22/04/2025

Temps de lecture : 10 min

L’Irrésistible Alliance du Beignet : quand les agences engagées changent de recette

Née en ce début de printemps dans la foulée de la CEC "Nouveaux Imaginaires", cette alliance pas comme les autres rassemble des agences de communication qui ont choisi de mettre leurs compétences au service d’une transition écologique sincère. Entre convictions partagées, gouvernance collective et humour assumé, l’Irrésistible Alliance du Beignet incarne une nouvelle façon de faire de la com' : collaborative, transparente… et résolument tournée vers l’impact. L'une de ses fondatrices, Céline Puff-Ardichvili, associée de l'agence de relations presse Look Sharp, raconte cette aventure à The Good.

The Good : L’Irrésistible Alliance du Beignet est née après la CEC Nouveaux Imaginaires… Pouvez-vous nous raconter sa genèse et donc la définition de son nom ?

Céline Puff-Ardichvili : Au moment où je réponds à cette question, j’entends encore Nabil Wakim, le journaliste du Monde et auteur du podcast Chaleur Humaine, rappeler que, sur l’un de ses podcasts, l’économiste Céline Guivarch, co autrice du rapport du GIEC consacré à l’atténuation, donnait à la question « Quelle est la première des priorités pour rester sur la trajectoire fixée par l’accord de Paris sur le climat ? » une réponse très simple : « La première chose à faire, c’est d’arrêter de faire ce qui va dans la mauvaise direction !« 

La CEC est un parcours qui invite à prendre la direction d’une économie régénérative. Donc posons-nous la question : que faut-il faire pour régénérer nos écosystèmes ? Avant même de commencer à imaginer que nous pourrons régénérer, en tant qu’acteur économique, en tant qu’entrepreneur, en tant que collaborateur ou en tant que représentant d’un secteur économique, nous avons pour responsabilité de regarder les choses en face et d’arrêter de nous raconter des histoires à nous même. Donc quand on est une agence de com’, un annonceur ou une régie pub, la réponse est limpide : il faut arrêter de promouvoir ce qui va dans la mauvaise direction.

Nous avons donc été, agences, annonceurs, régies et médias, dans le cœur du réacteur de la CEC Nouveaux Imaginaires pendant plusieurs mois, avec tous les bouleversements et toutes les déconstructions que cela implique, et les échanges entre co-participants étaient très vifs et passionnants. Nous avons, du côté des « communicants », rapidement constaté que nos discussions bloquaient parfois. Et ça n’était pas tant sur le prisme de « native versus en transformation », que sur le volet « indépendant versus groupe ». En effet, du côté des groupes, souvent, il est plus difficile de faire des choix synonymes de « renoncements » réels ou perçues à court terme, alors que chez les plus petits acteurs, souvent indépendants, il est apparu que la redirection du portefeuille et de l’offre était de l’ordre du possible.

Lorsque l’on prend le chemin d’un parcours CEC, nous avons deux objectifs : l’un est de prendre notre plus belle plume pour rendre une feuille de route en tant qu’entreprise, et l’autre est d’initier un projet collaboratif. Entre acteurs reflétant toutes les couleurs de nos métiers liés à la communication et au marketing, nous nous sommes retrouvés et aimantés les uns aux autres par des valeurs, pour porter une alliance. Une alliance positive, d’agences engagées, qui partagent, parce qu’elles ont vécu la CEC, la même grammaire et les mêmes principes –  et, et c’est important : avec une gouvernance suffisamment claire pour que des décisions puisse s’y prendre en cohérence. A l’occasion de la formation de cette alliance, nous nous sommes en effet vraiment interrogés sur ce qui faisait que l’on pouvait être « dedans » ou « dehors ». Il y a 3 critères sur lesquels nous avons tous été d’accord : 1/ avoir fait la CEC ensemble pour partager des référentiels communs, 2/ être capable, en une seule réunion, de dire « go ou no go”, c’est à dire de pouvoir accepter ou refuser un projet ou un client en fonction de ce référentiel commun, justement, et 3/ de nous attaquer à des sujets sérieux avec sérieux sans nous prendre au sérieux. D’où le nom ! Il c’est le fruit d’une belle discussion en pop-corn comme on dit à la CEC, avec une forte conviction de Thomas Parouty, de l’agence Mieux, qu’un beignet était assez collant pour susciter la curiosité ! Nous avons préféré « alliance » à « coalition », parce que nous voulons créer du lien, pas nous opposer. Quant au design, on le doit au travail et à l’inspiration de Sabine Keinborg de Shortlinks. Une belle démonstration de nos valeurs ajoutées !

