Si le réchauffement climatique est une menace, il ne faudrait pas que l’arbre cache la forêt. Car derrière ce phénomène quasi irréversible et désormais bien connu à travers le monde, pointe aussi la disparition des espèces animales et végétales. Les chiffres sont là et sonnent l’alerte rouge. Selon l’Office national pour la biodiversité (OFB) et le rapport Planète Vivante du WWF, 68 % des populations de vertébrés (mammifères, poissons, oiseaux, reptiles et amphibiens) ont déjà disparu de la surface du Globe entre 1970 et 2016. 40 % des insectes sont aussi en déclin depuis 30 ans. 85 % des zones humides ont été détruites. 66 % des milieux marins sont détériorés. 15 milliards d’arbres sont abattus chaque année dans le monde… Triste constat. Mais ONG, pays, continents, acteurs du monde économique et citoyens se mobilisent pour tenter d’inverser ces funestes tendances.
Toujours selon l’OFB, « toutes les causes de l’effondrement de la biodiversité résultent des activités humaines qui affectent tous les milieux, tous les pays, toutes les espèces ». D’où l’intérêt d’embarquer les entreprises dans la lutte pour la préservation de la biodiversité et la restauration des écosystèmes. « Plus de 50 % du PIB mondial dépend de la nature, assure Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France. Et 75 % des produits bancaires vont à des entreprises fortement dépendantes de la santé écosystémique. » Parmi les secteurs les plus responsables des impacts sur la biodiversité caracolent en tête l’agroalimentaire, les énergies, le textile, la finance et les infrastructures (transports, bâtiments, etc.). « Les entreprises s’attaquent et s’engagent actuellement surtout aux sujets concernant avant tout la crise climatique, mais pas vraiment à la crise qui concerne la biodiversité, ajoute Véronique Andrieux. Or, ces deux crises sont interdépendantes et se rétro-alimentent, il est de notre devoir d’expliquer cela aux acteurs économiques et de leur démontrer que leurs systèmes financiers et leurs activités sont dépendants de la nature et du climat. » Sans abeilles, papillons et insectes pour polliniser fruits et légumes, c’est la fin d’une partie du business de l’agroalimentaire.
Même sentence si les océans se vident, ou que les sols s’appauvrissent tant l’élevage ou les cultures deviendront impossibles ou peu rentables. Si les forêts disparaissent quid des cueillettes de karité (impossible à cultiver) essentiel à la fabrication de certains cosmétiques ? Les exemples sont nombreux et certains grands groupes prennent déjà conscience de ces enjeux. Bien sûr, ils sont aussi poussés à réagir par la multiplication des accords mondiaux, lois européennes ou nationales (CSRD, règlement anti-déforestation, devoir de vigilance, etc.). Mais quelques-uns sont leaders dans ce domaine et ont débuté leur engagement en faveur du vivant depuis plusieurs décennies, notamment certains géants économiques français comme les groupes de luxe, les marques de mode et de cosmétiques ou les géants de la distribution et du commerce. Certes, tout n’est jamais parfait, surtout quand il s’agit de rendre ces industries plus vertueuses, mais nul ne peut nier que les efforts sont bien là. « Pour nous, l’enjeu est de travailler avec des groupes et des entreprises capables de s’engager très concrètement et de démontrer ainsi à tout leur secteur d’activité qu’il est possible de changer les pratiques, d’avoir une intégrité environnementale robuste sans mettre en péril tout son business, poursuit la directrice générale du WWF France. Il y a des outils, des lois, des solutions et des plans de transition qui existent et font leurs preuves. » Parmi ces entreprises avant-gardistes qui travaillent depuis longtemps avec les ONG et les associations, agit (sur certains domaines) le groupe Bel sur le travail des sols et la réduction du nombre d’hectares utilisés. Mais aussi Sodexo, Carrefour, Hermès qui ont tous adopté des plans de transition (respect de la biodiversité, actions de restauration, préservation de l’eau et des zones humides, plantations de haies, etc.) et accepté d’être accompagnés et audités. « Ces actions sont très loin du greenwashing, car elles impactent concrètement et profondément les entreprises et leur manière de produire, souligne Véronique Andrieux. Certaines peuvent parfois aller jusqu’à abandonner des produits ou des projets et des modèles d’affaires pour respecter leurs engagements. » Des très nombreuses marques ou holdings ont aujourd’hui amorcé ces changements et sont aujourd’hui des exemples à suivre, pour peu que l’on s’intéresse et que l’on cherche à en savoir plus sur leurs actions. Florilège de bonnes pratiques et d’idées généreusement partagées en « open source » par ces groupes très concrètement engagés. Car il ne suffit plus, en effet, proclamer planter des arbres à Bornéo pour se prévaloir de sauver la biodiversité. Les actions vont désormais beaucoup plus loin. Et au-delà d’efforts individuels, certaines entreprises, d’ordinaire concurrentes sur un même marché, s’unissent pour avoir plus d’impact.
