« Pourquoi donc quittes-tu la RSE d’Orange pour prendre la direction d’une école de commerce ? Quelle est la logique ? » Questions que j’ai beaucoup entendues à l’automne 2014, sous-entendant qu’entre les écoles de commerce, prônant le trading à haute vitesse et la (sur)consommation, et le développement durable, il n’y aurait que peu de lien, et au mieux pas mal de greenwashing….
Ma réponse est simple. Le développement durable et une Grande Ecole, fût-elle de management, s’occupent tous les deux des générations futures.
De plus, il ne s’agissait pas de n’importe quelle école de management. Institut Mines-Télécom Business School (IMT-BS) est la grande école de commerce publique, centrée sur le numérique, mon métier d’origine, entourée de 7 écoles d’ingénieurs, ma formation d’origine. Elle est surtout socialement inclusive 60% des étudiants sont boursiers et à ce titre exonérés des droits de scolarité qui dépassent les 10 000 € par an dans les autres écoles . Une école différente, qui fait encore, indéfectiblement, fonctionner l’ascenseur social dont j’ai moi-même eu la chance de bénéficier.
Pendant les 6 années précédentes, en ayant créé un poste de Directeur du Développement Durable au sein du marketing stratégique d’Orange, j’ai porté la conviction que le Développement Durable, malgré les contraintes qu’il impose, peut être un levier d’innovation et de création de valeur pour une entreprise comme Orange. Sans ignorer ses aspects négatifs (matières premières, énergie, déchets, fracture numérique), le numérique peut être un formidable accélérateur du déploiement de nouveaux modèles économiques, de l’économie circulaire à l’économie de la fonctionnalité
Mais en 2008, cette conviction était très peu partagée, et le directeur du développement durable était perçu comme un empêcheur de « businesser » en rond, dès qu’il osait s’intéresser au cœur de l’activité de l’entreprise. Toutes les bonnes raisons, attentes clients, ROI, impossibilités techniques, étaient immédiatement mises en avant pour ne surtout rien changer… Être du métier, s’appuyer sur ses formations d’ingénieur ou dans une grande business school américaine et comprendre ce qu’il y a sous le capot d’une livebox et ce que sont les enjeux business, tout en maitrisant les concepts et les outils de l’analyse du cycle de vie sont essentiels pour convaincre que l’éco-conception a du sens….
C’est aussi à ce moment-là, dans les débuts dans la fonction, face à toutes les difficultés, qu’il a été crucial d’adhérer à une petite association tout juste créée, le Collège des Directeurs du Développement (C3D) pour partager les expériences, s’entraider, construire des approches ensemble et accélérer la courbe d’apprentissage.
Il m’est également très rapidement apparu que pour réussir l’indispensable transformation des modèles économiques, des modes de production et de consommation, les règlementations encore limitées et l’agitation d’un directeur du développement durable ne suffiraient pas. Pour réussir, il faut « mettre la RSE à tous les étages de l’organisation, depuis le terrain, face au client, jusqu’à l’étage du Comex au siège.
Fort de ces convictions, passée la surprise initiale, j’ai donc accepté la proposition qui m’était faite de prendre la direction de cette école. J’ai immédiatement affiché que le développement durable et le numérique responsable seraient au cœur de la stratégie. La transformation d’une organisation prend du temps, d’autant plus quand il s’agit d’une institution publique, d’enseignement supérieur où le corps professoral dispose de la liberté académique. Le Directeur ne peut pas imposer le contenu des cours, mais il peut influencer. Notamment en important des outils venus du monde de la RSE, comme un « dialogue parties prenantes » ou un rapport annuel intégré projetant les réalisations de l’école sur les 17 Objectifs du Développement Durable. Et en mettant la RSE à tous les étages.
Les Grandes Ecoles forment les cadres et les dirigeants de demain, les acteurs qui dans les entreprises auront en main les leviers de décision et d’action. Il est donc de leur responsabilité de former des cadres et des dirigeants responsables, qui au-delà de la connaissance des grands enjeux du développement doivent comprendre les impacts de leurs actions et de leurs décisions non seulement en termes économiques, mais aussi sociaux et environnementaux. Quelle que soit leur fonction dans l’entreprise. Les grandes écoles doivent les y préparer, en intégrant DD et RSE dans l’ensemble des cours et en ne se contentant pas d’une fresque du climat au cours de la semaine d’intégration des nouveaux étudiants.
Je me suis donné cette mission en devenant en 2015 Président de la Commission Développement Durable et Responsabilité Sociétale de la Conférence des Grandes Ecoles : mettre le développement durable à tous les étages : dans la recherche, dans l’ensemble des programmes et, pour être cohérent avec ce qui est enseigné aux étudiants, dans le fonctionnement des établissements.
Comme chez Orange, je me suis heurté initialement, à côté de l’enthousiasme de quelques pionniers, à l’opposition ou à l’indifférence « du système ». La COP 21 à Paris et l’adoption par l’ONU de l’agenda 2030 n’ont pas créé de dynamique forte. Les choses ont commencé à changer en 2018, avec les prises de paroles de la jeunesse et des étudiants, de l’émergence de Greta Thunberg, aux grèves lycéennes du vendredi et à la publication du Manifeste pour un Réveil Ecologique dans lequel des étudiants issus des plus grandes écoles françaises appelaient à transformer les formations et à ne pas rejoindre les entreprises ayant un fort impact sur l’environnement. Puis sont apparus les « bifurqueurs, les étudiants qui « hackaient » les cérémonies de remise des diplômes pour critiquer la formation reçue sur les enjeux écologiques et annoncer qu’ils « bifurquaient » vers des métiers très différents de ceux qu’ils étaient censés occuper une fois leur diplôme en poche. Ces actions, aussi minoritaires que spectaculaires, parfaitement orchestrées et fortement médiatisées, ont davantage fait changer le système que toute la rationalité déployée pour montrer la nécessité du changement. Les ministères, les directions d’établissements se sont enfin emparés du sujet. Et d’ici 4 ans tous les étudiants à Bac+2 auront reçu une formation à la transition écologique, quelle que soit leur filière.
Le C3D, auquel j’ai fait adhérer l’école, devenue ainsi le premier établissement d’enseignement supérieur membre de l’association a également apporté sa pierre à l’édifice de la formation, en développant avec le collectif Pour un Réveil Ecologique et un ensemble de partenaires le MOOC « Comprendre la crise écologique pour réinventer l’entreprise » Expérience passionnante avec des étudiants brillants qui construisent ce qu’ils voudraient avoir appris dans leur école !
Mais former les jeunes diplômés ne suffira pas. Il se passera trop de temps avant qu’ils ne détiennent tous les leviers. L’enjeu devient la transformation des métiers, le développement de nouvelles compétences au plus près du terrain, dans les territoires et la formation des acteurs déjà largement engagés dans leur carrière : dirigeants, élus, management intermédiaire. C’est la nouvelle aventure que j’entame en cet automne…