Lire un rapport RSE n’est déjà pas évident. Mais s’y attaquer sans bien connaître le principe des scopes – périmètres d’émissions en bon français – relève du casse-tête chinois. Cette méthode de calcul reste pourtant essentielle pour évaluer le bilan carbone des entreprises, bien que d’autres protocoles apparaissent.
L’histoire du réchauffement climatique se raconte aussi par les outils conçus pour en mesurer les causes. En 1998, le Greenhouse Gas Protocole (GHP) est le premier à encadrer à l’échelle internationale la comptabilisation des gaz à effet de serre (GES) des entreprises. C’est là qu’apparaissent les fameux scopes 1 et 2, des périmètres qui englobent les émissions directes et une petite partie des émissions indirectes d’une entreprise (celles liées à consommation d’énergie). Un outil ambitieux pour l’époque, qui intégrera d’ailleurs les normes ISO de l’Europe à partir de 2006.
Le rôle moteur du bilan carbone
En France, ce n’est pas le protocole international, mais la méthode du bilan carbone développée en 2004 par l’ADEME qui sera privilégiée. Plus ambitieux que le GHG (GreenHouse Gas) protocol, ce calcul hexagonal mesure les émissions d’une activité à partir de trois périmètres, incorporant ce qu’on nomme le scope 3, c’est-à-dire toutes les émissions indirectes en amont et en aval d’une entreprise (marchandises, services, transports, etc.). Autre avantage du bilan carbone, il peut mesurer aussi bien les émissions d’un individu que d’une entreprise, d’un produit que d’un service. Pas mal pour un gros tableau Excel. Son efficacité et sa souplesse conduiront d’ailleurs à son inscription dans la loi Grenelle II de 2010, loi qui a contraint les entreprises, collectivités et établissements de grande taille à réaliser un bilan carbone tous les trois ans. Face au développement de cet outil, mais aussi d’initiatives internationales comme le Carbon Disclosure Project, le GHG finira par intégrer le fameux scope 3 en 2011, soit l’ensemble des émissions rattachées à une entreprise. Seul hic, l’intégration de ce troisième périmètre dans les rapports RSE d’entreprise sera facultative, laissant aux dirigeants la liberté d’évacuer le problème.
Scope 1 et 2, la responsabilité directe de l’entreprise
Les scopes sont des périmètres opérationnels, ils visent donc à catégoriser les émissions concrètes d’une entreprise. Le scope 1 représente les émissions directes de la structure, soit la combustion des ressources qu’elle possède (carburant, procédés industriels et agricoles, climatisation, chauffage, etc.). Mais ce premier périmètre n’encadre pas l’extraction, le raffinage et le transport des énergies consommées, qui représentent pourtant les émissions les plus lourdes. Leur bilan est intégré au troisième scope, faisant du scope 1 un champ d’émission très léger. Quant au scope 2, son contenu est tout aussi aérien. Il concerne les émissions indirectes associées à la production d’énergie de l’entreprise (électricité, chaleur, vapeur, froid), généralement les émissions des fournisseurs. Ce deuxième périmètre n’intègre pas non plus l’extraction, le transport et les infrastructures nécessaires à la production d’énergie, dont le bilan carbone est pourtant considérable. Les deux premiers scopes, dont la responsabilité incombe directement à l’entreprise, sont ainsi d’une nature assez timorée. Le scope 3, lui, s’avère plus costaud.
Scope 3, une responsabilité indirecte, mais cruciale
Le troisième périmètre englobe tout ce qui n’a pas été compris dans les deux premiers périmètres, soit la majorité des émissions de la chaîne de valeur d’une entreprise. Sur les vingt-deux sous-catégories des trois périmètres, le troisième scope en compte seize à lui seul. Parmi eux, sept sont liées à l’énergie, notamment l’extraction, le raffinage et le transport d’énergies fossiles, le reste touchant à des choses aussi hétéroclites que l’achat de mobilier et de matériel informatique, les investissements, les déchets issus de la production, les marchandises achetées, leur transport en amont et aval, les déplacements professionnels, le transport de visiteurs et de clients… Bref, autant de postes d’émissions qui font du scope 3 le plus important des trois périmètres, malgré son intégration facultative dans les rapports RSE. En juin 2020, la Convention Citoyenne pour le Climat a proposé que le troisième périmètre devienne obligatoire dans le bilan carbone des entreprises. Une proposition largement édulcorée par la majorité de l’époque. Il faut dire que la valeur du scope 3 dépend très largement des fournisseurs et distributeurs avec lesquels l’entreprise collabore, et dont les sous-traitants manquent parfois de transparence. Mais à qui donner la responsabilité si ce n’est à l’entreprise ?
Science Based Targets, Net Zero Initiative, Fit for 55 : des outils alternatifs
D’autres approches émergent depuis quelques années. La Net Zero Initiative par exemple, un projet impulsé par le cabinet Carbone 4 qui propose notamment un bilan carbone complet des entreprises intéressées – intégrant le scope 3 – ainsi qu’une analyse du cycle de vie de ses produits et services. Autre initiative, le Science Based Targets, un partenariat mondial entre la WWF et le Pacte Mondial des Nations Unies qui vise à accompagner de façon sectorielle, globale et économique la transition d’une entreprise vers un modèle bas carbone compétitif. Et enfin, Fit for 55, un paquet de propositions législatives à l’échelle européenne pour soutenir l’objectif de l’UE visant à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030.