J’aimerais ici vous partager mes convictions, mes intuitions mais aussi mes interrogations et mes doutes.
Mes convictions sont profondes et historiques.
Depuis 2009, date de la création de l’agence MIEUX, nous essayons par chaque campagne de rendre le « développement durable désirable ». A travers chaque « manifeste RSE », chaque lancement d’innovation, chaque rapport RSE, chaque post sur LinkedIn ou Insta des entreprises et des marques qui nous font confiance, j’ai l’espoir d’attirer l’attention vers un nouvelle consommation, de valoriser chaque initiative positive, de montrer comment les modèles d’affaires évoluent… et en même temps, cela ne va pas assez vite.
Alors, bien sûr, au début, nos moyens étaient vraiment « faiblards ». Aujourd’hui, nous sommes soutenus par les nouvelles réglementations, les attentes grandissantes des citoyens et des salariés, les exigences nouvelles des actionnaires et des investisseurs envers les COMEX et le nouveau rôle des Conseils D’Administration…. Cela nous donnent des moyens plus importants et conduit à l’accélération.
Les marques ont compris l’impératif d’innover mais aussi de favoriser de nouveaux comportements vers cette innovation.
Des solutions techniques existent ou vont exister. Mais la transformation de l’économie et de la consommation est avant tout un changement culturel. Nous, communicants, allons devoir créer de nouveaux désirs, des envies de renouveau, nous ne pouvons pas être « cornucopiens ». Nous, agences, marques, médias, plateformes de contenu, réseaux sociaux allons devoir inventer de nouveaux imaginaires…
Depuis 15 ans, je vois que la transformation de l’économie et celle de nos rêves sont moins rapides que le dérèglement climatique et la perte de biodiversité. Je suis inquiet, j’ai peur.
Aujourd’hui, voici 10 intuitions pour inventer de nouveaux récits.
Raison d’être. Communiquer sa vision au service du bien public. Définir une stratégie biomimétique de l’entreprise car chaque entreprise vit dans un écosystème qui réagit, à la façon d’un système vivant. Son objectif doit prendre en considération l’ensemble de ses parties prenantes pour le régénérer. Quand MAIF, assureur militant, propose de remplacer votre portière cabossée par une 2nd main, c’est logique au regard de son histoire et donc accepté et même valorisé par ses clients.
Ambition. Proposer une vision politique de l’entreprise. Aujourd’hui, le politique a démissionné, pense à court terme, freine les initiatives positives (du blocage du plan éco-phyto au refus de « steaks » pour les plats veggies en passant par la construction à marche forcée et illégale de l’A69). Avec l’Accord de Paris, la CSRD ou le SBTi, n’a-t-elle pas compris qu’elle devait être ambitieuse à long terme ? Alors, quand Carrefour propose « Act for food », tous les jours, dans tous les rayons, le consommateur comprend.
Deuil. A la façon de la courbe du « change » ou du deuil, une marque doit casser ses anciens rêves. Les super-héros ont fait du mal en laissant croire aux pouvoirs magiques de la force. Une marque en 2024 doit être humble. Chaque marque doit expliquer qu’elle renonce à une partie de son offre. On augmente le « CA durable », on supprime le « CA climaticide » et on l’annonce. Evidemment, les consommateurs valident quand Biocoop arrête les bouteilles d’eau.
Innovation. Les entreprises n’ont pas le choix. Il faut inventer des solutions urgemment, même les plus folles. Elles doivent donc tester, prendre des risques, faire des POC inattendus. Les produits d’hygiène solides ou à reconstituer chez soi commencent à trouver leur marché.
Culture. Pour proposer une nouvelle culture, il faut s’appuyer ce qui fonctionne : le fun, le plaisir… La pop-culture fait partie des référents universels actuels qui peuvent en propulser de nouveaux… Je crois à l’engagetainment, une nouvelle culture où les marques transmettent le plaisir qu’elles ont à s’engager. On ne va pas polémiquer en re-re-parlant de Barbie et la capacité (réelle selon moi) du film à redéfinir la place des femmes dans la société.
Approche pluri-disciplinaire. Evidemment que les consommateurs ont un nouveau rôle à jouer… comme toutes les parties prenantes dans la création de ses nouveaux récits. Mais je crois aussi que pour inventer de nouveaux récits, nous, communicants, allons devoir faire preuve d’humilité et aller chercher de l’aide dans d’autres disciplines : économistes, sociologues, historiens, prospectivistes et sûrement philosophes, artistes, poètes… « L’entraide, l’autre loi de la jungle » comme l’explique Pablo Servigne. Aussi vu dans le documentaire « Une fois que tu sais ». Donc, convoquons les intellos. La SNCF, fleuron hexagonal, l’a bien compris.
Liens. Inventer une société de liens plutôt qu’une société de biens. Nous savons, par les études philo / socio / ethno que ce qui rend les gens heureux, ce sont les relations avec leur famille, leurs amis… Pourquoi les marques ne pourraient-elles pas arrêter de nous faire croire que la possession rend heureux et désormais promouvoir une nouvelle vision d’une société où l’amour serait le totem ? Decathlon a démontré avec son offre « We play circular » que les offres de location pouvaient être rentables, durables et… joyeuses pour tous les sportifs.
