bilan chiffré de vos actions RSE chez EDF, de 2019 à aujourd’hui ?
Carine de Boissezon : EDF a fait partie des premières entreprises à avoir publié leur Impact Score, ce référentiel développé par plus de 30 réseaux d’entreprises engagés pour accélérer la transformation écologique et sociale de leurs membres et de l’économie en général, sorti en 2022 sous la tutelle du Mouvement Impact France. Les territoires se lancent aussi, puisque la région Occitanie par exemple est train d’imposer l’impact score à toute entreprise sollicitant une aide régionale
Nous avons inscrit notre raison d’être (« construire un avenir énergétique neutre en CO2, conciliant préservation de la planète, bien-être et développement, grâce à l’électricité et à des solutions et services innovants ») dans nos statuts, revu dans ce contexte l’architecture RSE du groupe dans son entièreté et celle-ci reflète bien le concept du donut de l’économiste Kate Raworth avec la notion de plancher social et plafond écologique avec quatre piliers : climat, ressources, développement responsable et bien-être/solidarité. Nous n’utilisons pas que des mesures quantitatives, mais aussi des mesures qualitatives pour mesurer notre impact, utiles notamment pour la biodiversité. Nous avons des objectifs à courts, moyens et longs termes, et nous inscrivons dans les processus stratégiques et financiers comme le budget ou le plan moyen terme.
EDF est un groupe fier de produire 97% d’électricité décarbonée. Notre objectif est d’atteindre le zéro émissions nettes, et ce en intégrant les problématiques liées aux limites planétaires.
TheGood : Quelles ont été vos plus grandes difficultés ?
Carine de Boissezon : Passer d’une stratégie climat à une stratégie prenant en compte des limites planétaires ! Nous produisons de l’électricité décarbonée, tout en étant soucieux de préserver la ressource en eau ou de minimiser nos impacts sur la biodiversité.
L’intégration de nouvelles normes européennes, comme la CSRD, est également complexe, mais cela va dans le bon sens, pour rapprocher les enjeux financiers et extra financiers.
TheGood : Justement, comment les collaborateurs s’engagent-ils dans la transition et comment les accompagnez-vous ?
Carine de Boissezon : Chez EDF nous cherchons à faire en sorte que la transition énergétique soit juste et inclusive. Nous embarquons les collaborateurs sur ce sujet avec des narratifs positifs. Et ce, notamment via la sensibilisation et la formation. Plus de 72 000 collaborateurs ont réalisé une fresque du climat depuis trois ans, et 1800 d’entre eux sont devenus animateurs de ces ateliers. Nous organisons par ailleurs des cycles de conférences où nous convions des économistes et experts pour, par exemple, éclairer nos salariés sur des questions philosophiques telles que « le bonheur est-il dans la croissance ? », toujours avec le cadre de la théorie du donut.
Nous souhaitons accompagner les salariés du Groupe afin qu’ils soient nos meilleurs ambassadeurs, que ce soient en les aidant dans leur façon de se déplacer, de manger dans nos restaurants d’entreprise ou de rénover leur domicile. On les met au défi de « combattre le CO2 » dans le cadre d’un passeport neutralité carbone réalisé avec la DRH, ils sont plus de 36000 à l’avoir obtenu !
Nous proposons enfin des formations, comme ce programme « Engagés pour la planète » que nous venons de lancer pour les inciter à passer à l’action, ou encore le cursus « Environnement et société » pour les salariés déjà impliqués au quotidien sur les enjeux de RSE.
Un collectif de salariés baptisé « Rhizome » s’est constitué de manière autonome et indépendante sur les sujets écologiques depuis plus de trois ans avec l’ambition d’accélérer à l’échelle d’un site ou d’une direction sur la transformation nécessaire pour réussir la transition écologique.
TheGood : Sentez-vous l’ensemble de vos parties prenantes mobilisées pour limiter leurs impacts négatifs et maximiser leurs impacts positifs ?
Carine de Boissezon : oui, à différents niveaux, et en particulier pour les projets où les enjeux RSE peuvent être au cœur de la réussite comme souvent à l’international où nous développons des infrastructures très stratégiques, comme des barrages qui peuvent représenter entre 30% et 50% des capacités des pays. Il est essentiel de rester toujours en contact avec les attentes des parties prenantes, et notre Conseil de Parties Prenantes, composé de 13 personnalités de la société civile comme des climatologues, des spécialistes des droits humains, des représentants de collectifs étudiants, nous aide à nous améliorer sur tous les sujets, sans tabou.
TheGood : Quelles sont vos priorités pour les années à venir ?
Carine de Boissezon : Un de nos principaux enjeux est l’adaptation au changement climatique et la résilience face au scénario +4°C que le gouvernement a posé lors de la consultation lancée cet été. Le climat n’est pas un sujet de flux mais de stock, donc même en continuant à baisser nos émissions nous savons déjà que nous devrons adapter nos modes de vie, la façon de nous nourrir ou nous déplacer. Toutes nos entités réalisent des plans d’adaptation au changement climatique, mis à jour régulièrement en fonction des prévisions. C’est une question sur laquelle nous travaillons de façon systémique, avec les territoires et des partenaires, car il est essentiel de ne pas être résilient tout seul !
TheGood : Quid de votre nouvelle casquette de vice-présidente du C3D ?
Carine de Boissezon : Je viens effectivement d’être nommée vice-présidente du Collège des directeurs du développement durable (C3D) en juillet 2023, dont la mission est de transformer les modèles d’affaires, pour qu’ils soient respectueux des limites planétaires et socialement responsables. Ce réseau de plus de 300 entreprises est très engagé pour partager les bonnes pratiques en matière de RSE, et ainsi inciter les entreprises à jouer pleinement leur rôle dans la transition écologique.