08/04/2025

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Comment rendre les data centers (enfin) écolos ?

Avec l’intelligence artificielle, les consommations en énergie et en eau des data centers sont exponentielles. Pourtant, des solutions existent.

«D’ici à 2030, les data centers consommeront 3 % de l’électricité mondiale», annonçait Deloitte en décembre dernier, après publication d’une étude sur le sujet. Soit «l’équivalent de la consommation annuelle combinée de la France et de l’Allemagne» sur une année. L’intelligence artificielle naissante fait grossir les besoins de façon exponentielle. En électricité, mais aussi, et bien que le sujet soit moins développé, en eau douce. Un data center consomme en moyenne, entre 6 et 7 millions de litres d’eau douce par an. Et le phénomène va croissant : « Certaines publications parlent d’une consommation en eau par l’IA qui serait équivalente à celle d’un pays comme le Danemark à horizon 2027 », souligne Pierrick Drapeau, directeur développement durable chez Deloitte, qui a travaillé sur la partie gestion de l’eau et durabilité des ressources.

« Un data center, c’est plein de puces qui tournent et qui chauffent. Pour qu’elles fonctionnent correctement, il faut les refroidir », explique Quentin Perrier, expert énergie chez Deloitte, spécialisé sur le sujet des data centers. « Et, jusqu’il y a peu, pour les refroidir on utilisait de l’air. Ce qui demandait beaucoup d’énergie – cette consommation pouvait représenter jusqu’à 40% de la facture d’énergie des data centers. »  Économiquement contraints, donc, les acteurs concernés ont « réfléchi à des méthodes de refroidissement plus performants d’un point de vue énergétique », commente Quentin Perrier, et ils ont opté pour…. des systèmes de refroidissement par eau. 

« La capacité calorifique de l’eau est intéressante – elle est quatre fois supérieure à celle de l’air. L’eau chauffe moins vite que l’air. Ce qui permet de refroidir plus efficacement les serveurs. Le refroidissement par eau est incontestablement plus efficace en termes énergétiques », explique Quentin Perrier. Pour preuve : « avant 40% de la facture était liée au refroidissement et aujourd’hui, seule 10% de l’énergie consommée sert au refroidissement. »  Mais la question de l’eau douce devient prégnante. « Le problème a été déplacéIl faudra trouver des arbitrages dans l’utilisation de l’eau, et des règles de gouvernance qui n’existent pas », pointe Pierrick Drapeau.

Pour limiter l’impact environnemental des data centers et notamment énergétiques, nos deux spécialistes envisagent un certain nombre de solutions. L’IA elle-même, et trois grands types d’actions : « Un : connecter les serveurs à des énergies renouvelables. Deux : agir sur l’efficacité énergétique sous toutes ses formes, en hardware et en software. Trois : améliorer la planification de ces infrastructures », liste Quentin Perrier.

IA for Good

Pour Quentin Perrier et Pierrick Drapeau, si l’IA est à la source du triplement de la consommation en électricité d’ici à 2030, elle représente aussi pour eux… l’une des solutions. « Il y a tout ce qui est IA for Green, c’est-à-dire l’utilisation stratégique de l’IA pour optimiser les consommations et réduire nos émissions dans les transports, par exemple, ou les bâtiments et l’industrie, qui sont très énergivores, ce qui peut avoir des effets de levier importants. » Et de citer en exemple le secteur du bâtiment, dont les émissions pourraient être réduites grâce à l’IA. Laquelle devrait notamment être très utile pour gérer les questions d’urbanisme ; pour optimiser la gestion en continu des parcs immobiliers, tant en termes de consommation d‘énergie que sur le pan rénovation. « Pour des gestionnaires de parcs qui doivent entretenir des bâtiments construits à des époques différentes, dans des matériaux différents, la question est complexe. Il leur faut comprendre quand, comment et avec quels matériaux, ils doivent réparer les bâtis, savoir que choisir pour quelle efficacité environnementale et énergétique, etc. Face à cette complexité et à cette diversité de données que les gestionnaires ont aujourd’hui des difficultés à recouper, l’IA pourrait permettrait d’y voir plus clair », explique Pierrick Drapeau.

Pour l’heure, reconnaissent-ils, « nous sommes sur de la scénarisation, car il s’agit de technologies nouvelles et ces questions ne sont pas encore déployées à une échelle industrielle. Dans un premier temps, l’IA va nous fournir des informations sur quoi faire, éventuellement comment faire, mais encore faut-il qu’il y ait des organisations qui se mettent en place ensuite pour activer les travaux. » Le centre d’étude de Schneider Electric, relate toutefois Quentin Perrier, a mené une expérience en ce sens. « Ils ont implanté l’IA dans 87 bâtiments éducatifs à Stockholm et mesuré le nombre de paramètres qui pouvaient être gérés par l’IA pour réduire la consommation d’énergie et leur étude a démontré que l’IA a permis d’économiser 60 fois d’émissions en plus que ce qu’elle a avait émis pour concevoir ses solutions. »

Est-ce qu’un jour, l’ensemble s’équilibrera ? « Je ne sais pas si on peut le formuler ainsi », modère Quentin Perrier. « Je crois qu’il faut agir au maximum sur chacun des leviers, pour viser une consommation moindre, voire un gain énergétique. On peut espérer un solde positif. » Mais à quel horizon ? Nul n’est aujourd’hui capable de le prédire. 

