Longtemps présentée comme une plateforme d’économie collaborative dédiée à la location d’appoint, Airbnb est aujourd’hui vivement critiquée pour son incapacité à mêler Good et Économie. Face à la spéculation sur les loyers et la gentrification grandissante, plusieurs grandes villes ripostent par une régulation drastique de la plateforme, envisageant même quelques alternatives locales et éthiques.
Avec plus de 7 millions de logements disponibles dans près de 100 000 villes à travers le monde, Airbnb est devenue en l’espace d’une décennie la référence mondiale en matière de location. Le projet d’origine n’avait pourtant rien de tentaculaire. De retour en 2007, il ne s’agissait que de deux Américains qui profitaient de la saturation des hôtels de San Francisco lors de gros évènements pour louer leur propre chambre d’appartement à grand renfort de matelas gonflables, de petits déjeuners et d’un accueil local. Treize ans plus tard, malgré ses valeurs affichées d’échange et de partage, Airbnb est devenu un empire dont la raison d’être sociale et humaine semble s’être dissoute au profit d’une dynamique capitaliste. Une économie de prédation au détriment des citoyens qui contraint aujourd’hui de nombreuses villes à monter au créneau pour encadrer les activités du géant américain. Car derrière la régulation de ce monopole mondial se trouve la volonté de réinjecter du local et du social au coeur d’un modèle de tourisme qui ne se trouve florissant que sur son aspect économique.
Spéculation, gentrification, dévitalisation
Qui dit économie collaborative ne dit pas économie sociale et solidaire. La preuve, les propriétaires ont rapidement pris conscience que la location à court terme via Airbnb était un business très lucratif. Au point qu’un logement passant par ladite plateforme peut rapporter deux, trois à quatre fois plus qu’une location classique. Or, rien qu’à Paris, plus de 60 000 biens meublés seraient loués via Airbnb chaque année, amputant les opportunités de logement aux locaux. Cette spéculation bouscule le prix du marché immobilier, mais aussi la vie de quartier par un phénomène de gentrification qui réduit notamment les chances des salaires moyens et bas de trouver leur nid intramuros. C’est ainsi qu’à Barcelone, plusieurs quartiers populaires ont basculé dans la consommation et le tourisme de masse, et ce au détriment d’une vie de quartier qui reflétait l’âme et l’histoire de la ville.
Quand dix villes européennes partent en guerre
Face à ce mouvement de dépossession social et économique, plusieurs capitales européennes (Paris, Berlin, Bruxelles, Vienne et Amsterdam) et grandes agglomérations (Barcelone, Bordeaux, Cracovie, Munich et Valence) se sont associées mi 2019 pour demander à la Commission européenne une régulation communautaire. L’objectif étant de venir à bout des activités d’Airbnb, passant agilement entre les mailles de toute régulation, comme d’imposition. Une demande d’autant plus justifiée au regard de la relative immunité qu’a octroyée il y a deux ans la Cour de justice européenne à Airbnb en matière de responsabilité juridique. À défaut d’action commune, plusieurs pays parviennent à encadrer plus ou moins fermement les activités de la plateforme. En France, le gouvernement a limité la location à 120 jours par an dans 18 villes. Un bilan plutôt mince face à Amsterdam dont la municipalité est parvenue à réduire ce nombre à 30 jours, une première en Europe. Du côté de Barcelone, la mise en place d’un système d’autorisation de mise en location permet de repérer les fraudeurs. La ville a d’ailleurs obtenu fin 2018 la liste de l’ensemble des propriétaires barcelonais actifs sur la plateforme, et ce à des fins de transparence.
L’alternative à AIRBNB d’Anne Hidalgo
À Paris, une nouvelle vague de régulation va se mettre en place par le biais d’une consultation citoyenne courant automne. Forte de sa réélection, Anne Hidalgo souhaiterait réduire à 30 jours la durée totale de location, comme à Amsterdam. Une restriction s’accompagnant de sanctions accrues pour les fraudeurs. Mais le véritable objectif de la maire de Paris est de faire pression sur l’État via un référendum pour revoir au niveau national les conditions d’usage du géant américain. En attendant la consultation, la mairie de Paris cherche des alternatives. Sur France Inter, la maire de la capitale a précisé l’idée d’une société d’économie mixte alimentée par la ville et des acteurs privés, destinée à racheter des appartements jusque-là loués sur la plateforme. Une manière de les remettre sur le marché encadré de la location et d’endiguer la spéculation. Cette piste, encore jamais expérimentée à l’étranger, interviendrait à un moment idoine où la crise du tourisme rebat les cartes de l’économie.
À Santa Monica, la régulation a fait chuter l’offre de 80%
Hors Europe, une ville s’est particulièrement distinguée pour sa riposte musclée contre la plateforme. Il s’agit de Santa Monica en Californie, dont la municipalité est allée jusqu’à conditionner toute location de court terme à l’obligation pour le propriétaire de vivre sur place durant l’intégralité du séjour de son invité. Cette mesure, drastique et inédite, a fait ses preuves puisque l’offre de la plateforme a chuté de 80% en deux ans. Il faut dire que la ville a enfoncé le clou en rajoutant une taxe de 14% sur les locations courtes. Cette vague de rébellion des grandes villes sonne comme la sanction d’une entreprise qui n’a pas su saisir l’opportunité de mettre en actions ses intentions responsables, laissant le profit économique prendre le pas sur une dynamique collaborative.