11/04/2022

Temps de lecture : 7 min

Augustin Boulot (B Corp) : « Une des vraies spécificités de B Corp est la reconnaissance des modèles d’affaires à impact »

Le mouvement et label B Corp est de plus en plus prisé par les entreprises françaises engagées. Guide ou chemin de transformation pour certains, label grand public pour d’autres, nous avons souhaité décrypter le succès de B Corp pour vous. Rencontre avec Augustin Boulot, le délégué général de l’association B Lab en France.

Le mouvement et label B Corp est de plus en plus prisé par les entreprises françaises engagées. Guide ou chemin de transformation pour certains, label grand public pour d’autres, nous avons souhaité décrypter le succès de B Corp pour vous. Rencontre avec Augustin Boulot, le délégué général de l’association B Lab en France.

The Good : Label, certification, mouvement : B Corp est souvent revendiqué par les entreprises engagées, mais reste peu connu des non-initiés. Pourriez-vous nous présenter B Corp ?

Augustin Boulot : B Corp est né aux US en 2006, au sein d’une ONG, B Lab, avec l’ambition de permettre aux entreprises de pérenniser leurs bonnes pratiques au-delà des dirigeants et dirigeantes, en inscrivant leurs engagements dans leurs statuts. En France c’est une association de loi 1901, créée fin 2019, prenant le relai du cabinet Utopies qui était le remarquable porteur du mouvement B Corp en France depuis 2015.

Nous sommes très attachés à la notion de mouvement. B Corp tente de créer un cadre et un chemin pour aider les entreprises à repenser le rôle et la place qu’elles peuvent tenir dans la société. Nous le faisons avec plusieurs outils. Tout d’abord le label, qui récompense les entreprises assez pionnières. C’est une vitrine qui permet de montrer que l’on peut réconcilier l’entreprise et le bien commun ; un projet économique et financier qui tient la route et qui a un impact positif sur l’environnement, la société et l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise. Le deuxième outil est le B Impact Assessment (BIA), qui structure tout le fond de la démarche et qui est audité par nos soins. Les entreprises qui veulent être labellisées doivent franchir la barre des 80 points. Il peut être utilisé librement et gratuitement par toutes les autres, et servir de point de repère, un outil de pilotage utile dans la construction d’une feuille de route pour celles qui inscrivent leur transformation dans le temps long.

Le mouvement B Corp est un collectif d’entreprises qui se mettent en action, avec l’envie de progresser. C’est une des forces du mouvement. Selon une de nos études au UK, 75% des entreprises viennent pour l’aspect communautaire, au-delà du label utile à une levée de fonds ou recruter des talents. Nous essayons donc de faciliter les échanges entre les entreprises membres, par l’animation de groupes de travail sur le carbone et le climat, la gestion des déchets, le management responsable, la société à mission, etc…Il s’agit de partager de bonnes pratiques, voire d’échanger entre entreprises parfois concurrentes pour affronter les défis qui sont les mêmes pour nous tous. Nous proposons également au monde académique d’être associé et voulons tisser des liens forts avec les acteurs économiques au niveau local.

The Good : Comment avez-vous construit le BIA – qui sert de base à la labellisation ?

A.B : Notre fil rouge est la possibilité de développer un modèle d’entreprise qui crée de la valeur pour l’ensemble de ses parties prenantes, à considération égale en termes de décision stratégique et de répartition de la valeur. Il n’est pas question de déconsidérer l’actionnaire, mais nous pensons que la valeur doit être la mieux répartie possible.

Le BIA est structuré autour des 5 grandes familles de l’Impact et ses parties prenantes. Il y a tout d’abord la gouvernance, les questions relatives aux actionnaires, aux prises de décisions, à l’inscription de la mission ou de la raison d’être dans les statuts de l’entreprise, et à son respect. Puis les questions liées aux collaborateurs : niveau de rémunération, de bien-être, d’équilibre vie professionnelles/ vie personnelle, de progression interne et personnelle, etc… Le troisième volet c’est la « community », que l’on traduit en Français par « collectivité », à savoir toute la chaîne de valeur et la façon dont l’entreprise va agir avec ses parties-prenantes locales, les questions de diversité et d’inclusion. La quatrième grande famille, c’est l’environnement autour de deux blocs : la gestion environnementale (mesure, objectifs etc..) et l’impact opérationnel sur l’eau, les déchets, la biodiversité, le carbone, etc. Enfin, le cinquième pilier, plus récent, correspond aux clients : comment l’entreprise protège ses clients, leurs données, les sujets d’éthique du marketing et de la communication.

Une des vraies spécificités de B Corp est la reconnaissance des modèles d’affaires à impact et de fait, le double niveau de réponse au BIA. D’un côté, les pratiques opérationnelles ; de l’autre, la démonstration pour l’entreprise qu’elle va, de manière structurante, vers un modèle à impact. Par exemple, le bio est considéré comme un modèle d’affaire à impact, et nous allons récompenser les entreprises qui sont très structurées sur le sujet, et non celles qui auraient fait simplement l’effort de ne sortir qu’une gamme bio à côté de leurs autres produits. Cette question du modèle d’impact est challengeante pour l’entreprise, et certainement celui qui est le plus transformant. Dans les projets de re-certification que nous recevons, 50% affirment avoir ajouté un modèle d’affaires à impact. Au-delà des bonnes pratiques opérationnelles qu’une entreprise peut mettre en place, si elle touche à son modèle d’affaire, c’est qu’elle a pris une décision assez radicale, un virage important dans son offre, son recrutement, son mécanisme industriel, etc. Cette dimension transformante fait que B Corp s’interface bien avec la Société à mission.