CHANEL : En janvier 2024, à l’initiative de Chanel, 15 acteurs de l’industrie cosmétique ont ainsi lancé le consortium TRASCE pour améliorer la traçabilité de leurs chaînes d’approvisionnement. Donnant vie à une alliance sectorielle inédite unissant Albéa, Chanel, Clarins, GPA Global, Dior, The Estée Lauder Compagnies, Shiseido, Sisley, L’Occitane, L’Oréal, Merck, Neyret, Nuxe, Sensient. « TRASCE vise à répondre à trois enjeux fondamentaux pour nos industries, explique Julien Garry, directeur international des achats et innovation développement packaging chez Chanel Parfums-Beauté. Mieux connaître nos chaînes d’approvisionnement, évaluer les risques sociaux et environnementaux et déterminer les actions nécessaires à mettre en œuvre pour accompagner les filières dans leur transition. Cette dynamique commune est sans aucun doute plus puissante qu’une accumulation de démarches individuelles. » Récemment, d’autres marques et groupes ont déjà rejoint le mouvement, tels le groupe Rocher, NOAS et les laboratoires Expanscience. « Le manque de visibilité et la complexité croissante des chaînes d’approvisionnement entravent notre appréhension des risques de pénurie, d’accentuation des phénomènes de déforestation, d’érosion de la biodiversité et de changement climatique, commente Julien Garry… L’avenir de notre industrie dépend en partie de la transparence, de la durabilité et de la responsabilité de nos chaînes d’approvisionnement. D’où l’intérêt de cette démarche collective de l’industrie, de conviction, mais aussi d’acculturation de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, aux enjeux de traçabilité (réglementaires, transparence consommateur, impacts sociaux et environnementaux maîtrisés…). » Et, finalement, l’impact pour les consommateurs à terme sera l’amélioration d’un produit plus vertueux, issu de filières plus durables.
BLEU BLANC CŒUR : Autre démarche collective de qualité et de réduction des impacts des industriels, le label Bleu Blanc Cœur, lancé en août 2000, vient de passer du statut d’association loi de 1901 à celui de SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif). « Depuis toujours, Bleu Blanc Cœur développe et pousse les nouveaux modes de production agricoles favorisant plus de diversité (luzerne, lupin, légumineuses, féveroles), les liens au sol et les cultures d’intérêt nutritionnel fort, explique Nathalie Kerhoas, directrice de Bleu Blanc Cœur qui compte aujourd’hui 900 acteurs économiques (Fleury Michon, Terrena, Système U, Maître Coq, Carrefour, Picard, Auchan, Lesieur) et 32 000 membres (personnes individuelles). Notre rôle, en tant que collectif d’acteurs (agriculteurs, producteurs, industriels, distributeurs, etc.), c’est de permettre aux gens de mieux manger, aux agriculteurs de mieux produire tout en préservant la biodiversité et c’est aussi de remettre des couleurs dans les paysages. La biodiversité est un effet connexe de notre raison d’être, mais c’est notre boussole ». Et, de fait, l’effet est massif. En une année de production chez Bleu Blanc Cœur, ce sont des milliers d’hectares impactés par les polycultures, le rétablissement des microbiotes des sols, la baisse des intrants, le retour du vivant… Et si certains se demandent toujours quels sont les impacts concrets de ces changements de pratiques, le label vient de publier une étude clinique qui démontre qu’il y a 50 % d’oméga 3 en plus dans le lait maternel des mamans qui ne mangent que des produits labellisés Bleu Blanc Cœur (donc issus d’une agriculture plus raisonnée et respectueuse de la biodiversité) et 20 % de carbone émis en moins. « C’est important de démontrer ces impacts car si les bénéfices sont tangibles et concrets pour les consommateurs et les industriels, on ira assurément plus vite dans la transition », assure Nathalie Kerhoas.
