11/07/2022

Temps de lecture : 5 min

Comment les industries culturelles écrivent-elles les récits de demain ?

Des séries télévisées sur la fluidité de genre, des œuvres d’art au service de l’imaginaire écologique, des jeux-vidéo qui sensibilisent à la crise environnementale... Par un subtil mélange d’avant-gardisme et d’influence, les industries culturelles sont plus que jamais au cœur des transformations contemporaines. Au point de jouer un rôle majeur dans l’écriture de nos nouveaux récits sociétaux.

Des séries télévisées sur la fluidité de genre, des œuvres d’art au service de l’imaginaire écologique, des jeux-vidéo qui sensibilisent à la crise environnementale… Par un subtil mélange d’avant-gardisme et d’influence, les industries culturelles sont plus que jamais au cœur des transformations contemporaines. Au point de jouer un rôle majeur dans l’écriture de nos nouveaux récits sociétaux.

L’humain est un être psychique qui éprouve le monde par l’imaginaire et les symboles. Claude Évin, instigateur de la loi éponyme, l’avait bien compris lorsqu’il a interdit la publicité du tabac et encadré celle de l’alcool en 1991. Bien que profane du marketing, le socialiste savait que la mise en récit de la cigarette et du verre d’alcool influençait déjà nos désirs et nos représentations du monde. C’est par le même raisonnement que les militants écologistes réclament aujourd’hui une loi Évin sur le climat afin d’interdire les publicités qui promeuvent des produits et services jugés climaticides (avion, automobile, énergies fossiles, etc.). Cette influence du récit sur les mentalités, de plus en plus d’acteurs des industries culturelles s’en saisissent à des fins progressistes. L’objectif n’est pas, à l’instar de la publicité, de vasculariser le monde marchand, mais de proposer des contenus culturels alternatifs. Par exemple, sur le genre et le féminisme, l’écologie et le vivant, le racisme et la question de la diversité. Autant de thématiques longtemps restées marginales voire tabous, et qui sont aujourd’hui visibilisées par la conscience des discriminations que portent les nouvelles générations. Un phénomène de société venu des Etats-Unis, et qui s’apparente à une forme d’intersectionnalité culturelle.

Les documentaires engagés, de puissants vecteurs d’incitation à l’action

Nul besoin de démontrer le succès des séries-documentaires des plateformes de streaming. À la machine à café comme en soirée, leurs noms se glissent d’une oreille à une autre pour mieux envahir nos binge-watching nocturnes. En matière d’écologie, le coup de maître a été d’introduire une subtile teinte d’engagement et d’enjeux dans les bons vieux documentaires animaliers. C’est le cas de la célèbre série Our Planet de Netflix ainsi que de Planet Earth de la BBC, où chaque épisode prend le temps de sensibiliser les spectateurs sur une problématique écologique, de la montée des eaux qui tue les ours polaires jusqu’à la déforestation qui condamne les grands singes. Le lien émotionnel est fort, l’incitation à l’action immédiate – bien que parfois éphémère. Certains documentaires prennent quant à eux le pari de suivre une seule espèce tout le long du métrage pour créer une relation symbiotique. C’est le cas du remuant documentaire La Sagesse de la pieuvre, qui met en scène avec poésie la relation fascinante d’un humain et d’un céphalopode. On est saisi par la puissance du lien, mais aussi par la remarquable intelligence de la pieuvre, nous rappelant que l’exceptionnalisme humain est une construction sociale. Dans un registre plus classique, de nombreux documentaires comme Seaspiracy ou Chasing Coral tentent de susciter l’engagement par l’enquête. Le pari est d’alerter les spectateurs en montrant les ravages des activités humaines sur la biodiversité. En France, on assiste également à une prolifération de documentaires engagés, à commencer par ceux de la plateforme BrutX sur la nouvelle génération du militantisme, mais aussi par des films comme Animal de Cyril Dion et Bigger Than Us de Flore Vasseur. Pour l’ensemble des longs-métrages cités, l’idée est d’injecter une juste dose d’engagement dans une grande variété de genres télévisuels et cinématographiques, dans l’espoir qu’une sensibilité écologique fleurisse.