Notre fil rouge est la possibilité de développer un modèle d’entreprise qui crée de la valeur pour l’ensemble de ses parties prenantes, à considération égale en termes de décision stratégique et de répartition de la valeur.

The Good : Comment se structure le mouvement B Corp en France ?

A.B : Notre association compte une dizaine de permanents, bientôt quinze. Nous avons été submergés par les demandes de certification depuis notre création il y a deux ans et demi. Nous avons mis notre énergie sur la réponse aux questions et à l’accompagnement des entreprises. Les prochains mois pourront être un peu plus consacrés à l’élargissement de notre capacité d’influence. B Corp France c’est 190 entreprises certifiées, et 10 000 utilisateurs du BIA, gratuit et sans limite d’utilisation. On se doit de proposer des outils à ces entreprises aussi, pour les aider à progresser. Car si on ne parle qu’aux pionniers, on n’y arrivera pas !

The Good : Comment B-Corp se positionne face aux autres outils et démarches d’évaluation, comme par exemple la plateforme impact.gouv ?

A.B : Dans le cas d’impact.gouv, nous avons proposé au groupe de travail mis en place par la Ministre Olivia Grégoire l’intégralité du BIA en format excel (soit 300 questions à tiroir, quasiment 2000 références d’impact). Une de nos convictions est qu’il faut dépasser les enjeux de RSE pour interroger les modèles d’affaires des entreprises. Nous sommes également convaincus qu’un des grands enjeux auquel nous devons répondre collectivement, c’est la création de ponts, parfois même technologiques, pour faciliter la vie des entreprises qui doivent remplir de nombreux documents (labels, conformités, BIA, etc…), en faisant en sorte qu’il y ait une connexion entre toutes ces plateformes. Nous l’avons fait en 2020 avec le Global Compact de l’Onu, au moment où nous avons lancé le SDG Action Manager. Cela permet aux entreprises qui remplissent leur BIA de remplir pour 45% des questions une équivalence en langage ODD (objectifs du développement durable).

On essaye souvent de nous faire dire que nous sommes concurrents, avec Zei, la communauté des Entreprises à mission, Afnor, Lucie, etc…Je pense que c’est tout l’inverse.

The Good : Quelle est la latitude de B Lab France vs l’international ?

A.B : B Corp un label international, construit comme tel. Beaucoup d’entreprises viennent pour cela. Les décisions sont prises à l’international, un peu comme à l’ONU, où il y a des négociations, des compromis, même s’il existe au niveau régional des groupes de travail reconnus dans la gouvernance. A terme il y aura un enjeu relatif au poids de l’Europe dans la gouvernance de B Lab et de la décentralisation des standards. Une autre question se pose, celle de la reconnaissance européenne donnée à notre organisation, pour participer aux consultations et décisions officielles, par exemple sur la taxonomie européenne, la directive CSRD ou le reporting extra-financier..

B Lab n’est pas un outil normatif, c’est un de nos marqueurs. Nous nous appuyons sur un certain nombre de normes existantes (ISO 26 000, 14 001, etc..), mais notre référentiel repose surtout sur les pratiques et la performance. Par exemple, si vous avez mis en place du mécénat de compétence, ce qui va surtout nous intéresser c’est « combien de salariés, pour combien d’heures ? ». B Corp est un outil de mesure d’impact des pratiques. Cela fait que les entreprises s’y retrouvent.

The Good : Quel bilan faites-vous du B Corp Month qui s’est tenu en mars ?

A.B : Chaque mois de mars, partout dans le monde, les entreprises B Corp essayent de mettre en valeur ce qu’elles font. C’est aussi l’occasion de faire un peu de BtoC. Cette année cela a été très particulier, l’invasion de l’Ukraine a débuté au moment où nous lancions la campagne. Nous avons changé la tonalité de nos messages,  afin d’expliquer ce que cela implique en matière de pratique managériale, environnementale, etc.. C’est un moment important car cela permet de rappeler que B Lab c’est un mouvement, local, national et international.

The Good : Comment voyez-vous les prochaines années ? 

A.B : Si l’on suit le rythme des deux dernières années, nous pourrions franchir le cap des 500 B Corp d’ici 2-3 ans. Nous avons un enjeu de capacité d’audit, nous avons une longue file d’attente, malgré un triplement des effectifs d’audit. Un auditeur met 9 mois à être formé…

Si l’attente va se résorber, il faudra cependant que l’on se résolve à l’idée que toutes les entreprises ne pourront être certifiées, mais que nous devons leur offrir un cadre, un chemin de progrès.

Si l’on suit le rythme des deux dernières années, nous pourrions franchir le cap des 500 B Corp d’ici 2-3 ans.

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