GROUPE ROCHER : Certains groupes français sont très engagés, depuis plusieurs décennies déjà, dans la préservation de la biodiversité et font même désormais quasiment figure d’entreprises militantes. C’est le cas du groupe Rocher (10 marques dont Yves Rocher, Petit Bateau) qui fonde dès 1977 son jardin botanique et biologique à La Gacilly, en Bretagne. Un produit sur deux contient aujourd’hui au moins un composant végétal issu de cet espace de 60 hectares (bientôt 110 hectares). Dès 1989, soit 15 ans avant l’interdiction européenne, la marque abolit les tests sur les animaux. Depuis 2008, le groupe noue un partenariat avec la ligue de protection des oiseaux (LPO) pour la préservation de la faune et de la flore. Tous les sites industriels du groupe sont aussi des « refuges de biodiversité » : fauche tardive des pelouses, installation d’échelles à hérissons dans les bassins d’orage ou de crapauducs pour traverser les routes, etc. Tout est fait pour sensibiliser partenaires, fournisseurs, mais aussi salariés et clients finaux à la préservation du vivant. « Et nous avons eu à cœur de structurer spécifiquement la politique du groupe autour de la question de la biodiversité depuis 2010, raconte Marie Marache, ingénieure agronome de formation et directrice mission et impact au sein du Groupe Rocher depuis 2007. Ce mot était alors très peu connu et utilisé en entreprise, mais nous avons réalisé un diagnostic pour démontrer à nos salariés et partenaires à quel point nos activités étaient dépendantes des services écosystémiques. Depuis la Cop 13 de Cancun, nous nous efforçons de démontrer que les entreprises ont un rôle à jouer dans la préservation de la nature. Et, depuis 2016, nous sommes une entreprise à mission en lien avec la nature et notre raison d’être est de reconnecter les femmes et les hommes à la nature et au vivant. » Vaste programme qui ne repose pas que sur des mots et des rapports bourrés de bonnes intentions. « S’efforcer de préserver la biodiversité et le vivant demande une approche concrète et pragmatique, ajoute la directrice. D’autant qu’il n’existe pas d’indicateurs, comme pour le bilan carbone ou les émissions de CO2, de datas ni de KPI’s pour rendre compte et analyser les impacts de nos actions sur la faune et la flore. Pourtant, en matière d’environnement, c’est bien la biodiversité le sujet majeur et l’urgence. » Le groupe a donc décidé d’agir sur le terrain partout où il le peut et où il a un impact. Pour ses approvisionnements, il s’agit de tracer les provenances au plus près, de travailler avec les producteurs locaux pour favoriser la cueillette ou les cultures bios, responsables, durables, respectueuses et certifiées (ex. : UEBT pour les récoltes de tiaré et de karité, coton bio, label Ecotex, etc.). « Nous expérimentons aussi à la Gacilly de nouvelles pratiques que nous transmettons ensuite, si elles sont concluantes, à nos partenaires locaux ou à nos filières professionnelles en open source (ex. : association de cultures de bleuets et trèfles). L’éco-conception est aussi au cœur même des produits. Les packagings sont évidemment concernés, mais pas seulement. » Rocher développe aussi le Green impact index, une sorte de scorage environnemental et social des cosmétiques qui analyse leur impact selon 55 critères sur la conception, la fin de vie et la réutilisation des emballages pour limiter les déchets (110 marques ont rejoint ce consortium). « Pour nos cosmétiques comme nos détergents (marque Stanhome), nous veillons à la biodégradabilité de nos composants et surveillons l’écotoxicité des formules et leur impact sur les organismes vivants, explique Marie Marache. La réemployablilité des packagings est aussi une priorité. Ainsi, chez Yves Rocher, certains gels douche ou shampoings sont très concentrés ou le flacon du déodorant Stanhome est réutilisable 5 fois. » Le groupe a réduit de plus de 45 % l’utilisation des plastiques (désormais issus de déchets et recyclés au niveau du