18/03/2025

Temps de lecture : 8 min

Transformer le réemploi en levier d’innovation et de compétitivité

Depuis sa fondation en 2016, le Réseau Vrac & Réemploi est devenu le réseau de référence national structurant le secteur de la vente en vrac et du réemploi en France. A sa tête, une femme se démène pour que le réemploi surpasse le recyclage. Célia Rennesson confie à The Good son plan pour y arriver.

Il y a dix ans, Célia Rennesson a pris conscience de la quantité d’emballages qu’elle jetait quotidiennement. La solution la plus évidente pour elle était de consommer en vrac et d’utiliser des emballages réemployables. Cependant, en voulant adopter ce mode de consommation, elle a constaté un manque d’écosystème adapté : peu de produits disponibles, absence de cadre légal, et aucun dispositif de formation. C’est en voulant d’abord ouvrir son propre magasin qu’elle a réalisé que toute une filière était à construire.

Cette prise de conscience l’a poussée à créer Réseau Vrac en 2016, avec l’ambition de fédérer les acteurs du secteur, de structurer le marché et d’accompagner les entreprises vers des solutions plus durables. En 2023, ce dernier a fusionné avec Réseau Consigne, élargissant ainsi la mission à l’ensemble du secteur du réemploi des emballages, dont le vrac est une composante essentielle​. Depuis, l’association est devenue Réseau Vrac et Réemploi et représente ainsi toute la filière du réemploi des emballages : emballages ménagers et professionnels (primaires, secondaires et tertiaires), réemploi des emballages par les consommateurs (vrac) et par les industriels.  

En plein mois du vrac et du réemploi, rencontre avec une femme résolument actif et engagée sur ses sujets, qui lui a valu d’être nommée membre du Conseil national de l’économie circulaire en janvier dernier.

The Good : Quel bilan faites-vous 5 ans après la loi AGEC ? Et plus globalement, quel est votre regard sur la réglementation en vigueur en France et en Europe sur ces sujets ?

Célia Rennesson : Cinq ans après la promulgation de la loi AGEC, le bilan est à double tranchant : des avancées significatives ont été réalisées, notamment avec l’obligation pour les producteurs de mettre sur le marché au moins 10% d’emballages réemployés d’ici 2027. Cependant, un certain nombre d’obligations ne sont pas respectées : tarification plus basse pour les boissons à emporter dans des récipients réemployables, interdiction de la vaisselle jetable dans tous les restaurants de plus de 20 couverts sur place (nous ne sommes pas aux objectifs malgré une progression), en 2023, le taux global de réemploi des emballages était de seulement 2,2%, et 1,1% pour les emballages ménagers. Cela montre que le cadre réglementaire reste encore trop axé sur l’économie linéaire et manque de mesures de suivi et de contrôle.

Au niveau européen, l’entrée en vigueur du PPWR (Packaging and Packaging Waste Regulation) marque un tournant pour la réglementation emballages en introduisant pour la première fois des objectifs de réemploi. Néanmoins ces objectifs sont fragiles et de nombreuses exemptions sont accordées à des secteurs clés comme les cartons ou le vin. Nous nous avons des attentes fortes sur ce texte qui doit permettre de garder l’ambition de nos lois nationales et de prévoir un dispositif de sanctions dissuasives, effectives et proportionnées. Pour cela nous demandons à la France de conserver et de faire respecter les obligations de réemploi pour tous les secteurs sans exemption, notamment.

Enfin l’arrivée du « EU Circular Economy Act » en 2026 représente une opportunité majeure pour harmoniser les pratiques et standards autour du réemploi, renforçant ainsi le cadre légal déjà établi par la loi AGEC en France​.

The Good : Comment passer à l’échelle pour le réemploi ? Pourquoi doit-il surpasser le recyclage ?

Célia Rennesson : le réemploi doit surpasser le recyclage car il maximise la durée de vie des produits en favorisant leur usage multiple sans les transformer en déchet. Contrairement au recyclage qui nécessite des procédés lourds et énergivores pour retransformer les matériaux, le réemploi permet de réduire significativement l’empreinte carbone et l’impact du flux énergie / eau / déchets. Par exemple, le réemploi du verre économise jusqu’à 79% d’énergie, 77% des émissions de gaz à effet de serre et 51% d’eau par rapport au recyclage.