Bref : nous avons acté que nous étions bien décidées à soutenir, via la communication, la transition de nos clients en même temps que la nôtre ! 

The Good : Les coalitions sont l’avenir et même le présent de la Responsabilité sociétale des entreprises selon vous ? Pourquoi ?

Céline Puff-Ardichvili : Notre premier chantier en tant qu’Irrésistible Alliance du Beignet est de convaincre des organisations qu’elles ont besoin de nous, parce que justement, nous avons compris que la transition nécessitait le collectif, et nous tablons sur le fait qu’elles le réalisent aussi ! Changer nécessite de revoir nos modes de fonctionnement. Donc nos modèles d’affaires. Et comment prétendre répondre aux enjeux inédits de nos clients, qui eux aussi font face à des transitions complexes à opérer, en ignorant les nôtres ? Une agence « classique » est en compétition avec les autres, et doit être dans une posture de sachant tout en restant dans la séduction. Par nature, elle ne questionne pas le brief du client et n’est pas là pour le déstabiliser. Or c’est ce que nous prétendions faire. Nous sommes convaincus que notre valeur réelle est là. Mais pour cela, il est impératif que l’on questionne notre propre fonctionnement ! Le premier point que nous avons donc déconstruit : la concurrence. Nous devons travailler en collectif.

Nous sommes autant de personnes uniques dans notre alliance. Posez la question à chacun d’entre nous de notre génèse, et vous aurez une réponse différente, qui relève du vécu, des choix que nous avons dû faire, de notre bagage. En revanche, nous partageons des constats, des ordres de grandeur et la conviction que nous pouvons mettre nos métiers au service d’une vraie transition, pas d’un ripolinage. Évidemment, nous savons que personne n’est parfait – nous ne le sommes pas non plus, et tout le monde est « quelque part » sur un chemin. Mais par nature, les systèmes économiques sont complexes et en mouvement. Nous en faisons partie. Dans quel sens voulons-nous entrainer les rouages ? Nous savons questionner la nature du chemin et la direction générale. Si nous avons le même objectif, nous saurons cheminer ensemble ! Donc la marche active oui, se faire balader, non !

L’Irrésistible Alliance du Beignet est notre traduction de la coalition pour répondre aux enjeux sociétaux qui nous préoccupent. Mais les coalitions peuvent prendre différentes formes ! Sur un territoire, tout au long d’une chaîne de valeur, etc.  Chez Look Sharp, on le fait déjà souvent et c’est ainsi que l’on s’est déjà naturellement rapproché d’acteurs engagés ! Ici, on ancre ce principe plus fortement et surtout publiquement. Avec la CEC et l’Irrésistible Alliance du Beignet, c’est un pari, nous sommes heureux de le faire ensemble !  Tout ce qui rend plus résilient en se regroupant en éco système pour aller dans la bonne direction est une piste à explorer.

The Good : Dans le contexte géopolitique compliqué car radical entre les « pro » et les « anti » transition écologique : comment les communicants doivent-ils agir ?

Céline Puff-Ardichvili : Je ne sais pas comment ils doivent agir mais il me semble que nous devons collectivement nous préoccuper de notre responsabilité en tant que profession et en tant que professionnel. Au-delà des soubresauts, postures et revers, posons-nous la question de notre utilité sociétale globale.

