22/04/2025

Temps de lecture : 6 min

Vers une capitale sans déchets ? Les leviers de la ville de Paris pour y parvenir

Florentin Letissier, adjoint à la maire de Paris en charge de l’économie sociale et solidaire, de l’économie circulaire et de la contribution à la stratégie zéro déchet, explique à The Good comment la ville booste l’économie sociale et solidaire avec 13 millions d’euros par an.

The Good : De quel budget disposez-vous pour accompagner le développement du domaine de l’économie sociale et solidaire (ESS) et quels accompagnements proposez-vous ?

Florentin Letissier : Aider les acteurs de l’ESS à se développer est effectivement au cœur de ma mission et de celle de mon équipe. Nous les accompagnons de trois grandes façons : via des appels à projets, des subventions, ainsi qu’un soutien à la recherche de locaux, avec le concours des bailleurs publics.

Mon service dispose d’un budget de 13 millions d’euros par an. L’opération la plus connue est Les Trophées de l’économie sociale et solidaire (ESS). Ces Trophées soutiennent des activités en phase d’émergence ou de montée en échelle, proposant un service nouveau ou original aux Parisiens, et dont la portée et l’intérêt peuvent être mesurés en fonction d’un fort impact social et/ou environnemental. En 2024, 13 projets, parmi les 68 dossiers qui avaient été déposés, ont été primés. Un soutien financier de 10 000 euros a été accordé à dix d’entre eux. Les candidats portaient des projets dans des domaines aussi divers que la lutte contre l’exclusion, l’insertion des personnes en situation de handicap ou l’éducation, la formation, le lien social, la consommation responsable et l’économie circulaire.

Ces Trophées ont lieu tous les ans, en novembre, à l’occasion du Mois de l’ESS. La remise des prix 2025 aura lieu le mercredi 26 novembre prochain.

The Good : Parmi tous les projets déposés et récompensés récemment dans le cadre de ces Trophées, certains vous ont-ils marqués plus que d’autres ?

Florentin Letissier : J’ai particulièrement en tête deux lauréats, Gestia Solidaire et Plateau urbain, dont l’action se situe dans le domaine de l’accès à l’immobilier. Ce sont des entités qui ont développé des applications permettant aux structures de l’ESS de trouver des locaux ; des foncières ESS qui travaillent avec des promoteurs immobiliers. C’est une très bonne chose. Les acteurs de l’ESS sont traditionnellement présents dans les ressourceries, les épiceries solidaires, etc., mais il n’est pas habituel qu’ils deviennent des foncières. Cela montre que l’ESS est capable de se diversifier.

Je pense également à Solimove, qui a développé un beau projet. Cette association aide les femmes victimes de violences conjugales à déménager en toute sécurité. Elle accompagne ces femmes, souvent isolées, en leur proposant des solutions, notamment d’hébergement. Solimove est partenaire de six structures d’hébergement parisiennes, sur un total de douze.

The Good : Est-ce que tout porteur d’un projet d’économie social et solidaire sur Paris peut solliciter votre aide ?

Florentin Letissier : Depuis le début du mandat, nous accompagnons les projets solidaires et/ou écologiques. Si vous êtes porteur de ce type de projets dans le domaine de l’écologie, nous allons vous accompagner ! L’idéal étant des projets qui font le lien entre ESS et économie circulaire. Dans ce cadre, nous avons accompagné les fondateurs de Cyclocare, une entreprise d’insertion qui propose un service de maintenance de vélos à destination des entreprises. Nous leur avons attribué un prix lors des Trophées de l’ESS et une enveloppe de 10 000 euros.

The Good : ESS et économie circulaire étaient au cœur de la création de la manufacture textile solidaire et circulaire à Paris. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce projet ?

Florentin Letissier : La Ville de Paris a accompagné la création de la Manufacture Berlier dans le cadre d’un travail de structuration de filières prioritaires de l’économie circulaire dans lequel elle s’est engagée. Parmi ces filières prioritaires, il y a la production textile. Cette manufacture, implantée dans un immeuble du XIIIe arrondissement, a été pensée pour accueillir des acteurs de l’ESS engagés dans une chaîne de production textile durable. L’objectif est d’exploiter les vêtements en fin de vie ; ceux qui finissent encore trop souvent dans les poubelles d’ordures ménagères, ou qui sont envoyés à l’étranger pour y être réemployés. Il s’agit de les réutiliser dans une production locale et, ainsi, éviter des tonnes de déchets.

La Manufacture permet également de relocaliser des activités productives sur le territoire parisien et de créer des emplois d’insertion, solidaires et non délocalisables dans ce secteur.

The Good : Comment se portent les acteurs de cette manufacture après trois ans d’existence ?

