Malgré une chute de son activité de 89% pendant le confinement, le secteur du bâtiment, quoique discret, est responsable de 39% des émissions mondiales et 27 % des émissions françaises de CO2*. Chaque année, il cause près de 300 millions de tonnes de résidus polluants, soit 75 % des déchets produits sur terre, et 45 % de la consommation énergétique. Bref, une arme de destruction massive dont l’impact fait réfléchir sur la notion de « construction ». Avec quoi et aux dépens de qui ? Comment investir l’espace et le transformer sans en faire pâtir la planète ? Pour en parler, nous rencontrons Myriam Tryjefaczka, Directrice Développement Durable et Affaires Publiques Tarkett EMEA, dont les ressources, idées et initiatives ne manquent pas pour changer la donne et donner du sens à la notion d’économie circulaire.
Si le pétrole et la mode sont les incontestables grands gagnants de la pollution et destruction de la planète, le BTP n’a pas plus fière allure. Selon Planetoscope, les géants du BTP ont fabriqué 4,6 milliards de tonnes de ciment en 2018, soit 146 000 kilos par seconde. Pire encore, le sable. Un seul kilomètre de route nécessite l’extraction de 30 000 tonnes de sable. Sans surprise, ce matériau abondant est devenu la deuxième ressource la plus utilisée au monde après l’eau. Son extraction entraîne l’érosion des littoraux et perturbe l’habitat naturel de milliers d’espèces. Bref : le constat est sans appel et les mesures prises par cette industrie pour une production plus saine doivent être radicales.
Dans un contexte de transition écologique, sociale et solidaire global, encadré par une multitude de nouvelles propositions business et politiques comme le Green Deal de la commission européenne, les 17 ODD relatifs à la lutte contre le changement climatique de l’ONU, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire ou encore RE2020 pour un secteur du Bâtiment à énergie positive, des solutions émergent.
Pour en parler et partager les techniques les plus à même de transformer aussi radicalement que durablement les techniques de production et objectifs de l’industrie, le spécialiste en revêtement de sol Tarkett organisait récemment une conférence intitulée « Comment accélérer la transition vers une économie circulaire dans le secteur du BTP ». En croisant son expertise et ses solutions avec celles de Tribu Energie -bureau d’études energie et développement durable permettant la conception de bâtiments et zones urbaines plus économes en énergie- Tarkett dévoilait une série de questions et solutions, ainsi que son objectif : atteindre 30% de contenus recyclés dans sa production d’ici à 2030. Rencontre avec Myriam Tryjefaczka, Directrice Développement Durable et Affaires Publiques Tarkett EMEA.
The Good : Industrie polluante par excellence, quels sont les défis concrets que le BTP doit confronter en matière d’économie circulaire ? Ceux-ci ont-ils un coût abordable pour toutes les entreprises du secteur ?
Myriam Tryjefaczka : Le secteur du bâtiment est bien identifié par les pouvoir publics, que ce soit au niveau européen ou au niveau français, comme étant un des contributeurs essentiels à l’économie circulaire et aux objectifs de neutralité carbone. Par la réutilisation et le recyclage des déchets de chantier, et le potentiel d’efficacité énergétique grâce à la rénovation du bâti et la construction bas carbone, le secteur du bâtiment peut contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est bien dans cette perspective que le secteur est au cœur des dispositifs de relance verte post-Covid.
The Good : Pouvez-vous nous expliquer comment se matérialise concrètement la notion de « Bâtiment à énergie positive » ?
M.T. : Pour ce qui concerne les matériaux de construction, l’enjeu est de proposer des produits à faible empreinte carbone pour permettre aux bâtiments d’atteindre leurs objectifs bas carbone tout au long de leur durée de vie. Cela implique pour les bureaux d’étude de réaliser l’analyse du cycle de vie du bâtiment.
Nous passons d’une époque où les informations sur les émissions de CO2 liées aux matériaux utilisés n’étaient pas exploitées à une situation où chaque matériau va contribuer à la performance globale du bâtiment. La sélection de matériaux à faible impact carbone va devenir plus importante dans les projets.
Tarkett s’est préparé à ces nouvelles attentes en produisant depuis plusieurs années des Fiches de Données Environnementales et Sanitaires (FDES), spécifiques pour ses produits afin que notre offre soit caractérisée en impact environnemental par opposition aux FDES collectives qui proposent une moyenne des impacts environnementaux pour l’ensemble de l’offre produits de plusieurs industriels. De fait, ces informations ne correspondent à aucun produit réel (conception, matériaux, usines, process, pays de production parfois très différents…), tel qu’il sera installé dans le bâtiment.