Une chose est certaine, souligne Pierrick Drapeau : « La France se distingue sur sujet de l’IA et de la durabilité en poussant des concepts comme celui de la frugalité, qui sont extrêmement intéressants mais qui n’en sont aux balbutiements. Elle réfléchit à comment concevoir des IA en ayant dès le départ la consommation en tête, les impacts environnementaux ». Enfin, commente-t-il, il sera nécessaire d’encadrer les pratiques car l’« IA-act » européen (le règlement européen sur l’IA) est indigent sur la partie environnementale ». Malheureusement, le détricotage des règlementations auquel on assiste actuellement, ne penche pas vraiment dans ce sens

Hardware, software et planification

La frugalité passe aussi par une plus grande efficacité du hardware (matériel et composants physiques constituant les ordinateurs) et du software (logiciel qui englobe à la fois le système d’exploitation et l’application informatique qui parcourt l’ordinateur).

« En gros, schématise Quentin Perrier, un data center, c’est beaucoup de calculs. L’enjeu est de les rendre plus efficaces. Pour ce faire, il y a deux grands leviers : avoir du hardware et du software efficaces, qui consomment moins d’énergie tout en étant plus performants. C’est typiquement ce que l’on a vu avec DeepSeek.  Mais cela nécessite de faire la R&D et demande aussi une régulation. Car sur ce point, elle est quasi inexistante. » 

Et Pierrick Drapeau de souligner que les acteurs du secteur ont intégré que « la dimension software est cruciale ». D’ailleurs, raconte-t-il, « Il y a peu de temps, en France, a été lancé un appel à projets sur l’IA frugale pour la transition écologique des territoires, géré par la Banque des Territoires. Il en est sorti une sélection de sept à huit projets. Les angles qui avaient été choisis par les porteurs tournaient autour du choix d’algorithmes, d’architectures moins gourmandes et des infrastructures qui s’approvisionnent en énergie renouvelables et des modèles d’entraînement moins gourmands ; typiquement, moins de phases d’entraînement, des bases de données moins importantes. » 

 « DeepSeek, relate Quentin Perrier, a démontré qu’en travaillant sous contraintes, financières et technologiques, il est possible d’avoir un modèle a priori moins gourmand en capacité de calcul » et, donc, en énergie. Un modèle nouveau. « Depuis le début, depuis l’avènement de l’IA, une relation très forte s’est créée entre performance et puissance et on imaginait que les deux étaient lié, que cela était linéaire. On imaginait que pour être plus performant, il faudrait plus de puissance, mais on voit qu’on peut faire autrement et cela ouvre de vrais horizons. » 

Un travail doit également être fait au niveau de la planification des infrastructures. « Tout arrive très vite et est mal anticipé et parfois on n’a pas les bons raccordements, on ne se coordonne pas bien avec l’écosystème pour réutiliser l’énergie », relatent-ils.

Energies renouvelables, sur l’amont et l’aval

La question des énergies renouvelables se pose tant sur l’amont que sur l’aval. Se fournir en électricité auprès d’acteurs des énergies renouvelables et, en aval, exploiter la chaleur produite par les data centers, plutôt que de la perdre. « Il n’existe pas de contrainte sur la fourniture en énergie renouvelable pour les data centers », explique Quentin Perrier. « En mars 2024, l’Union européenne a publié une directive sur les data centers et un acte délégué qui précise ce qu’elle attend. Aujourd’hui, la Commission européenne demande du reporting aux data centers. La Commission européenne cherche à comprendre et à quantifier la situation actuelle. Ceci pourrait aboutir à des régulations qui demandent que chaque data center réutilise la chaleur qu’il produit, par exemple en l’injectant dans des réseaux de chaleur. L’Europe est nettement plus en avance sur ces sujets que les US. »

Quid de l’énergie produite en data centers dans l’industrie ou les villes ? « Ces projets d’utilisation de l’énergie dans des réseaux de chaleur sont poussés par la stratégie nationale bas carbone. Récupérer la chaleur fatale pour les réseaux industriels existe déjà. A Dunkerque, par exemple, les réseaux de chaleur sont alimentés par la chaleur de l’industrie sidérurgique », explique Pierrick Drapeau. « C’est déjà obligatoire en Allemagne où il est prévu que 10% de la chaleur des data centers doit être réutilisée et augmente chaque année, ajoute Quentin Perrier. En France il n’existe pas de loi sur ce sujet, mais au niveau local, il y a une pression très forte des maires pour que les data centers qui veulent s’implanter prévoient ce type de raccordement. Et c’est une excellente idée sur le pan environnemental et économique ».

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