Florentin Letissier : Certains vont bien, d’autres, moins, à l’image de toute la filière textile. Ce n’est évident pour personnes, mais certains trouvent la bonne voie ; c’est le cas de Fashion Green Hub (fab lab qui rassemble des acteurs de la mode engagée). D’autres sont plus en difficulté et nous essayons de les aider.

Notre rôle est aussi de communiquer sur l’existence de toutes les structures de l’ESS de Paris afin de les faire connaître aux Parisiens. Fin 2024, nous avons fait une campagne de communication sur nos ressourceries, nos boutiques solidaires, et nous avons mis en ligne une cartographie de tous ces lieux. Il suffit de cocher des critères pour visualiser les boutiques qui répondent à sa recherche.

The Good : Les acteurs de l’ESS sont des alliés pour vous qui êtes également en charge de l’économie circulaire et du zéro déchet… mais le zéro déchet est-il atteignable ?

Florentin Letissier : Le zéro déchet   est une utopie. Il faut surtout œuvrer à diminuer le volume de nos déchets et à les valoriser au maximum dans le cadre de l’économie circulaire.

Les déchets qui restent sont enfouis – c’est une catastrophe environnementale – ou incinérés – ce qui est un gaspillage de la matière. Certes, avec l’incinération, nous produisons de la chaleur qui sert le réseau urbain mais, dans le cadre d’une démarche de recyclage, la meilleure option est le réemploi de la matière en conservant l’usage de l’objet. Si on ne peut pas le réemployer, il faut le décomposer pour en extraire les matériaux réutilisables qui sont revendus aux industriels pouvant les exploiter. La réparation, c’est aussi de l’emploi et cela s’applique à beaucoup de filières différentes.

The Good : Puisque nous parlons déchets et éco-circularité…. Parlons de l’expérimentation de logistique fluviale des déchets menée récemment. Ce projet sera-t-il déployé sur tout Paris ?

Florentin Letissier : Cette expérimentation, baptisée Tri en Seine, n’a été organisée que sur le quartier des Deux Rives, du 10 au 21 mars derniers. Elle s’inscrivait dans le cadre d’efforts particuliers menés en termes d’éco-circularité sur deux territoires parisiens que sont la Villette Rosa Parks et le quartier des Deux Rives.

C’est sur ce quartier des Deux Rives (XII et XIIIe arrondissements), que nous avons lancé en 2019, en 2020, et cette année encore, l’opération Tri en Seine, car il abrite beaucoup de sièges sociaux et d’administrations qui génèrent beaucoup de déchets de diverses sortes et, notamment, des encombrants. Ces encombrants doivent être évacués vers des filières de recyclage et de réemploi.

En 2025, nous avons voulu tester, en conditions réelles, sur un temps significatif, la faisabilité et la qualité logistique d’un service combinant véhicules verts pour le premier kilomètre et transport fluvial. Une collecte bi-hebdomadaire a été faite par un camion électrique (au lieu des camion-benne diesel habituels) en pied d’immeubles. Ensuite, tout a été acheminé dans un local de massification situé quai d’Austerlitz. Les filières ciblées étaient les déchets industriels banals (DIB) ainsi que les papiers-cartons, qui sont compactés en balles. Les déchets sont alors partis du XIIe par péniche pour être acheminés jusqu’au site de traitement de Paprec, à Gennevilliers où ils ont été réorientés vers les exutoires appropriés : les DIB ont été dirigés vers le site du Syctom à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) tandis que les papiers et cartons ont rejoint une filière de recyclage à Château-Thierry (Aisne).

Lorsque toutes les entreprises et les administrations se regroupent pour mutualiser la logistique de traitement de leurs déchets, elles font des économies puisqu’elles ne payent plus chacune leur camion. C’est aussi et surtout bon pour la planète car la voie fluviale génère beaucoup moins d’émissions de gaz à effet de serre. Paprec, l’un des partenaires de la Ville de Paris pour cette expérimentation, considère qu’une division par 10 des émissions de CO² (tonne/km) peut être espérée.

The Good : Quelles quantités de déchets avez-vous collecté dans le cadre de cette opération ? Et quelles suites allez-vous y donner ?

Florentin Letissier : Le volume de déchets prévisionnels collectés est estimé entre 10 et 15 tonnes (65% de DIB, 35% de papiers et cartons), dont 70% du flux concerne les déchets du groupe BPCE. J’ajoute qu’en plus des pourvoyeurs de déchets, Haropa Port, Sogaris et Voies Navigables de France ont été, aux côtés de Paprec et sous le chef de filât de la Ville de Paris, des partenaires essentiels pour rendre cette expérimentation possible.

Une évaluation de cette expérimentation est actuellement réalisée par Paprec. Elle a pour objectif d’estimer l’efficacité, les impacts et l’efficience de ces semaines d’expérimentation, afin d’identifier les conditions qui pourraient permettre un passage à l’échelle et une pérennisation du dispositif.

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Crédits photo : Velvet Studio Photo, Paris 14e

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