En regardant le verre à moitié plein : oui, le secteur s’est mis en marche, essentiellement sur de l’auto-régulation. Des initiatives de réduction des impacts par métiers ont été menées. Sur la publicité néanmoins, j’avoue être circonspecte sur le sujet des indicateurs pour calculer l’impact d’une campagne. Quand pourra-t-on enfin parler de l’objet de la campagne avant même de discuter de son éco-conception ? Alléger en carbone une campagne pour une pâte à tartiner bien lourde, avec un nutriscore déplorable et un lobbying qui va à l’inverse de son déclaratif RSE, forcément, ça reste sur l’estomac, surtout si on prend au sérieux ce qu’on aura partagé à la CEC ! Le rapport des inspections des finances, de la culture et du développement durable, qui a fuité fin mars, a quand même soulevé de vrais sujets comme celui de l’interdiction de certaines publicités. Le tabou suprême !

En regardant le verre de manière réaliste, ne nous leurrons pas : ça reste compliqué. Je ne jette pas la pierre aux communicants qui restent bloqués dans un modèle, j’aimerais juste qu’on arrête de faire semblant. La grande mode est aux nouveaux récits. Chiche ! Mais changeons-les sur le fond autant que sur la forme. Et cessons les : « en même temps” qui nous empêchent d’avancer. Une belle campagne pour un acteur à impact positif créera des impacts positifs, oui, et c’est très bien, mais elle ne peut pas « compenser” ce qui n’est pas remis en question dans l’organisation. Les collaborateurs s’en rendent bien compte.

Une petite tendance se confirme et elle me donne de l’espoir : les risques liés au co branding s’élargissent à l’agence. Surprise ! On réalise enfin que toutes les parties deviennent « garantes » les unes des autres, comme déjà démontré avec une relation client-influenceur. En quoi est-ce différent pour une relation client-agence – mis à part le fait que cette relation n’est pas très visible ? Dans le milieu, cela se voit : est-ce qu’une organisation engagée ou sur le chemin de la transition, qui montre les étapes de sa propre transformation avec humilité et dans une logique de preuves, voudra signer – c’est-à-dire s’afficher ! – avec une agence elle-même engagée ou sur le chemin de la transition, qui montre les étapes de sa propre transformation avec humilité et dans une logique de preuves ? Oui, nous le pensons ! Pourquoi prendrait-elle un risque ?

The Good : Quels sont les projets de l’Irrésistible Alliance du Beignet pour les mois et années à venir ?

Céline Puff-Ardichvili : Nous pensons que les acteurs qui prennent leur transition au sérieux choisiront des agences qui leur ressemblent. Nous n’avons pas de certitude, mais une intuition : les projets que nous choisirons d’accompagner, ceux sur lesquels nous allouerons tout notre temps de cerveau disponible, notre énergie, nos tripes et notre cœur, iront dans le sens d’une transition, parce que c’est ceux qui se présenteront à nous, en partie pour cette histoire de « qui se ressemble s’assemble » que j’ai essayé de décrire plus haut. Nous allons donc naturellement travailler pour des organisations qui ont « vécu » la CEC. Et nous avons pour ambition d’embarquer des grands groupes en transition, parce qu’à nous 13 et peut être bientôt plus, nous sommes devenus un grand acteur de la communication !

Notre valeur ajoutée, en tant qu’Irrésistible Alliance du Beignet, au-delà de notre réelle compréhension des enjeux et de notre nom bien moelleux, est que nous aurons tous les experts autour d’une table, et que le fonctionnement même de nos prises de brief, propositions stratégiques et mises en œuvre seront collaboratives et transparentes ! Pour cela, oui, on va se mettre un peu en danger, c’est vrai, on va réellement questionner les briefs, la motivation des clients, leurs projets, leurs ambitions, les confronter au réel et aux moyens qu’ils mettent en œuvre. Si nous requestionnons notre propre éthique, fonctionnements et moyens, alors nous serons crédibles pour questionner ceux de nos clients. In fine, en avançant, nous faisons avancer nos clients, et vice versa.

