Sur la défensive, le président émirati de la COP28 a réaffirmé lundi 4 décembre respecter la science climatique, qui préconise une baisse abrupte des émissions de gaz à effet de serre, mais le sort précis des énergies fossiles pour atteindre cet objectif était toujours loin d’être tranché.
« Nous sommes ici parce que nous croyons et nous respectons la science« , a déclaré Sultan Al Jaber dans une conférence de presse, à laquelle il avait convoqué Jim Skea, le président du Giec, le groupe d’experts climatiques mandatés par l’ONU. L’ombrageux patron de la COP28, mis en cause depuis des mois par des défenseurs de l’environnement pour être également patron de la compagnie pétrolière émiratie Adnoc, s’est lancé dans ce long exercice d’auto-justification avant même la moindre question de journaliste. Il a dans la foulée de nouveau repris à son compte l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 43% d’ici à 2030, par rapport à 2019, préconisé par la communauté scientifique pour limiter le réchauffement à +1,5°C.
Ses propos répondaient à une polémique née d’une petite phrase rapportée par le quotidien britannique The Guardian, issue d’un échange en ligne au mois de novembre. « Aucune étude scientifique, aucun scénario, ne dit que la sortie des énergies fossiles nous permettra d’atteindre 1,5°C« , avait-il alors avancé dans un échange informel. Lundi, Sultan Al Jaber a été obligé de préciser sa position sur cette question, au coeur des discussions à la COP28: « J’ai dit et redit que la réduction et la sortie des énergies fossiles étaient inévitables« . Il ne tranche ainsi pas entre les deux options qui font justement l’objet de longs et pointilleux débats dans les couloirs et les salles de réunion de la COP28: « sortie » ou « réduction » du pétrole, du gaz et du charbon? « Rien d’autre qu’une sortie complète et rapide des énergies ne nous permettra d’atteindre » l’objectif de 1,5°C et « c’est l’accord qu’il doit favoriser pour que la COP28 soit un succès », a réagi Romain Ioulalen, de l’ONG Oil Change International.
La présidence de la COP, qui est censée rester neutre, avait jeté le trouble un peu plus tôt en ne mentionnant que le mot « réduction », dans un résumé des débats des premiers jours de la conférence publié lundi, où de nombreux dirigeants ont pourtant appelé à mettre fin à l’usage des énergies fossiles. Ce sera en réalité aux quelques 200 nations représentées à Dubaï de trancher.
Blocages
Les deux options figurent pour l’instant dans la première ébauche du texte majeur dont doit accoucher la conférence d’ici son issue théorique le 12 décembre, sous la forme d’un « bilan mondial » de l’Accord de Paris de 2015. Une seconde version de ce texte, résumant les positions souvent contradictoires des pays, est attendue avec fébrilité par les dizaines de milliers de personnes présentes à Dubaï. Les délégués enchaînent les réunions mais aussi les discussions de couloirs « informelles-informelles », dans le jargon des COP. Pour l’heure, chacun campe sur ses positions traditionnelles, selon les participants interrogés. Les nations insulaires et plusieurs pays d’Amérique latine (Colombie, Pérou, Chili,…), ainsi que l’Union européenne défendent avec force de viser l’objectif de 1,5°C plutôt que 2°C. Et pour cela de sortir au plus vite des énergies fossiles, suivis par l’Union européenne. D’autres pays développés, producteurs d’hydrocarbures (États-Unis, Canada, Australie, Norvège), sont aussi favorables à cette sortie, mais avec moins d’ambition dès la décennie en cours. La plupart des pays africains sont aussi en faveur d’une sortie des énergies fossiles, mais à condition de bénéficier d’un délai bien plus long que les pays déjà développés.
La Chine et la Russie se sont opposés à toute mention des énergies fossiles dans le texte. Tout comme l’Arabie Saoudite, premier exportateur mondial de pétrole, dont les délégués « poussent le recours aux technologies de captage du carbone dans tous les angles des négociations », raconte un négociateur européen. Mais même si les pays s’accordent sur une sortie des énergies fossiles, un tel engagement aura peu de valeur sans fixer un calendrier ambitieux : « On ne peut pas dire « je vais être sobre d’ici 2050 mais je boirai mon dernier verre en 2049 »« , résume Alden Meyer, du think tank E3G.
Benjamin Legendre (AFP)
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