Inspirant. Remettre de la beauté dans les projections. Le design au service d’une esthétisation du discours de marques. C’est déjà le cas, de nombreuses marques créent des discours épurés, sobres et qui sont terriblement désirables. Dans la mode, le luxe, la cosmétique, cette sobriété fait mouche. Vous êtes déjà allé chez ORA Paris, ce resto végétarien branché où tout est trop beau ?
Tous héros. Il faut inventer de nouveaux rôles modèles, montrer que ça fonctionne, que certains y arrivent. Et pas forcément ceux qu’on attendait. On le sait. Dès qu’une partie d’une communauté part dans une direction et « réussit » « avec plaisir », les autres la suivent. Trouvons de nouveaux influenceurs. Ne laissons pas des idiots marseillais nous donner la direction de demain. Il y a beaucoup trop de héros du quotidien dans nos entreprises. La série « Acteurs et Engagés » au Groupe La Poste surprend par son audience avec ses visages d’une nouvelle responsabilité.
Education. C’est peut-être mon côté Prof (et fils de prof) mais j’ai la conviction que les marques de demain seront des marques pédagogues, capables d’expliquer la transformation en cours, leurs succès, leurs échecs (oui, aussi). Elles expliquent ce qui se joue et pourquoi leurs clients, fournisseurs doivent dès aujourd’hui changer et quels en seront les bénéfices demain. Demain, elles vont devenir vulgarisatrices, rendre plus simple ce monde complexe. Les jeunes marques impact-natives l’ont compris avec leurs tutos permanents.
Si on reprend les initiales de ces 10 intuitions, cela donne R A D I C A L I T E.
Radicalité vient de radius en latin, racine. Alors, remontons à la racine de la raison d’exister d’une marque.
Oui, je crois que les marques n’ont plus le choix et doivent prendre MAINTENANT un nouveau chemin radicalement différent, au service de la société, DEMAIN.
La communication a le pouvoir immense de créer de nouveaux chemins et donc de ringardiser.
« On ne change pas les choses en s’y opposant. Pour changer, il faut construire un nouveau modèle suffisamment séduisant pour rendre l’ancien obsolète » comme le disait Richard Buckminster Fuller, designer, architecte, prospectiviste, futuriste…
Autrement dit, il faut rendre plouc ce qui était cool avant… rendre « plouc » les vacances à l’autre bout du monde comme disait Aurélien Barrau.
Une fois qu’on s’est dit ça, on fait quoi ?
Nous avons pleins de scenarios à disposition, avec ceux du GIEC, de l’Agence Internationale de l’Energie ou les 4 scenarios « Transition(s) 2050 » de l’ADEME :
- Génération frugale. La transition est conduite principalement par la contrainte et par la sobriété.
- Coopérations territoriales. La société se transforme dans le cadre d’une gouvernance partagée.
- Technologies vertes. L’innovation est mise au service de systèmes énergétiques décarbonés.
- Pari réparateur. La société place sa confiance dans la capacité à gérer, voire à réparer, les systèmes sociaux et écologique.
Ou alors, on peut prendre les résultats du PTEF (Plan de Transformation de l’Economie Française) du Shift Project, qui proposent de décarboner l’économie tout en assurant la compétitivité et le bien-être social.
Nous, acteurs de la RSE, avons un rôle immense à jouer.
Alors, je vous abandonne avec ces questions :
Qui va financer l’innovation ? Qui veut innover et vendre moins cher ?
Qui est d’accord pour éduquer son marché et en faire bénéficier ses concurrents ?
Quelle entreprise est prête à partager sa vision et son innovation avec ses concurrents ?
Comment faire percevoir un bénéfice tangible (santé, niveau de vie, pouvoir d’achat, bien-être) quand le ROI est dans 10 ans ou peut-être plus ?
Arriverons-nous à rendre cool une société avec moins ?
Comment créer un engouement collectif dans une société individualiste au niveau national et encore plus au niveau mondial ?
La parole publique (qui va dans le sens inverse au DD… encore plus dans les courants qui menacent la démocratie) n’est-elle pas plus puissante et crédible que la parole des marques ?
Est-ce que faire une campagne sur l’amour va rapporter de l’argent à mon produit ? Qui est prêt à promouvoir l’amour sans parler de son produit ?
Est-ce que le cœur et le courage existent en entreprise ?
Nous, acteurs de la RSE, avons un rôle immense à jouer. Mais avons-nous le pouvoir d’influer sur le cours de l’Histoire ?
C’est peut-être une réponse que vous aurez à me partager ici ou que j’irai trouver à la CEC des Nouveaux Imaginaires qui est en train de commencer.
Nous vivons une période cruciale. Rendons-la créative et heureuse, ensemble !
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Thomas PAROUTY est le fondateur de l’agence MIEUX, première agence de communication RSE créée en 2009 au service des entreprises et des marques qui veulent avoir plus d’impact, grâce à l’innovation et la communication.