The Good : Cradle to Cradle®, ReStart : Quelles sont ces initiatives concrètes mise en place par Tarkett pour atteindre ses objectifs de réduction d’impact ?
M.T. : Cradle to Cradle® est notre démarche d’éco-conception et de réduction des impacts sur la santé et l’environnement de nos activités. Nous l’avons choisie il y a 10 ans. Les actions concrètes sont globales et commencent par : l’éco-conception de nos produits avec des matières recyclées évaluées pour leur qualité sanitaire, la production de produits recyclables en fin d’usage, le développement de technologies de recyclage; et enfin la mise en place de notre propre logistique de collecte en fin d’usage.
Nous avons aussi développé une ligne de produits éco-conçus et circulaires. Avec notre propre système de désassemblage dans notre usine de Hollande, où sont envoyées les dalles de moquette en fin d’usage. Nous recyclons directement dans notre ligne de production la sous-couche Ecobase. Le fil de nylon séparé est envoyé chez notre partenaire Aquafil qui va le régénérer en fibre Econyl que nous utilisons pour fabriquer de nouvelles dalles. C’est un système unique de boucle fermée dans un écosystème « client-fournisseur » construit sur le long terme.
The Good : Au-delà des techniques et méthodes, des innovations produits à souligner ?
M.T. : Notre stratégie d’éco-innovations nous permet de créer des revêtements de sol qui s’inscrivent dans notre démarche d’économie circulaire et dans la lutte contre le changement climatique.
Nous venons de lancer deux gammes de vinyle pour les secteurs de la santé, du soin aux personnes âgées et de l’éducation et une gamme de dalles de moquette pour les bureaux, recyclables en fin d’usage et qui rentrent dans notre programme de collecte et de recyclage ReStart : IQ Natural, une gamme de revêtement de sol en vinyle bio-attribué (ses matières premières, traditionnellement d’origine fossile, sont remplacées par de la biomasse selon le principe du mass balance. Au cours de son cycle de vie, IQ Natural réduit de plus de 50 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à la moyenne); Excellence Genius, une gamme de revêtements de sol en vinyle hétérogène, en pose non collée ; Desso Futurity, une gamme de dalles de moquette avec une sous-couche Ecobase (100 % recyclable et contient au moins 75 % de craie recyclée qui provient de l’industrie locale de l’eau potable (société néerlandaise Drinkwater)).
The Good : Comme vous et d’autres entrepreneurs le soulignez, la collaboration entre les acteurs du marché est de rigueur pour une transition effective et pérenne du BTP. Comment prend-elle forme de votre côté ?
M.T. : La collaboration est un élément essentiel de la transition vers l’économie circulaire que ce soit avec les fournisseurs partenaires et les clients de notre chaîne de valeur. Des collaborations sur le long terme ont été établies avec par exemple Aquafil, notre fournisseur de nylon qui reprend et régénère le nylon que nous récupérons en fin d’usage après désassemblage des dalles de moquette.
Nous avons en France un partenariat avec Veolia pour assurer la logistique et le tri des collectes ReStart. Des clients du monde du bâtiment sont aussi adhérents du programme ReStart qui est référencé dans leurs appels d’offres. C’est également important de partager les bonnes pratiques avec des institutionnels et la communauté qui travaillent sur l’économie circulaire que ce soient la Fondation Ellen MacArthur ou l’Institut National de l’Économie Circulaire en France.
The Good : Des résultats encourageants à communiquer sur le poids de ces actions et nouvelles techniques mise en place ?
M.T. : Le programme ReStart a été lancé en France en 2010. Depuis 2017, on note une forte accélération des collectes de vinyle en France : elles ont triplé entre 2017 et 2019. Tarkett y a grandement contribué en rendant le programme gratuit notamment.
Si nous considérons l’incorporation de matériaux recyclés, en 2019 nous avons intégré dans nos produits 126 000 tonnes de matériaux recyclés (post industriel ou post consommateur).
Cette incorporation de matériaux recyclés nous permet en outre d’éviter les émissions d’environ 270 000 tonnes de CO2** liées à la l’extraction et la fabrication des matières premières. Nous pouvons démontrer ainsi une contribution concrète et effective à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
*Selon la Global Alliance for Buildings and Construction
**Estimation pour une partie du scope 3