22/10/2024

Temps de lecture : 4 min

« Nous voulions investir dans une énergie verte en sachant que les coûts associés sont plus élevés », Patrick Masson (vice-président de Dijon métropole)

La métropole de Dijon s’est engagée dans un gros projet de production d’hydrogène pour alimenter des véhicules lourds qu’elle comptait bien acquérir. Mais rien n’est simple au pays de l’innovation ! Jean-Patrick Masson, vice-président de Dijon métropole, délégué à la transition écologique, les déchets, les énergies renouvelables nous fait le récit des multiples écueils rencontrés.

The Good : Quelle était la donne de départ et pourquoi avez-vous opté pour une flotte de véhicules lourds alimentés à l’hydrogène ? 

Jean-Patrick Masson : En 2018-2019, nous devions résoudre une équation à triple entrée. Premièrement, nous avions des flottes de bus et de bennes à ordures ménagères à renouveler car vieillissantes : 180 bus et 42 bennes à ordure. Deuxièmement, il nous fallait anticiper un changement de réglementation sur les véhicules lourds à horizon 2035. Troisièmement, en 2022 s’achevait notre contrat d’achat d’électricité pour notre turbo-alternateur, qui est une grosse dynamo actionnée par la vapeur issue de la combustion des ordures ménagères. Nous produisons de l’électricité et nous avions jusqu’alors obligation de vendre cette électricité à EDF, qui avait l’obligation de nous l’acheter.  

Ayant des véhicules lourds à acheter et de l’électricité disponible, nous avons pensé produire de l’hydrogène car il s’agit d’une énergie verte. Nous avons décidé de le stocker sous forme de gaz compressé (750 bars) et de l’utiliser en circuit court pour nos véhicules lourds.  

Le projet était donc de changer nos flottes de bus et bennes à ordures pour des véhicules à hydrogène.  

The Good : Vous aviez conscience de mettre les pieds en terre (quelque peu) inconnue, n’est-ce pas ? 

Jean-Patrick Masson : Nous voulions investir dans une énergie verte en sachant pertinemment que les coûts associés sont plus élevés. C’était une décision politique. Ce marché n’est pas mature et nous le savions. Notre objectif était de l’aider à progresser et à acquérir une maturité plus rapidement, mais les entreprises ne sont pas au niveau que nous espérions. 

Nous savions pertinemment que l’innovation vient avec son lot de difficultés. Nous connaissions le risque d’« essuyer les plâtres ». Mais, dans ce dossier, nous cumulons les difficultés ! Dans tous les domaines. Force est de constater qu’iI existe un vrai décalage entre ce que sont capables de faire les entreprises et tout l’écosystème qu’il faut mettre en place pour réussir.  

Et nous sommes, nous, collectivité, en bout de chaîne, avec des contraintes qui ne simplifient pas la donne. Je dois faire fonctionner les services publics et je ne veux pas d’une fiabilité partielle. Je veux une fiabilité parfaite, quitte à retarder les échéances pour être certain de répondre à la demande. Nous avons une forte exigence. Il nous faut une assurance totale. Les « bugs » ne sont pas envisageables, une fois le service lancé. 

The Good : A quels types de dysfonctionnements avez-vous été confrontés ? 

Jean-Patrick Masson : Nous avons été confrontés à une suite de difficultés ! Il y a d’abord eu le double choc du Covid, qui a entraîné des retards importants, puis la crise de l’énergie en 2022-2023. Notre turbo-alternateur ne produisant pas assez d’énergie pour alimenter les 220 véhicules que nous escomptions, nous avions projeté, pour produire d’avantage d’hydrogène, d’acheter de l’électricité… 

Pour 2025, nous avons déjà dû revoir notre format à la baisse.  

Ensuite, entre le 1er mai et le mois de novembre, nous devions réceptionner 16 bus à hydrogène mais le fabricant, Van Hool, l’un des plus gros au niveau européen, a fait faillite. Résultat, nous n’aurons aucun bus ! Nous devons relancer un appel d’offres et repartir sur deux ans.  

Autre difficulté : la mésentente entre l’entreprise qui fournit les châssis des bennes à ordure et le constructeur qui fournit les moteurs… l’industrie se cherche sur ce sujet de l’hydrogène ! Pour l’instant, nous avons deux bennes à ordures et nous en aurons quatre supplémentaires à fin 2025.

Enfin, nous avons des difficultés techniques sur le premier électrolyseur. La vraie difficulté est que nous sommes sur de l’innovation pour toute la partie électrolyseur. Nous venons tout juste de trouver les solutions aux problèmes rencontrés. 

Il y a également des problèmes sur l’installation. Il y a des pièces défectueuses et le fabricant a des problèmes d’approvisionnement. Ce ne sont pas des appareils sur étagère. L’objectif est qu’ils soient un jour produits en série mais pour l’heure, il n’y en a qu’une dizaine en France et chaque installation est différente. Les constructeurs en sont encore au stade de la recherche et de l’optimisation. 

The Good : Vous avez donc été forcés de revoir le programme… Quels sont les objectifs que vous espérez atteindre ? 

Jean-Patrick Masson : Ce dossier évolue naturellement, du fait des difficultés techniques et économiques de nos fournisseurs.  

Nous avons lancé un appel d’offres pour des bus articulés et ce sont les réponses apportées par les constructeurs qui vont nous donner les délais. Le rythme nous est imposé. Bien sûr, nous avons un calendrier des actions jusqu’à 2035, avec un deuxième  électrolyseur et la livraison des véhicules, mais il sera forcément indicatif. Nous espérons avoir 60 véhicules, a minima, d’ici à 2035, mais restent des incertitudes quant au déploiement. Nous aurons peut-être de bonnes surprises ? 

Nous avons chamboulé nos plans. Nous allons conserver une partie du parc de bus en mode électrique. Aujourd’hui, les technologies des batteries ont évolué et il semble qu’elles offrent suffisamment d’énergie pour des véhicules moyennement lourds. Mais elles ne suffisent pas sur les gros bus articulés et les bennes à ordures de 26 tonnes. 

L’objectif de départ était 16 bennes d’ici à 2035, ainsi que 40 à 45 bus et le reste, en électricité, mais la décision n’est pas prise. Peut-être aurons-nous un peu plus d’hydrogène. 

The Good : Que représentent ces installations en termes de budget et qui finance les opérations ? 

Jean-Patrick Masson : Nous avons créé une entreprise dont la métropole de Dijon est actionnaire avec Inti, l’Ademe Investissements et Engie, qui finance la station. On parle de 20 millions et, à termes, il y aura une deuxième station. L’ensemble représente un investissement de 100 millions. 20 millions sur les stations et 80 millions pour les véhicules roulants. Ce à quoi il faut ajouter des coûts de fonctionnement. 

The Good : Pourriez-vous réorienter le projet ? Utiliser l’hydrogène pour chauffer des bâtiments, par exemple ? 

Jean-Patrick Masson : Nous avons choisi ce vecteur énergétique pour décarboner notre flotte et tout le dossier est tourné vers la mobilité des véhicules lourds. Nous ne pouvons pas faire muter ce système. Quant à alimenter des véhicules légers, nous avons bien une pompe véhicules légers mais c’est vraiment à la marge car nous n’avons pas de flotte de VL et, pour assurer la rentabilité de l’installation, il en faudrait des centaines. Ce n’est pas le projet.  

Quel que soit le vecteur hydrogène ou électrique notre but est la décarbonation totale de nos flottes de véhicules lourds. Et nous y parviendrons.

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