Parangon de vertu, fidèle partisan du capitalisme responsable, Patagonia est sans doute une des entreprises qui a le plus réfléchi à son engagement sociétal. Alors que la marque dévoile un nouveau label de certification d’agriculture biologique régénératrice franchement convaincant, nous rencontrons sa Vice Présidente RSE Monde, Cara Chacon, pour parler des enjeux de la production textile et alimentaire à l’heure d’une crise sans précédent.
Depuis 1972, de la conception à la réalisation, en passant par les finances et la logistique, c’est l’ensemble de la chaîne de création de valeur qui est profondément responsable chez Patagonia. Coton bio, campagnes contre la désurbanisation et la surconsommation, impression de catalogues sur papier recyclé et transparence totale sur ses pratiques d’embauches, de recyclage ou traçabilité de ses approvisionnements, Patagonia est la preuve vivante que produire mieux, c’est possible. Labellisé B Corp depuis 2011, Patagonia est aujourd’hui à l’initiative de la création d’un nouveau label : ROC. En collaboration avec un groupe d’experts de l’agriculture, de l’élevage, de la santé des sols, du bien-être animal et de l’équité pour les agriculteurs et les ouvriers agricoles, la marque emblématique dévoile le Regenerative Organic CertifiedTM (ROC) : une certification d’agriculture biologique régénératrice portant aussi bien sur les aliments que sur les fibres et les plantes. Dirigée par le Rodale Institute, sous la houlette de Dr. Bronner’s et de Patagonia, l’alliance Regenerative Organic Alliance (ROA) à l’origine de cette nouvelle certification compte également parmi ses membres fondateurs Compassion in World Farming, Fair World Project, White Oak Pastures, Textile Exchange et Demeter. Créée pour lutter contre la crise climatique, la dégradation des sols, la perte de biodiversité, l’agriculture intensive et la fragmentation des économies rurales à travers le monde, cette certification nous fait nous interroger sur les enjeux liés à la production dite responsable et les outils de mesure de son impact. Pour en parler, nous rencontrons Cara Chacon, Vice Présidente RSE Monde chez Patagonia.
The Good : Cador de la production éthique, comment Patagonia définirait-il le capitalisme responsable ? En quoi est-il viable et quelles sont ses limites ?
Cara Chacon : Chez Patagonia, nous pensons qu’il est du devoir de chaque entreprise de protéger les personnes qui fabriquent nos produits et le monde naturel sur lequel nous avons un impact au travers de nos activités commerciales, y compris notre chaîne d’approvisionnement. Notre survie en tant qu’entreprise dépend de l’équilibre entre notre rentabilité et l’assurance d’une société et d’une planète prospères.
Le capitalisme doit et peut évoluer vers un modèle plus responsable. En fait, il doit systématiquement modifier son orientation, ses politiques et ses ressources financières pour adopter des pratiques régénératrices pour les humains et la planète. Cela signifie que nous devons trouver un moyen, par l’intermédiaire de nos citoyens et du pouvoir de vote, de modifier le capitalisme afin qu’il puisse permettre et encourager des changements qui rendent la société non seulement résistante, mais aussi meilleure que ce que l’on peut imaginer à l’heure actuelle : régénérative.
Et si certains pensent que ces changement sont trop coûteux, il a déjà été prouvé qu’être une entreprise responsable est une entreprise rentable (cf les portefeuilles des investisseurs : les investissements responsables rapportent plus d’argent que ceux qui ne font rien). Le capitalisme responsable est un modèle très viable et se pratique déjà à plus petite échelle avec par exemple l’agriculture régénératrice. Il n’est limité que par notre imagination et notre volonté politique de le mettre en œuvre collectivement. Les esprits craintifs sont nos pires ennemis.
The Good : quelle a été la motivation de Patagonia à s’investir dans l’agriculture et ainsi dans la création du label Regenerative Organic CertifiedTM (ROC) ?
C.C. : Depuis le milieu des années 1990, nous utilisons du coton biologique dans nos produits. Le passage du coton conventionnel à forte intensité chimique au coton biologique a permis de résoudre de nombreux problèmes environnementaux, tels que la contamination de l’eau (par le ruissellement des engrais chimiques), l’exposition des êtres humains et les substances cancérigènes provenant des pesticides pulvérisés.
Nous avons également lancé il y a une dizaine d’années notre entreprise de produits alimentaires entièrement biologiques, Patagonia Provisions (actuellement uniquement aux États-Unis), qui a récolté les mêmes avantages. Cependant, la production agricole biologique ne répondait pas directement à la crise climatique par la santé des sols et la séquestration du carbone, ni ne garantissait les droits de l’homme et un revenu vital aux agriculteurs et aux travailleurs agricoles, et ne répondait à aucune exigence en matière de bien-être animal.