groupe). « Enfin, depuis que nous sommes une entreprise à mission, chaque année, nos salariés ont un temps de travail dédié à une action de sensibilisation environnementale, ainsi que l’obligation de suivre 3 heures de formation à la Nature Académie (marche et atelier participatif) pour se mettre concrètement en action en faveur de la nature. » Sur les sites de production, les salariés sont aussi mobilisés pour des actions avec des ONG et associations locales et mènent, par exemple, eux-mêmes certains plans de gestion (comptages d’espèces avec la LPO, planter des arbres avec le Fonds pour l’arbre, etc.). Enfin, évidemment, la fondation Yves Rocher, entièrement tournée vers la biodiversité, permet d’aller encore plus loin et de financer encore plus d’actions au-delà des murs de l’entreprise : concours Terre de femmes, appuyer les concepts de libre évolution de la nature avec Plantons pour la planète, Plant for Life, etc.
GROUPE LVMH : Si les fabricants de produits de grande consommation ont un impact massif quand ils s’engagent pour concevoir et mettre sur le marché des produits plus vertueux et respectueux de la biodiversité et qu’ils s’adressent à des millions de consommateurs, les groupes de luxe et leur aura mondiale ont aussi conscience de leur rôle de leader et de locomotive dans la transition, la préservation et la régénération des écosystèmes. L’un des plus engagés en France (toutes ses marques sont aujourd’hui engagées à différents niveaux) est LVMH. « Nos maisons et nos produits sont dans une relation d’interdépendance très forte avec la biodiversité (le vin et les sols, les vers à soie et la mode, les fleurs et le parfum) qui est chez nous une grande cause prioritaire », assure Hélène Valade, directrice environnement chez LVMH et présidente de l’ORSE (Observatoire de la RSE). Là aussi, les actions concrètes sont multiples au sein du groupe et de chacune de ses maisons. Guerlain mène, depuis 2010, des actions pour la préservation des abeilles. D’abord créé pour sauver l’abeille noire de l’île d’Ouessant, son programme soutient désormais une quinzaine d’actions et de partenaires partout dans le monde pour la préservation des abeilles (Women for bees avec l’UNESCO pour former les femmes à l’apiculture, le volontariat des jeunes avec Bee School, celui avec Ubees pour la repopulation d’abeilles, etc.). Et la marque a même créé le World Bee Day qui lui permet de lever près d’un million d’euros chaque année sur les ventes de ses produits en magasin, qu’elle reverse à son programme de préservation des abeilles. Enfin, Guerlain a créé avec Yann Arthus Bertrand une réserve naturelle unique de 30 hectares, la vallée de la Millière, un projet de « renaturalisation » (ou réensauvagement) dont elle est le grand mécène. « Nos programmes d’actions s’articulent toujours autour de ces grands axes : éviter et réduire notre impact sur la biodiversité, régénérer, emprunter le moins possible et toujours rendre à la nature », détaille Hélène Valade. Le groupe et ses maisons accompagnent ainsi les agriculteurs ou vignerons pour changer leurs pratiques, favoriser les polycultures, diminuer leurs impacts sur les sols, développer l’agriculture régénérative, planter des haies. Les marques travaillent aussi avec des associations et labels (FSC, association Canopée pour la préservation des forêts vivantes). Lancé en 2021, le programme Life 360 a fixé les objectifs du groupe fondés sur 4 piliers essentiels : la circularité créative, la biodiversité, le climat et la transparence. Et l’un de ses objectifs (engageant les 75 maisons du groupe) est de préserver et de régénérer 5 millions d’hectares d’ici 2030 (en 2023, déjà 3 millions d’hectares le sont). Berlutti a, en sus, décidé de régénérer 47 000 hectares d’écosystèmes à Bornéo. Louis Vuitton a renoncé au sourcing de ses cuirs en Amazonie (facteurs de déforestation). Moët et Hennessy s’engagent dans la préservation des « sols vivants » et ont totalement mis fin à