De la raison d’être à la raison d’agir. En 2 ans, Orange a formalisé sa raison d’être avec l’ensemble de ses parties prenantes et l’a inscrite dans ses statuts en Assemblée Générale. L’heure est désormais à l’opérationnalisation et à l’action, avec notamment l’installation de son 1er Comité Raison d’agir. Mis en place le 19 novembre dernier, il nous est présenté par Béatrice Mandine, Directrice Exécutive, Communication, Marque & Engagement du Groupe Orange.
The Good : Pouvez-vous nous rappeler l’historique de votre raison d’être formalisée par le Groupe en 2019 ?
Béatrice Mandine : Dans la sphère du branding, le purpose n’est pas un concept nouveau. Ce qui est nouveau, c’est de mettre la raison d’être au cœur de la stratégie de l’entreprise. Stéphane Richard, a annoncé dès l’AG de 2019 l’intention de formaliser la raison d’être du groupe en vue de l’inscrire aux statuts. Je dis « formaliser » parce qu’une raison d’être ne s’invente pas. Elle doit s’appuyer sur ce que nous sommes, sur l’ADN de l’entreprise et vers où on veut aller, ce n’est pas artificiel.
Cela a commencé par une phase de teasing qu’on a lancé sur Twitter pour demander aux salariés et à notre écosystème comment ils voyaient la raison d’être du groupe. Ça a eu tout de suite un assez vif succès, il y a eu 15 000 interactions et 3000 contributions. Nous sommes ensuite entrés dans une phase de consultation plus exhaustive des parties prenantes de l’entreprise. On l’a fait « à la Orange », c’est-à-dire en co-construction. Nous avons monté des ateliers avec le Comex, également fait une quarantaine d’entretiens avec diverses parties prenantes : des ONG, des syndicats, d’anciens patrons du groupe, ou encore des partenaires industriels. On a aussi doublé d’une consultation tous salariés via le biais de l’application Toguna en 4 langues différentes. On a eu près de 130 000 votes et plus de 2300 contributions sur l’application.
TG : En quoi la raison d’être a-t-elle été placée au cœur de la stratégie d’entreprise ?
BM : Nous avons veillé à mener ces travaux en parallèle des travaux de co-construction du plan stratégique Engage 2025. J’ai dû résister à un exercice de com. Le but n’était pas de trouver une formule qui claque, une formulation littéraire ou communicante, mais une formulation qui reflète ce que nous voulions dire et qui soit accessible au plus grand nombre. Nous avons eu des débats par exemple autour du progrès positif, concept peut-être trop intello qui risquait de susciter des interprétations fausses.
Nous ne sommes pas partis de rien, nous avons une marque assez forte qui a une vraie personnalité. Notre philosophie Human Inside est très développée et les salariés s’y attachent. Nous pensons que la technologie et l’innovation sont un progrès pour l’humanité, du moment qu’on est avertis des excès et du danger. La technologie n’a de sens que si elle est au service de l’homme. Il y avait vraiment un alignement entre la formulation de notre raison d’être et sa déclinaison à plus court terme via le plan stratégique Engage 2025.
Ensuite, nous avons inscrit notre raison d’être dans nos statuts à l’AG de 2020 avec 99% de votes favorables. Cela démontre bien qu’il y a un appétit dans tous les cercles dans lesquels on en a parlé, les actionnaires ne sont pas imperméables à ces évolutions sociétales.
TG : Comment votre raison d’être est-elle pilotée dans le Groupe ? Comment la diffusez-vous auprès de vos parties prenantes, de vos salariés et auprès de vos clients ? Quelles actions mettez-vous en place pour la concrétiser ?
BM : Au titre de directrice de la Communication, Marque et Engagement d’Orange, j’ai la mission de piloter et opérationnaliser la raison d’être. Ce n’est pas un programme de plus qu’on essaie de déployer quelque part, ce doit être démontré dans les actions. Il fallait asseoir une gouvernance et Stéphane Richard a annoncé qu’il voulait mettre en place le Comité Raison d’agir à l’AG 2020 avec la volonté d’avoir des personnalités externes, à qui on a donné un rôle d’alliés critiques. La raison d’être sert de boussole à notre action, on s’engage à le démontrer dans les faits.
Nous avons travaillé à une mise en cohérence de tous les concepts et fait de la pédagogie dans la « Maison Orange ». Sur le fronton de la Maison, il y a écrit la raison d’être. Ensuite, il y a 4 piliers qui sont l’égalité numérique, la protection de l’environnement, l’engagement pour une économie responsable et l’engagement pour une société de confiance. Pour chacun de ces piliers on a choisi des indicateurs chiffrés, qui servent d’outils à la direction générale et au Comité Raison d’agir, afin de mesurer les progrès qu’on fait dans ces domaines-là.
TG : Comment est composé le Comité Raison d’agir ?
BM : Il est composé de huit personnalités externes et deux internes, c’est un comité paritaire et diversifié : Mme Jadwiga Czartoryska, ancienne Directrice de la Fondation Orange Pologne, M. Axel Dauchez, Président de Make.org, M. Alan Fustec, Président du cabinet Goodwill Management et Président de l’Agence Lucie, M. Nicolas Glady, Directeur général de Télécom Paris, Mme Ebba Kalondo, Porte-parole au bureau du président de la Commission de l’Union africaine, M. Philippe Lemoine, Président d’honneur de la Fondation Internet Nouvelle Génération, Mme Inès Léonarduzzi, Présidente de Digital for the Planet, Mme Hélène Valade, Directrice environnement du Groupe LVMH et Présidente de l’Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (ORSE), Mme Élizabeth Tchoungui, Directrice exécutive de la RSE, de la diversité et de la solidarité d’Orange, et moi-même.