Un autre de nos projets, qui découle de ce qui précède, est de continuer à apprendre et de nous amuser en ayant de l’impact, en redonnant du sens à notre métier et de la fierté aux jeunes générations qui veulent embrasser cette belle profession. Nous ne voulons rien de moins que participer au changement de récits dans les agences !

The Good : Comment imaginez-vous votre métier de dirigeante d’agence de relations-presse dans 10 ans ?

Céline Puff-Ardichvili : Merci pour cette question ! Dans 10 ans, rêvons un peu, j’aimerais imaginer 3 petites révolutions dans mon métier : 

1/ Voir le lien humain, le lien physique, sincère, transparent, l’invitation à la discussion, en chair et en os, redevenir la valeur la plus précieuse. Nous, nous travaillons sur les relations publiques, donc les interactions avec et entre les publics. Les publics sont là, mais ils sont sur-sollicités au point de rechercher eux-mêmes une forme de rapidité et de négliger le fond. Pourquoi ces publics seraient-ils intéressés par l’actualité de mon client ? Quelle différence est-ce que je peux faire avec une IA qui la leur mettrait sous le nez ? La différence est dans le lien. Le vrai jus versus un ersatz. Je fais le pari que nous saurons bientôt faire cette différence – si amicalement, je n’ai aucun intérêt à prendre l’apéro avec un bot, je veux croire que professionnellement, les humains se retrouveront aussi. Cassons ces frontières ! 


2/ Voir ré-advenir l’art de la discussion. Pas la rhétorique ou le sophisme pour emballer les discours et retourner les cerveaux ! Non ! Les médias, les influenceurs, les prescripteurs réagissent à l’urgence, sautent sur chaque tendance, cherchent à monétiser leur modèle dans une course à l’éclat sans fin.  J’aimerais voir advenir un mouvement post clash, et même participer à son avènement. En somme, je veux voir revenir l’intelligence dans les échanges, pour apprendre de l’autre et nous enrichir mutuellement. La communication retrouverait un de ses sens premiers : celui de mettre en commun. Quelle richesse !

3/ Retrouver le vrai sens du mot « confiance ». Nous vivons une période Orwellienne et notre profession n’y est pas pour rien : en RP, on a monétisé la confiance en la créant d’un côté et en la détruisant de l’autre, par un tour de passe-passepasse digne d’un magicien qui agite un chiffon d’un côté pendant qu’il fait les poches. Quelle mise en abîme : à force de faire croire que la confiance était un simple produit ou une marque, on en est venu à la transformer en un mot creux qui finit par écœurer – confiance, comme bienveillance, deviendrait rance ? Certes, nous pouvons mettre sur les individus la responsabilité de démêler le vrai du faux. Mais nous pouvons aussi décider de cesser de créer du flou à l’insu de notre plein gré voire de contribuer à une forme de désinformation en acceptant d’être des bras armés complaisants.

Et pour imaginer voir ces 3 points être des réalités dans 10 ans, j’ai besoin de croire en une 4eme petite révolution, qui est en fait une condition : je rêve que dans mon métier, comme dans tant d’autres, on sorte de l’ère du temps ultra compté et compressé pour passer au temps long, le seul qui vaille pour créer du lien, pour réapprendre à échanger et construire une relation – amicale, amoureuse, fraternelle ou business – de confiance.

Dans 10 ans, j’aimerais réaliser que nous avons apporté une toute petite pierre à l’édifice de la transformation du secteur de la communication, ouvert une fenêtre de transparence sur les RP et alimenté en énergie renouvelable un moteur pour réinterroger notre rapport à notre métier. Aujourd’hui, c’est prendre un risque. Dans 10 ans, je serai heureuse d’avoir pris ce risque il y a plus de 10 ans, en 2013, avec Béatrice Lévêque, ma partenaire et fondatrice de Look Sharp !

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Crédits photo : Claire Grandnom

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