l’utilisation des herbicides chimiques dans leurs vignes depuis 2019. « Depuis 2014, nous sommes surtout certifiés Viticulture durable en Champagne et à haute valeur environnementale, ajoute Frédéric Gallois, directeur du vignoble et des approvisionnements chez Moët. En 2020, nous avons commencé à introduire les couverts végétaux 7 à 8 mois par an dans nos vignes pour favoriser les sols vivants, la vie biologique, et la production de matières organiques, 10 % du vignoble est désormais couvert et nous souhaitons généraliser cette pratique. » En 2021, la maison a lancé son programme Natura Nostra, dédié à la biodiversité, qui consiste à planter plus de 100 km de haies sur ses propriétés (en propre et chez les 2 400 vignerons de Champagne partenaires). « Ces programmes ont des effets d’entraînement auprès de nos partenaires, mais aussi en interne, explique Frédéric Gallois. Les salariés viennent planter les arbres, les vignerons cherchent de nouvelles pratiques et, plus largement, les impacts de nos actions se voient : les paysages changent, les populations d’insectes et d’oiseaux augmentent, etc. » Ainsi, même si les indicateurs et outils d’analyse objectivés n’existent pas encore (ou très peu : comptages des populations, analyse des sols, etc.), les entreprises engagées voient la nature regagner concrètement du terrain sous leurs yeux. « La mesure d’impact de ces actions, souvent locales, n’est pas simple, mais il est possible de comparer les progrès d’une année à l’autre, de voir des améliorations tangibles de la composition organique des sols, par exemple, souligne Hélène Valade. Et les résultats sont alors enthousiasmants, plus rapides et beaucoup plus tangibles que pour le climat ou les EGS. »
NATURE & DÉCOUVERTES : Autre entreprise française historiquement engagée pour la nature et l’environnement, Nature & Découvertes (groupe Fnac) aura 30 ans cette année. Engagée pour la nature dès sa création, l’enseigne, qui compte aujourd’hui 110 magasins et 900 salariés, est labellisée B Corp dès 2015 (première de son secteur !). Elle publie également son bilan carbone depuis le début des années 2000 (jusqu’au scope 3) et est devenue « entreprise à mission » en novembre 2022. En 2019, elle s’inscrit elle aussi dans le fonds pour l’arbre et lance même en 2023 l’appel de la haie pour interpeller le gouvernement qui, au bout de quelques mois, rend un rapport et décide de débloquer 110 millions d’euros par an de fonds publics pour replanter ces haies si précieuses à la biodiversité. « Nous, entreprises engagées, avons un pouvoir d’influence très fort que nous devons utiliser pour faire bouger les politiques, sensibiliser nos clients, aider les associations locales et nationales », rappelle David Sève, directeur des engagements et de la fondation Nature & Découvertes. Et les actions de l’entreprise sont innombrables. En 30 ans, la Fondation Nature & Découvertes a ainsi soutenu 3 228 projets et reversé 15,3 millions d’euros aux associations de protection de la biodiversité, de la nature et du vivant. Le dispositif de l’arrondi en caisses, mis en place dès 2015, est directement lié au fonctionnement de la Fondation. C’est une façon très concrète d’embarquer les clients dans une démarche engagée, pour des causes de sauvegarde de la biodiversité. Près de 10,7 millions de dons (en centimes) ont été effectués par les clients, soit plus de 1,6 million d’euros collectés au profit de 447 associations. En 2023, 73 567 € ont été reversés à l’association BLOOM pour défendre les aires marines protégées. Nature & Découvertes soutient aussi 25 à 30 projets par an en faveur de l’école dehors, de la pédagogie active et de l’accès à la nature pour tous les enfants de la crèche à l’université. Le siège social de Nature & Découvertes a également déménagé en 2019 pour s’installer face à la gare RER de Versailles Chantiers, dans un bâtiment 10 fois moins émissif. Aujourd’hui, 80 % des salariés viennent y travailler en transports