Partagé entre l’envie de faire plaisir et la nécessité de contenir sa trace carbone, le tourisme d’affaires tente de sortir par le haut de cette schizophrénie. Pour ce faire, il propose des voyages plus vertueux et s’appuie sur des outils de mesure. Si tous ses acteurs manifestent de la bonne volonté, il reste difficile de changer les habitudes. Celles des annonceurs aussi !
Peut-on continuer de voyager vers des destinations lointaines et, si oui, dans quelles conditions ? En pleine crise climatique, cette question qui se pose à chaque citoyen, s’impose avec encore plus d’acuité à l’univers professionnel. En particulier, la dimension incentive du voyage d’affaires est-elle menacée, avec ses participants vaporisant chaque année des millions de tonnes de kérosène dans le ciel ? Et épuisant le dos d’éléphants et de dromadaires dépressifs ?
Même si cette vision sombre n’est plus vraiment une réalité, difficile d’échapper à une perception bien ancrée auprès du public. D’autant que l’incentive est souvent déployée par les entreprises en guise de remerciements à l’issue d’une année d’efforts couronnés de succès. « Un client vous dit parfois on veut être RSE et finalement, il va choisir des activités fun parce qu’il veut faire plaisir, remarque pourtant Bénédicte Rivain, directrice générale de l’agence Vatea. Le socle de l’incentive, c’est de se lâcher, de faire du bien. » Comment, alors, faire cohabiter récompense et contraintes RSE ?
Se faire du bien
Se faire du bien, c’est justement le fondement du Club Med depuis plus de 70 ans. Avec désormais le déploiement du programme Happy to Care, qui réduit son impact environnemental tout en développant un impact social positif. Pour son action RSE appliquée aux séjours, l’enseigne bénéficie des certifications Breeam (pour la construction de ses nouveaux resorts), Green Globe (opérations éco-certifiées) et ATR dans le cadre des Circuits découvertes by Club Med. Quand c’est possible, les déplacements en train pour accéder aux resorts sont même encouragés.
« Ce n’est plus la destination, mais le programme qui doit faire venir », résume Sidonie Plottier, directrice générale de Hopscotch Travel. Pour activer les bons comportements, les agences se mobilisent et courent en effet après labels et certifications comme ISO 20121, même si son coût de mise en œuvre semble plutôt en réserver l’attribution aux plus grandes d’entre elles. Pour tout le secteur, si le discours évolue vite, pas sûr que les pratiques suivent le même rythme, d’autant que, selon nombre d’acteurs de l’événementiel, certains annonceurs restent parfois difficiles à convaincre, en dépit de leurs propres engagements RSE. La perspective d’un bad buzz reste l’argument le plus inquiétant.
Au moins l’intention est-elle posée : « Notre vision première reste d’accompagner nos clients tout en étant attentifs aux conclusions et directives du rapport du GIEC, avance Marc Fisher, fondateur du groupe WMH Project. Nous nous devons de faire preuve d’une vigilance soutenue envers l’ensemble de nos prestataires et à chaque étape de la chaîne d’organisation pour s’assurer de la dimension RSE de nos projets. » Pour faire avancer cette problématique, l’agence mise sur l’innovation. « Nous faisons en sorte de nous appuyer sur des outils et une expertise de pointe, résume Marc Fisher. À cela s’ajoute notre partenariat avec FairMoove. Concrètement, nous nous fondons sur 17 critères de sélection. » Le calcul d’un FairScore permet de classer la performance RSE du voyage en fonction de ses spécificités (destination, mode de transport, type de résidence, activités sur place, recours ou non à des produits frais non importés, etc.). Les clients ont ainsi toutes les données en main pour effectuer les meilleurs choix et envisager une compensation à la hauteur de leur engagement.
