Pour conduire ses adolescents vers l’autonomie et la citoyenneté, Charlène Badina, maire adjointe petite enfance et éducation jeunesse de cette commune de 6500 habitants (Essonne), a choisi de leur faire confiance. Et c’est pari gagné.
TheGood : J’ai appris qu’à Longpont-sur-Orge, les adolescents se bougent, font du bénévolat et des sorties culturelles. Et que c’est eux qui l’ont décidé. C’est un fake ?
Charlène Badina : C’est le projet « Chiche !» ; un deal gagnant-gagnant passé par les élus avec la quarantaine de jeunes inscrits au Club Ados. Une histoire de confiance et un défi que j’aurais aimé qu’on me lance à cet âge-là. En échange du financement du séjour d’été, nos adolescentes ont bâti, par eux-mêmes, un programme d’activités citoyennes au bénéfice des habitants de la commune. Fondé un bureau, pensé le fonctionnement de l’association et écrit un règlement intérieur (très sévère !). Ils ont aussi organisé leur séjour d’été. Ils sont allés bien au-delà de nos espérances.
TheGood : Comment avez-vous réussi ce miracle ?
Charlène Badina : A ces jeunes qui voulaient absolument partir en vacances ensemble, et qui nous le réclamaient depuis 2016, nous avons dit : « Ok, vous avez un budget de 36 000 euros, de l’envie et des idées. Alors faites quelque chose pour la ville et ses habitants afin de mériter ce budget ». En 2023, nous leur avons signé un chèque en blanc en leur précisant : « Nous vous faisons confiance. C’est vous qui allez définir les règles. Chiche ! Allez-y ». Ils ont dépassé nos attentes : nous avons même été obligés de les freiner.
En mode projet, ils ont présenté une liste d’actions qu’ils souhaitaient mener pour la Ville. Ils se sont constitués en association – un vrai travail sur l’autonomie ! – ont désigné un bureau et un établi un règlement intérieur. C’était d’ailleurs amusant de voir une quarantaine de jeunes âgés de 10 à 18 ans, plancher sur leurs droits et devoirs … ainsi que sur des sanctions. Ils ont d’ailleurs été plus sévères que nous l’aurions été dans les sanctions prévues à l’égard de ceux qui ne respecteraient pas les règles! Ils ont même prévu l’expulsion pour celle ou celui qui, par leur mauvais comportement, donnerait une mauvaise image du Club Ados. Quand nous nous sommes étonnés d’une telle sévérité, ils nous ont rétorqué : « Vous nous faites confiance : nous devons en être digne. Assurer, être à la hauteur. Il faut que nous montrions que l’image des jeunes qui ne veulent rien faire est fausse. »
TheGood : Alors qu’ont-ils décidé de faire pour mériter ce budget ?
Charlène Badina : Ils avaient prévu tellement d’actions que nous leur avons demandé d’en retirer, car il était évident qu’ils ne pourraient pas tout réaliser. Leur animateur, Thomas, les a aidés, mais c’est eux qui ont fait la sélection. C’est ainsi qu’en 2023, ils ont organisé des après-midis en maison de retraite pour jouer avec leurs aînés, – ils les ont par exemple initiés à la boxe ! Ils ont fait des matinées ramassage d’ordures ménagères, le dimanche, à 9 heures ! Ils ont organisé une soirée cinéma en pleine air pour les habitants de Longpont, une collecte de denrées pour l’épicerie sociale, des soirées jeux de société pour petits et grands, etc. Ils sont à présent bien connus des associations locales et des écoles qui font appel à eux lorsqu’elles ont besoin d’aide, pour tenir des stands lors de leurs manifestations, par exemple.
Leur investissement a été sans faille et le regard que les habitants porte sur ces adolescents a vraiment changé.
Ils vont reconduire ces actions en 2024 mais aussi développer d’autres choses, telle une fête des voisins qu’ils veulent organiser cette année afin d’inciter les gens à se rencontrer. C’est une belle initiative dans une société de plus en plus individualiste. Nouveauté de 2024 : nous leur avons confié un budget de 5 000 euros pour organiser des manifestations. Jusqu’à présent, ce budget était à la main de Thomas. Ils vont devoir prioriser. Nous poursuivons notre objectif de les faire gagner en autonomie.
TheGood : Avec « Chiche ! », vous avez choisi la confiance. Un sacré pari concernant des ados plus enclins à s’amuser et à enfreindre les règles qu’à mener des actions citoyennes…
Charlène Badina : Le mérite en revient à Thomas, qui a su nous accompagner, tous, jeunes et élus, vers cet engagement tripartite.
Quand il est arrivé, en 2017, il a d’abord voulu mettre en place un programme attractif pour faire venir les jeunes et créer un lien. Nous, élus, étions d’avantage tournés vers un programme culturel. Mais il nous a expliqué qu’il fallait d’abord construire la confiance pour ensuite emmener ces jeunes vers des choses qu’ils ne choisiraient pas spontanément. Il a donc commencé avec des sorties bowling, karting, etc. Thomas est parvenu à nouer un lien fort avec ces ados. Il a ensuite proposé des sorties au musée, au théâtre. Ils ont accepté et… en ont redemandé !
C’est ensemble qu’ils bâtissent leur programme, dans un vrai échange constructif. Thomas n’essaie pas de les manipuler. Il les accompagne, les aide à gagner en autonomie et les responsabilise.
Le club comptait une dizaine d’adhérents en 2016 et réunissait 7 à 8 jeunes lors des activités. Aujourd’hui, le Club Ados compte 150 adhérents et les activités réunissent une quarantaine de jeunes. Nous sommes alors au maximum de notre capacité d’accueil.
TheGood : Le Club Ados les accueille jusqu’à 18 ans… que leur proposez-vous ensuite ?
Charlène Badina : Pour l’instant, nous ne proposons pas grand-chose aux 18-25 ans, or certains jeunes du Club vont atteindre prochainement la majorité, dont les deux co-présidents – et nous ne souhaitons pas que tout ce qui a germé en eux soit perdu. Ces jeunes sont ultra-motivés par le bénévolat. C’est un défi que nous avons lancé à Thomas et au Club Ados : réfléchir à un projet pour les 18-25 ans.
TheGood : Vous parlez de bénévolat… mais ce n’est est pas totalement puisqu’il y a des vacances à 36 0000 euros à la clef. Pensez-vous que leur investissement perdurerait s’il n’y avait pas la carotte du séjour ?
Charlène Badina : Les jeunes ont mis en place un système de points, attribués à chaque ado pour chaque action menée. Et chacun doit atteindre un nombre défini de points pour avoir droit aux vacances. Or, ils sont allés bien au-delà du nombre requis et cinq jeunes, qui savaient d’entrée de jeu qu’ils ne pourraient participer au séjour pour des raisons familiales et personnelles, ont néanmoins participé à toutes les activités.
Cet été, c’est eux qui ont organisé leur séjour. A l’origine, ils voulaient partir à Ibiza mais ils ont demandé des devis…. Ils sont partis dans le Jura. Ils ont fait beaucoup de sport, ont bivouaqué, et sont revenus ravis.
TheGood : Est-ce que vous pensez leur avoir donné l’envie de s’impliquer dans la vie municipale lorsqu’ils seront plus âgés ?
Charlène Badina : Je pense que c’est encore un peu loin pour eux. Mais je serais ravie que certains d’entre eux se présentent un jour aux municipales !
TheGood : Le mot de la fin ?
Charlène Badina : « Chiche ! », faites confiance à vos ados !