en commun. Une ferme urbaine y a été installée, favorisant la permaculture, les recherches de nouvelles pratiques, la culture de produits locaux avec les salariés, maisons de retraite, associations environnantes… L’enseigne est aussi l’une des rares du secteur de la distribution à ne vendre, depuis plus de 10 ans, quasiment que des produits (soit 2 800 références) répondant à 25 critères d’achats responsables et de conception durable, quitte à se passer de certaines ventes en vogue pourtant « ultra-bankables ». « Être si engagé peut parfois être un handicap commercial, remarque David Sève. Car nos produits sont forcément plus chers que leurs équivalents bon marché que les consommateurs peuvent trouver sur Shein ou chez Action. Mais tout ce travail d’engagement, de valeurs, de qualité, de sourcing, d’éthique et de soutien concret aux associations a aussi un prix qu’il faut aujourd’hui accepter de payer pour construire une autre planète. Nous avons un lourd travail de pédagogie et de sensibilisation à faire auprès de nos fournisseurs et de nos clients que nous faisons au quotidien, notamment grâce à nos vendeurs spécialement et régulièrement formés, sensibilisés eux-mêmes et défenseurs de causes et d’associations locales. » Ils sont les premiers ambassadeurs des engagements de l’enseigne et de l’importance de préserver la biodiversité.
MONOPRIX :Dernier exemple d’enseigne engagée, Monoprix a lancé, dès 2016, un cahier des charges strict coconstruit avec le label Bee Friendly auprès des agriculteurs et cultivateurs de fruits et légumes pour la protection des abeilles et pollinisateurs, car sans eux, fini les ventes de fruits et légumes. « À ce jour, il concerne 700 producteurs en France et 24 filières de fruits et légumes, explique Isabelle Boudard, directrice RSE, éthique sociale et déléguée générale de la fondation chez Monoprix. Ce cahier des charges est un point d’entrée pour dialoguer avec les producteurs, comprendre leurs contraintes, les aider dans une démarche d’amélioration continue, limiter ou supprimer les intrants chimiques, etc. » Autre engagement très concret de la marque : pousser ses clients finaux à consommer plus de poissons « méconnus » pour ne pas accentuer encore la surpêche des thons, aiglefins ou cabillauds sauvages et ne pas encourager la production de saumons d’élevage. « Pour faire découvrir les espèces moins connues et les « prises accessoires », comme le mulet ou le chinchard, nous formons nos poissonniers qui partagent leurs recettes, expliquent que ces poissons sont très bons, souvent moins chers et faciles à cuisiner. Nous les valorisons sur les étals. Ils représentent déjà environ 16 % de nos ventes et nous visons les 20 % prochainement. » Pas toujours évident de faire connaître ses engagements aux clients finaux et les bénéfices de leurs achats pour la biodiversité et la préservation du vivant. « Je pense que le commerce de demain se passera soit sur internet, où il sera difficile de mettre ces engagements en avant soit dans des points de vente physiques où les clients viendront justement retrouver cette proximité, ces conseils, ces services et de l’humain, poursuit Isabelle Boudard. Et je suis persuadée que justement, innover pour favoriser la biodiversité et défendre les écosystèmes vivants, rendra aussi les courses plus « vivantes » et plus intéressantes. Les consommateurs viendront y chercher les histoires des produits, aimeront qu’on leur raconte leur provenance, leur traçabilité et ce qu’ils apportent à la nature. C’est formidable ! » Les lieux de commerce eux-mêmes (centres commerciaux, chaînes, etc.) travaillent d’ailleurs aussi déjà sur leur impact et favorisent de plus en plus la prolifération des plantes sauvages, protègent les espèces animales environnantes, installent des ruches sur leurs toits, etc. Le commerce pourrait-il ainsi, lui aussi, participer à sauver le vivant ? Qui l’eut cru ? !
Lire la suite dans la revue The Good juillet-août-septembre 2024.