Valeurs de l’époque
Sidonie Plottier s’active en faveur des valeurs de l’époque, tout en reconnaissant la difficulté du virage à prendre. « Cela nécessite beaucoup de temps et d’engagement, c’est dur de changer son mindset ! », admet-elle. Il faut dire qu’une partie de son activité s’adresse plus particulièrement au secteur du luxe à travers son offre de conciergerie, notamment au moment des Fashion Weeks. « Aujourd’hui, même si on réduit le nombre d’hélicoptères, il y a toujours des hélicoptères, mais ils ne sont plus jamais pris en charge par les Maisons car elles sont elles-mêmes très concernées. » Équipée comme d’autres de sa calculette de compensation carbone, Hopscotch Travel calcule tout et compense auprès des associations dont ces Maisons sont partenaires. « On organise beaucoup d’événements à Paris, mais on commence à voyager, décrit Sidonie Plottier. Ce sont certes des activités polluantes. Pour autant, on a toujours voulu faire des voyages qui ont du sens, et créer un lien réciproque vertueux avec les locaux qui nous reçoivent. »
De son côté, plutôt que de parler d’opérations luxueuses, Marc Fisher préfère évoquer des expériences « Money can’t buy ». « Pour être efficace et en adéquation avec nos valeurs, nous devons faire preuve de créativité et d’engagement », précise-t-il.
Eve Choimet, responsable RSE de Marietton Développement, écarte l’idée d’entrave et préfère parler de « sobriété heureuse, de contrainte positive ». S’ensuit l’énumération des nombreux sujets sur lesquels les réflexes ont dû évoluer. « On fait attention aux hôtels dans lesquels on séjourne, à la politique durable du pays visité, à la compagnie aérienne choisie, au type d’appareil et au fait que le vol soit direct, etc., liste Eve Choimet. On fait aussi beaucoup plus attention à la cause animale, les réceptifs avec lesquels on travaille y sont sensibles. Tout est une question de dosage et d’équilibrage. Il y a beaucoup de suggestions d’ajustement, on évite la perte de sens. » Et comme le précise Bénédicte Rivain, « cela a un coût. Les sociétés sont ouvertes pour payer un peu plus si vous faites des propositions. La cohésion, c’est très RSE. »
Le train en bonne place
Parmi les pistes d’ajustement, l’option train arrive en bonne place. Moins polluant, le voyage en train donne l’occasion d’organiser une entrée en douceur dans le programme de l’incentive. « Le voyage et comment faire rêver, c’est une aventure collective, souligne Eve Choimet. À nous de poser les bonnes questions et continuer à faire rêver en ajoutant du voyage dans le voyage. On a de plus en plus d’entreprises à mission. Elles demandent de voyager en train avec 400 collaborateurs. La demande a un temps d’avance sur l’offre, ça va s’aligner dans les prochaines années. » Super objectif, mais sacré challenge compte tenu des conditions techniques dont le ciel s’émancipe. Et sachant les impératifs liés aux courts séjours : on peut difficilement consacrer deux jours de déplacement pour un incentive de quatre jours. De plus, tant que des objectifs ne sont pas clairement posés à un plus haut niveau, les progrès peuvent sembler poussifs. « C’est vraiment un travail de fond sur des années, relate Eve Choimet. Il n’y avait pas d’exigences réglementaires comme on les a maintenant. L’arsenal législatif se resserre. Faire avancer les choses passe par la volonté politique. L’Europe est très en avance sur ces sujets, on peut être fiers. »
D’autres progrès sont aussi possibles, sur les cadeaux, par exemple. En ayant recours aux partenaires du Marché de l’inclusion en France, qui favorise le travail des personnes en réinsertion. Ou en les achetant auprès de fournisseurs locaux en fonction des destinations. Un système d’autant plus vertueux que l’évolution des comportements relatifs au voyage, produit des conséquences auprès de populations dont l’activité dépend du tourisme. « Le problème de la RSE n’est pas de sauver la planète, mais bel et bien de préserver l’humanité, résume Marc Fisher. Trois milliards de personnes vivent dans des conditions difficiles. Et une majeure partie d’entre elles vit principalement du tourisme. À partir de là, peut-on considérer qu’arrêter les voyages est un égoïsme de pays riche ? Probablement. » Réconcilier des injonctions paradoxales : c’est la mission ardue du XXIe siècle.