Les séries de la génération Z, entre fluidité de genre et refus de l’hétérocentrisme

Née entre la fin des années 90 et le début des années 2010, la génération Z a développé, notamment dans sa frange la plus urbaine, une grande sensibilité aux discrimination (racisme, sexisme, homophobie, transphobie, etc.). C’est donc tout naturellement que la question du féminisme, notamment par le prisme de l’identité de genre et de l’orientation sexuelle, se sont diffusées dans les industries culturelles. Notamment par des séries iconoclastes de grande audience comme Orange Is the New Black (OITNB), Sex Education ou Euphoria. À ce titre, OITNB, diffusé à partir de 2013, est l’une des premières séries à succès qui explore ces questions de façon transversale. Le casting est exclusivement féminin, très largement racisé, et la plupart des personnages sont lesbiens. Cerise sur le gâteau, certaines actrices sont transgenres, tout comme les personnages qu’elles jouent. Un florilège de minorités qui n’a pas empêché la série de comptabiliser plus de 100 millions de spectateurs sur 7 saisons. Plus récemment, la série Sex Education a réussi le pari de centrer son arc narratif sur une vision progressiste de la sexualité et de ses différentes orientations. Les relations sexuelles des lycéens sont peu engageantes, rarement exclusives et traversent gays, lesbiennes et hétéros sans distinction. Loin des clichés, c’est une nouvelle représentation de la sexualité adolescente qui est proposée. La même année, en 2019, a d’ailleurs été diffusée la série Euphoria, qui met également en scène la vie de lycéens de la génération Z, épris entre problèmes de santé mentale, addiction et relations amicales et amoureuses aussi courtes que intenses. L’une des actrices, Hunter Schaffer, est une femme transgenre et lesbienne qui joue un rôle similaire dans la série. Ces séries ont en commun de visibiliser des communautés marginalisées et de sortir des schémas normatifs. Une volonté de représentativité devenue vitale quand on regarde les taux anormalement élevés de suicides et de tentatives de suicide des personnes LGBT en comparaison avec la population globale.

Art contemporain et jeux-vidéo, nouveaux leviers de la sensibilité écologique

Créer des imaginaires désirables et alerter sur les dangers actuels, c’est un engagement que prennent de plus en plus d’artistes issus de l’art contemporain. On parle à ce titre d’art environnemental (ou land art), des œuvres composées de matières vivantes, souvent éphémères et bio-inspirées qui sensibilisent le public par un langage universel. Or, avec l’urgence écologique, on assiste ces dernières décennies à un retour du land art. En 2003, le plasticien danois Olafur Eliasson a ainsi exposé son œuvre Weather Project au célèbre Tate Modern de Londres. Il s’agit d’un immense soleil qui irradiait les visiteurs de ses rayons chauds et ambrés, de quoi relier sensoriellement et spirituellement l’humain au cosmos. Dans une dynamique similaire, l’artiste argentin Tomás Saraceno a développé un projet baptisé Aerocene. L’idée est de faire flotter dans l’espace des sculptures légères, puis de les laisser se déplacer grâce aux mouvements convectifs de la chaleur et du froid. Pour ces deux artistes, l’objectif est de développer une sensibilité poétique à l’égard du vivant et de la physique. D’autres privilégient des œuvres d’alerte, à l’instar de Banksy et de son graffiti « I don’t believe in global warming », inscrit sur un mur à moitié submergé par l’eau d’un canal londonien. Toujours dans l’art, mais plus pixelisé que pictural, les jeux-vidéo font également leur part. Ses créateurs sollicitent depuis longtemps des fables écologiques dans leurs narrations, que ce soit par la récolte des ressources, la préservation des écosystèmes ou la lutte contre des industriels pollueurs. Une prise directe à notre environnement qui se retrouve aussi bien dans les personnages éco-terroristes de Final Fantasy XII (1997) que dans celui de Sonic the HedgeHog (1991), chargé de sauver des animaux kidnappés par un vilain scientifique technophile. Plus récemment, le jeu Civilization V (2010) proposait de prendre en compte les émissions de CO2 pour limiter l’impact que pourraient avoir les catastrophes naturelles sur la civilisation. Idem dans le dernier Zelda baptisé Breath of the Wild (2017), qui fait entrer le joueur dans une naturalité écologique et sensorielle totale par la présence du vent, des nuages, de la pluie et de la foudre. Preuve s’il en est qu’entre les jeux-vidéos, l’art contemporain, les séries et les documentaires, les industries culturelles parviennent à nous sensibiliser aux problématiques contemporaines, sans jamais être dans la prescription. De quoi composer en douceur les récits sociétaux qui traverseront notre futur commun.

Cet article est issu de la Revue The Good

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