Nous avons réuni pour la première fois ce Comité raison d’agir le 19 novembre dernier, et cela a été très riche. En toute humilité, on ne savait pas initialement où on allait. Nous avons pris une matinée de réflexion pour déterminer ensemble comment on allait s’y prendre. Nous avions la volonté de partager avec eux nos intentions et nos indicateurs. On aurait pu décider que c’était le CGRSE – comité de gouvernance RSE émanant du Conseil d’administration – qui allait prendre ce rôle-là. Le Comité Raison d’agir a été créé volontairement à part pour garantir son indépendance.
TG : Avez-vous des exemples d’indicateurs que vous avez mis en place ? Êtes-vous accompagnés dans la mise en place de ces indicateurs ?
BM : Les indicateurs, c’était un peu mon dada en tant que Directrice de la Communication. Nous avons un devoir de preuve de tout ce qu’on dit. Notre raison d’être a besoin d’être matérialisée, d’être factualisée. Nous avons choisi pour cela 14 indicateurs solides pour la plupart déjà suivis par la direction d’Orange.
Nous pouvons par exemple citer le taux de féminisation dans les réseaux de management, l’accès à la formation pour tous, le taux de recommandation global des clients, le taux de couverture de la population à la 4G et le nombre de foyers raccordables à la fibre, le nombre de bénéficiaires accompagnés dans l’acquisition de compétences numériques, le recours aux énergies renouvelables, les actions menées pour être Net 0 carbone en 2040 ou encore le nombre de comptes Orange Money actifs en Afrique.
Nous avons aussi fait la démarche volontaire de les faire auditer par KPMG pour avoir un regard extérieur afin de savoir si c’était représentatif du scope de la raison d’être. Ils ont salué le fait que c’était à la fois assez synthétique et bien représentatif de l’acteur de confiance que nous voulons incarner.
TG : Stéphane Richard a porté le sujet de la raison d’être depuis le début. Comment ce projet va-t-il survivre à son départ ?
BM : La pérennité de la raison d’être ne se discute pas, c’est inscrit aux statuts, qui est une forme de garantie. Ce n’est pas attaché uniquement à la personne de Stéphane Richard, même s’il en aura été l’initiateur et l’artisan depuis plusieurs années.
La raison d’être c’est au-dessus de tout.. En effet, je ne pense pas me tromper en disant qu’à l’échelle de nos vies, on ne verra pas de changement de raison d’être chez Orange car elle formalise un engagement sur le long terme alors que tout ce qu’on fait dans l’entreprise en général a un espace-temps plus court.
TG : Quelle est votre vision, en tant que directrice de la communication, de la part de plus en plus importante prise par les sujets de RSE, d’engagement et de raison d’être dans la communication ?
BM : Cela fait longtemps que je suis convaincue qu’une marque doit écouter la société dans laquelle elle évolue donc cette tendance à l’engagement sociétal des marques est structurelle. D’une certaine manière, si on résumait le marketing uniquement à vendre des produits, c’est une manière bien étriquée de voir l’influence des marques. Je prône depuis des années une stratégie de marque engagée car par notre activité et notre histoire c’est aussi ce que nous sommes.
Chez Orange, maintenant que tout le groupe se saisit de ce sujet de la raison d’être, elle appartient à tout le monde. Que vous soyez Stéphane Richard, vendeur en boutique, ou installateur dans une ville africaine, ça ne change rien, vous partagez une vision, raison d’être. On risque moins d’être perçu comme la com qui a de belles images et des beaux films mais qui finalement n’est pas complètement embarquée dans l’entreprise. J’ai toujours veillé à faire évoluer les codes de la marque Orange en parallèle du plan stratégique. Il est important d’être main dans la main, la communication est l’étendard de l’entreprise.
si on résumait le marketing uniquement à vendre des produits, c’est une manière bien étriquée de voir l’influence des marques.
TG : Quelle est votre feuille de route pour opérationnaliser la raison d’être ?
BM : Il y a 3 sessions du Comité Raison d’agir par an, elles sont déjà planifiées. En parallèle, on continue la phase de pédagogie dans l’entreprise sous deux formes : un webinaire à la disposition des salariés et des séances d’appropriation de la raison d’être métier par métier. Nous sommes en train de faire un pilote, pour définir quel type d’atelier faire pour familiariser ou rapprocher ce concept de raison d’être du quotidien des salariés.
C’est un gros chantier qui va nous prendre au moins l’année 2022.
TG : Si vous aviez une preuve emblématique aujourd’hui qui incarne la raison d’être chez Orange ?
BM : La première chose que l’on a faite c’est de mettre deux engagements sociétaux (égalité numérique et protection de l’environnement) au sommet du plan stratégique de l’entreprise et ce n’est pas anodin. Si on regarde les entreprises du CAC 40, ce n’est pas si courant. Elles en parlent mais ce n’est pas inscrit au plan stratégique. Reste à le démontrer par une action emblématique, c’est ce sur quoi nous travaillons aussi.