La ROC s’appuie sur et soutient la certification biologique et la complète des domaines de la santé des sols, des droits de l’homme et du bien-être des animaux. C’est vraiment le « Saint Graal » de l’agriculture responsable pour la culture de denrées alimentaires et de fibres et les exploitations basées sur les pâturages. En outre, la norme introduit la certification du commerce équitable (Fair Trade certification) pour le pilier des droits de l’homme, qui est très puissante pour les agriculteurs et les travailleurs agricoles.
The Good : Entre les différents labels éthiques, les garanties « bio », les certifications « 100% naturels » etc, pas facile de séparer le bon grain de l’ivraie, marques et consommateurs ont tendance à s’y perdre. En quoi et comment le Regenerative Organic CertifiedTM (ROC) fait-il la différence et est-il nécéssaire ?
C.C. : Lorsque vous achetez un produit certifié ROC, vous pouvez être assuré que tous les domaines de la durabilité ont été vérifiés. Aucun autre label n’offre un tel niveau ou une telle étendue de garantie dans tous les domaines de responsabilité. Les chaînes d’approvisionnement ne sont pas parfaites et ne le seront probablement jamais, mais si vous voulez faire des achats éthiques, les produits labellisés ROC sont aussi responsables qu’il est possible de l’être dans la chaîne d’approvisionnement agricole actuelle. Depuis plus de 20 ans que je travaille sur la durabilité environnementale et les droits de l’Homme dans la chaîne d’approvisionnement, c’est l’un des programmes agricoles les plus puissants que j’ai pu observer.
The Good : en tant que Vice Présidente RSE d’une marque comme Patagonia, à quels obstacles et enjeux faites-vous face ?
C.C. : Je suis très chanceuse de travailler pour une entreprise attachée à « faire ce qu’il faut ». Lorsque j’ai été embauché il y a dix ans, notre Directeur Général, m’a dit dès le premier jour de « penser de manière idéaliste ». Ces quelques mots ont guidé notre travail et nous ont permis de voir grand et d’utiliser notre imagination pour résoudre d’énormes problèmes dans notre chaîne d’approvisionnement.
Bien sûr, nous avons des obstacles et le plus important en ce moment est évidemment la Covid-19 et le fait de ne pas pouvoir voyager et visiter notre chaîne d’approvisionnement. Heureusement, nous avons de nombreux partenaires sur le terrain et avons pu modifier temporairement nos programmes, bien qu’à un rythme plus lent. Aussi, nous avons de nombreux penseurs passionnés dans l’entreprise et il est parfois difficile de rallier tout le monde à une seule stratégie. Parfois, cela nous ralentit et cela ne correspond pas toujours au sentiment d’urgence de notre équipe d’agir rapidement. Mais si c’est là mon plus grand obstacle, je le surmonterai !
The Good : Doyenne et porte-parole de la possibilité d’une production industrielle responsable, la marque Patagonia a su mettre en actions concrètes les intentions éthiques que beaucoup peinent à mettre en place. Quels conseils donneriez-vous aux entreprises qui souhaitent intégrer le mouvement d’une production plus responsable à leurs modèles ?
C.C. : Les investisseurs, les actionnaires et les consommateurs (en particulier les jeunes générations) s’éveillent tous au principe du triple bilan et ne soutiendront pas les entreprises qui ne joignent pas le geste à la parole. Mon conseil est de commencer au sommet et d’obtenir l’adhésion des dirigeants. Les dirigeants veulent entendre parler de risques qu’ils ne connaissent pas encore et essaient toujours de penser à long terme. Utilisez cette méthode à votre avantage. Si vous n’arrivez pas à vous faire entendre, trouvez quelqu’un au sein des départements commerciaux pour être votre allié et commencez par de petits projets de durabilité qui peuvent être étendus. Une fois qu’ils auront réalisé à quel point les attributs des produits de durabilité sont fructueux pour le résultat net (ceux qui peuvent être justifiés), ils évolueront naturellement et seront repris par d’autres départements de l’unité commerciale.
Nous avons vu cela se produire à maintes reprises avec certaines de nos initiatives comme le commerce équitable. Pour les petites entreprises qui n’ont pas beaucoup de ressources, j’ajouterais également que vous pouvez trouver d’autres marques qui partagent vos usines et qui recherchent des collaborations en matière de durabilité pour alléger la charge de travail. L’essentiel est de découvrir quelles autres marques passent des commandes dans vos usines et de leur proposer des idées de collaboration (ou de rejoindre celles qui sont déjà en place). Nous avons utilisé l’outil de collaboration à de nombreuses reprises. Dans de nombreux cas, il nous a permis d’amplifier les effets positifs beaucoup plus rapidement.