En prolongeant la durée de vie des produits, le réemploi contribue également à réduire la dépendance aux matières premières, dont certaines deviennent de plus en plus rares, tout en favorisant une économie locale et résiliente. En rapprochant les lieux de réemploi des lieux de consommation, il réduit les impacts logistiques et crée des emplois locaux non délocalisables.

Pour passer à l’échelle, il est nécessaire de :

  • Standardiser les formats d’emballages pour faciliter leur réutilisation par différents acteurs.
  • Mutualiser les infrastructures de lavage, de collecte et de reconditionnement pour optimiser les coûts.
  • Favoriser des politiques publiques ambitieuses qui soutiennent le réemploi à travers des incitations fiscales, des subventions et un cadre législatif stable.
  • Sensibiliser les consommateurs à l’importance du réemploi en changeant leur perception des emballages, qui ne doivent plus être vus comme des déchets, mais comme des ressources réutilisables.
  • Passer des phases de test aux déploiements massifs : en France, l’initiative coordonnée par Citéo pour le réemploi des emballages en verre illustre l’impact de la mutualisation et de la standardisation sur le déploiement national.

Le réemploi n’est pas seulement une alternative écologique, c’est aussi un modèle économique durable qui réduit les déchets tout en renforçant la souveraineté économique en localisant la production et la consommation.

The Good : Quels sont vos objectifs pour les prochaines années concernant le développement du vrac et du réemploi des emballages, tant au niveau national qu’européen ?

Célia Rennesson : Nos objectifs pour les années à venir sont ambitieux et visent à structurer durablement la filière du vrac et du réemploi des emballages en France et en Europe. Voici nos 3 principales actions et initiatives prévues :

1) Faire respecter les textes et préserver les ambitions réglementaires pour atteindre 10% de réemploi des emballages d’ici 2027 et 20% de produits vendus sans emballage y compris en vrac d’ici 2030

Pour atteindre ces objectifs ambitieux, nous demandons avant tout l’application stricte et le respect des textes existants, ainsi que la préservation des ambitions initiales.

Nos actions s’articulent autour de trois axes principaux :

  • Loi AGEC : Faire appliquer rigoureusement les dispositions de cette loi fondamentale, notamment :
    • Tarification plus basse pour les boissons à emporter dans des récipients réemployables, afin d’inciter à l’utilisation de contenants réutilisables.
    • Interdiction effective de la vaisselle jetable dans les restaurants de plus de 20 couverts sur place, un engagement encore trop peu respecté aujourd’hui.
    • Atteindre les objectifs de réemploi : passer de 2,2% d’emballages réemployés en 2023 à 10% en 2027 comme prévu par la loi.
  • Loi Climat et Résilience : Maintenir l’ambition initiale du décret vrac de l’article 23, actuellement en cours de rédaction, pour atteindre 20% de vrac dans les magasins de plus de 400m². Nous sommes particulièrement vigilants à ce que cet objectif ne soit pas diminué dans le décret final qui va paraître prochainement.
  • Règlement Européen sur les Emballages et les Déchets d’Emballages (PPWR) : Défendre les obligations de réemploi pour tous les secteurs sans exemption, en particulier pour les cartons et le vin.

2) Accroître significativement le nombre de points de vente et l’offre de produits disponibles en vrac et en emballages réemployables en France

Nous avons pour objectif de :

  • Multiplier les points de vente proposant du vrac et des emballages réemployables pour atteindre une couverture nationale optimale. Cela inclut les commerces spécialisés, les grandes surfaces, les magasins de proximité et les ventes en ligne. Pour accompagner cette montée en puissance, nous formons les magasins et avons déposé auprès des autorités un guide des bonnes pratiques d’hygiène de la vente en vrac qui doit être validé pour devenir le guide officiel de référence. Nous attendons un retour depuis son dépôt en novembre 2023.
  • Élargir l’offre de produits en collaborant étroitement avec les producteurs et les distributeurs pour adapter les chaînes logistiques et le conditionnement des produits. Nos Tophées du Vrac et du Réemploi viennent mettre en lumière les nouveautés et les innovations de cette filière dynamique. Nous comptons également sur l’entrée en vigueur du décret d’application de l’article 23 de la loi Climat qui va stimuler l’offre vrac. Enfin nous participons activement à des projets opérationnels pour accélérer le déploiement de l’offre sur le terrain comme c’est le cas avec le projet ReUse de Citéo, ou encore notre projet « le Paris du Réemploi » qui va démarrer en septembre.
  • Fédérer les acteurs de la filière en renforçant notre réseau qui compte déjà plus de 500 entreprises et organisations adhérentes : metteurs en marché, opérateurs de réemploi, distributeurs, éco-organismes, syndicats de traitement et de gestion des déchets​. Plus nous serons nombreux, plus nous pourrons déployer massivement le réemploi, à grande échelle.
  •  Positionner le réemploi comme une filière économique à part entière, prioritaire par rapport au recyclage

