Face à l’urgence écologique, faut-il vraiment encore « recycler plus » ou plutôt produire moins ? Militante infatigable de la justice environnementale et sociale, Flore Berlingen démonte les fausses solutions, interroge l’application du principe pollueur-payeur, et milite activement contre la fast fashion.
Cofondatrice de l’Observatoire du principe pollueur-payeur et coordinatrice du plaidoyer d’En Mode Climat, elle nous livre ici une vision sans compromis, guidée par une conviction forte : l’écologie doit être systémique ou ne sera pas.
The Good : Dans votre dernier livre Du bon usage de nos ressources, pourquoi le recyclage doit changer de modèle, paru le 25 avril 2025 aux éditions Rue de l’échiquier, vous critiquez une illusion de solution. Que doit-on faire pour sortir de cette « écologie du symptôme » ?
Flore Berlingen : Dans ce livre, je déconstruis en effet l’idée que le recyclage peut être un remède à la surconsommation de ressources. Malgré un développement important ces dernières années, l’économie circulaire ne parvient pas à faire reculer l’extraction car le problème est ailleurs, dans la croissance exponentielle de la production de biens.
L’idée que je défends, c’est qu’il faut penser le recyclage dans le cadre des politiques de sobriété. Cela veut dire favoriser un recyclage qualitatif et diversifié, permettant d’approvisionner les filières de production de biens durables, plutôt que de tenter de dimensionner des installations à l’échelle de la fast fashion ou des emballages à usage unique – des productions qui, même avec du recyclage, ne seront jamais soutenables et qu’il faut absolument réduire.
The Good : Vous êtes engagée depuis plusieurs années pour une justice environnementale et sociale. Qu’est-ce qui a motivé votre engagement initial ?
Flore Berlingen : J’ai toujours été très sensible aux inégalités, je suis donc arrivée aux questions environnementales par ce biais. Par exemple dans l’accès aux ressources, comme dans la gestion des déchets, les inégalités sociales et territoriales sont criantes.
Et puis ensuite, en explorant plus profondément les impacts de la surproduction-surconsommation, j’ai été de plus en plus sensible aux aspects plus strictement environnementaux ou sanitaire : l’indignation, voire la colère (face à la destruction des écosystèmes, ou face au constat de notre empoisonnement à petit feu causé par les substances chimiques contenues par exemple dans les plastiques) sont pour moi des « moteurs » puissants.
The Good : Vous avez cofondé l’Observatoire du principe pollueur-payeur. Quelle est sa mission et pourquoi était-il urgent de créer un tel observatoire ?
Flore Berlingen : Cet observatoire a vocation à examiner l’application du principe pollueur-payeur : ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas ou pas suffisamment bien, les effets de bord, ou même des aspects contreproductif. Il me paraît essentiel de garder un oeil critique sur ce principe, car il est désormais central dans les politiques environnementales. Il se traduit par différents mécanismes : fiscalité, marchés carbones, filières à responsabilité élargie du producteur (REP), etc.
A première vue, le principe pollueur-payeur est tout à fait consensuel, mais son application fait largement débat parmi les experts et chercheurs et à mon sens il y a un véritable enjeu démocratique à ce que tous ces mécanismes soit discutés beaucoup plus largement.
The Good : La France est-elle exemplaire en matière d’application du principe pollueur-payeur ?
Flore Berlingen : La situation est très contrastée : nous avons relativement peu développé la fiscalité environnementale, très mal perçue à cause de la mauvaise conception de certains dispositifs proposés. Par contre, la France fait figure de « vitrine » des filières de Responsabilité élargie de producteur, le mécanisme qui finance la gestion des déchets (emballages, meubles, textile, etc.).
Pour autant, le fonctionnement de ces filières est loin d’être optimal, en grande partie du fait de conflits d’intérêts, qui ont été pointés par plusieurs rapports d’ONGs et même par une mission d’inspection interministérielle l’an dernier.
The Good : En tant que coordinatrice plaidoyer pour En Mode Climat, quels sont aujourd’hui vos combats prioritaires dans l’industrie de la mode ?
Flore Berlingen : Nos priorités sont de lutter contre la surproduction textile, et de favoriser la relocalisation d’une partie de l’industrie textile. Et pour cela, il est indispensable de faire évoluer les règles du jeu, le cadre réglementaire de ce secteur dans lequel règne aujourd’hui la « prime au vice ». Nous utilisons cette expression pour désigner le fait que les acteurs ayant les pires pratiques sur le plan social et environnemental sont largement avantagé sur le marché hyperconcurrentiel de la mode… il faut inverser cette situation, et cela ne peut pas passer seulement par des démarches volontaires ou par l’encouragement des consommateurs.
En ce moment, nous travaillons donc beaucoup sur la loi anti fast fashion qui sera examinée début juin au Sénat – après avoir été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale il y a un peu plus d’un an. Nous sommes très vigilants, car malheureusement le texte qui était très prometteur pourrait être vidé de son sens… or il y a vraiment urgence à agir, et si nous réussissons, l’exemple français pourrait encourager d’autres pays se mobiliser contre la fast fashion.