Pour cela nous agissons pour :

  • Un portage politique fort pour rappeler la hiérarchie des 3RRéduire, Réemployer, Recycler – la place du réemploi avant avant le recyclage, tout en garantissant l’application stricte des lois existantes (AGEC, Climat & Résilience, PPWR).
  • Engager toutes les entreprises et organisations dans la transition vers le réemploi, notamment grâce à notre salon REuse Economy Expo, le plus grand événement professionnel européen dédié au réemploi, qui rassemble les acteurs économiques et les connecte avec des solutions concrètes.
  • Sensibiliser massivement les consommateurs en poursuivant le Mois du Vrac et du Réemploi, tout en l’élargissant à d’autres secteurs du réemploi (objets du quotidien, textiles, mobilier) et en l’internationalisant pour créer un mouvement collectif à l’échelle européenne.

The Good : Quels conseils donnez-vous aux entreprises qui souhaitent intégrer le réemploi dans leur modèle d’affaires ?

Célia Rennesson : A l’approche du plus grand événement consacré au réemploi, je leur conseille de venir au salon REuse Economy Expo qui se tiendra à Paris les 26 et 27 mai car ils y trouveront toutes les clés en seulement deux jours.

Ce rendez-vous unique en Europe rassemble des acteurs de divers secteurs d’activité qui ont un objectif commun : faire du réemploi un opportunité économique et écologique. Durant deux jours, les entreprises vont découvrir cette économie (cadre législatif, retours d’expériences, attentes consommateurs, défis et enjeux…), trouver des solutions concrètes à mettre en place dans leur organisation et repartir avec des pistes d’actions pour leur entreprises élaborées lors des « Reuse Economy Workshops » que nous organisons avec Circulab.  Toutes les informations ici : https://reuseeconomyexpo.com.

En dehors de cet événement, je conseille aux entreprises qui souhaitent intégrer le réemploi dans leur modèle d’affaires d’adopter une approche structurée en plusieurs étapes :

  1. Analyser leurs flux et leurs chaînes de valeur
    • Identifier les risques qui pèsent dessus et trouver des solutions pour y remédier par le réemploi : le cabinet Circulab est spécialisé dans cette approche
    • Identifier les déchets ou produits en fin de vie qui pourraient être réemployés
    • Évaluer la faisabilité technique et économique du réemploi dans leurs modèles d’affaires

2. S’inspirer des initiatives existantes et rester informer des évolutions du secteur

  • Rejoindre des réseaux spécialisés comme Réseau Vrac et Réemploi et le Club de la Durabilité pour comprendre et anticiper les réglementations, être mis en relation avec les entreprises du réemploi, prendre part à des projets et des groupes de travail
  • Participer aux événements dédiés, comme le REuse Economy Expo, pour découvrir les innovations et les meilleures pratiques du secteur.

3. Bénéficier de soutiens financiers

  • Profiter des dispositifs d’accompagnement et des subventions proposées par l’ADEME, les régions, ou des fonds spécifiques comme le Fonds Économie Circulaire.
  • Adhérer à un éco-organisme et bénéficier de soutien financier dans le cadre de leurs fonds réemploi définis par la loi AGEC

4. Expérimenter et tester des solutions concrètes

  • Lancer des pilotes de réemploi en rejoignant des coalitions menées par des cabinets comme Circul’r, Circulab ou (RE)SET
  • Collaborer avec des acteurs spécialisés comme des startups de l’économie circulaire ou des entreprises de l’ESS (Économie Sociale et Solidaire).

5. Intégrer le réemploi dans leur stratégie globale

  • Former les équipes aux enjeux du réemploi et de l’éco-conception.
  • Sensibiliser leurs clients et partenaires afin de faciliter l’adoption de nouveaux usages.

En combinant ces différentes approches, les entreprises pourront transformer le réemploi en un véritable levier d’innovation et de compétitivité.

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