25/09/2020

Temps de lecture : 5 min

Denis Gancel, fondateur de Contributing Advisory : “Il faut absolument résister à la tentation de l’apocalypse”

Dans la course à la relance, parce qu’elles désirent profondément changer, ou au moins matcher avec les attentes des citoyens : les entreprises s’agitent et promettent toutes ou presque, pas à pas, une transition sociale, écologique et solidaire de leurs modèles.

Dans la course à la relance, parce qu’elles désirent profondément changer, ou au moins matcher avec les attentes des citoyens : les entreprises s’agitent et promettent toutes ou presque, pas à pas, une transition sociale, écologique et solidaire de leurs modèles. Parce qu’il faut pouvoir nommer les choses pour s’en saisir, l’agence W développe un cabinet spécialisé, un baromètre, et un nouveau mot pour dire avec précision ce dont on parle : le Contributing®. En questionnement devant cette notion et les ambivalences qu’elle recouvre, The Good rencontre Denis Gancel, président de l’agence W et fondateur de Contributing® Advisory. 

Persuadé que la contribution sociétale des marques est la pierre angulaire d’un monde marketing qui doit se réinventer en profondeur, Denis Gancel, président de l’agence W dédie à cette expertise un cabinet de conseil : Contributing® Advisory. L’idée : accompagner les entreprises et leurs dirigeants dans leur transition socio-environnementale. A l’origine de ce terme désormais déposé de « contributing », l’intuition qu’une nouvelle manière d’être et d’agir pour les marques peut permettre de relancer la consommation durablement. Comme Denis Gancel l’explique, « le début du 21ème siècle porte des enjeux bien plus larges que le seul “market”. Il faut un nouveau mot qui qualifie l’intervention attendue de l’entreprise dans le champ sociétal ». Pour sonder le marché et mieux comprendre les attentes de consommateurs, le cabinet dévoilait récemment en collaboration avec l’Institut CSA le rapport du premier baromètre Contributing®. Rencontre avec Denis Gancel, président de l’agence W et fondateur de Contributing® Advisory. 

The Good : Pouvez-vous nous expliquer la notion de « Contributing® », son rôle et son importance ? En quoi cette notion diffère-t-elle de celle de « RSE » ? 

Denis Gancel : Le Contributing® part d’une question simple : comment être au rendez-vous des accords de Paris avec une science marchande qui date des années cinquante et dont l’objet était la relance de la consommation à tout prix et quoiqu’il en coûte, notamment sur le plan environnemental. Le Contributing® propose un autre chemin de croissance fondé sur une approche stratégique qui permet aux entreprises d’être au rendez-vous des nouvelles attentes des consommateurs et des parties prenantes. Prenant appui sur les travaux de Bernard Stiegler sur l’économie de la contribution et des valeurs, sur l’élargissement de la définition de l’entreprise par la loi Pacte, sur les critères ESG et les normes RSE, cette approche relie Sens et Business, en défendant l’idée de croissance responsable et en aidant les entreprises à faire évoluer leur business model.

The Good : Quels sont les chiffres et enseignements clés que vous avez pu tirer de votre premier baromètre du Contributing®

D.G. : Je parlerais de trois enseignements clés :

– Le premier, c’est que l’acte de consommer est vu comme le principal levier de transformation de la société avant les gouvernements et les entreprises. Plus que jamais, le consommateur citoyen a l’intention de faire entendre sa voix.

En chiffre, 56 % des personnes interrogées pensent que les acteurs les plus à même de changer la société aujourd’hui sont les consommateurs, contre 50 % pour le gouvernement, 25 % pour les PME et 21 % pour les grandes entreprises.

– Le deuxième, c’est la très forte attente de « justice sociale » qui vient avant l’écologie. On voit là le reflet de ce que décrit Bernard Sananès (Institut Elabe) : « une France fracturée, défiante et inquiète ». 49 % veulent en priorité une France plus juste, 35 % veulent une France plus citoyenne, et 34 % veulent une France plus verte.

– Le troisième, c’est l’incapacité d’une majorité des consommateurs (56 %) à citer une marque engagée. Cela montre le chemin qui reste à parcourir pour que le levier de transformation que sont les marques devienne un levier efficace et perçu comme tel. 

The Good : Biocoop, Carrefour et Danone sont visiblement sur le podium. Comment leur Contributing® se matérialise-t-il dans leurs offres et communication ?

D.G. : Dans toute transformation il faut des pionniers. Des marques qui sont « en avant », comme le dit Rimbaud dans la poésie. On peut espérer que l’observation attentive de leur action provoque chez les attentistes une prise de conscience et des stratégies mimétiques.

Biocoop, c’est le registre de l’ultra-transformation, avec des engagements concrets pour garantir le meilleur de leurs valeurs, c’est-à-dire : le refus des OGM, une solidarité avec les producteurs agricoles bio, les produits locaux pour diminuer l’empreinte écologique et surtout des prix justes pour une bio accessible et exigeante.

Carrefour, c’est le virage stratégique de la transition alimentaire, incarné par une forte stratégie de label « Act for Food » qui sonne comme un cri de ralliement militant autant pour l’interne que pour l’externe. C’est aussi une incursion dans le Care, à travers des nouveaux concepts comme Source, une chaîne de boutiques de beauté axée sur le green beauty et aussi le concept de discount soft.

Quant à Danone, c’est la suite d’un engagement pris depuis le premier Institut Danone pour la santé, créé dans les années quatre-vingt-dix à partir d’un constat simple : sur les dix années d’études de médecine, seulement deux heures sont consacrées à la nutrition. Quelques décennies plus tard, cela donne une mission mondiale : apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre incarnée par un motto – One Planet. One Health – et des preuves tangibles : agriculture régénératrice, investissement dans le bio plus accessible, nouveau modèle agricole, etc. 

The Good : Avec le Contributing® Advisor, vous avez pour mission d’accompagner durablement les modèles entrepreneuriaux actuels vers des dynamiques plus ancrées dans le good, et comme chez The Good, concilier Good et Économie. Concrètement, comment ses ambitions se matérialisent-elles ? Le capitalisme vert est-il viable ? 

D.G. : Qu’il soit privé ou public, le capitalisme est devenu l’unique système économique mondial. Il se retrouve dans une situation de quasi-monopole dont il ne faut pas qu’il abuse… C’est en cela que le récent rapport Perrier-Sénart (Institut Montaigne) consacré au capitalisme responsable est visionnaire. Il fait des propositions concrètes pour qu’un capitalisme vert se mette en place et que l’Europe se dote enfin d’un capitalisme qui corresponde à ses valeurs. Je veux croire que l’hyper financiarisation peut être stoppée, que les profondes inégalités qui en ont résulté peuvent être résorbées et que les États, dits avancés, cesseront de prendre de haut le reste du monde. Ceux qui appellent à un monde refermé, vantant les vertus des régimes autoritaires dans la gestion de crise, font froid dans le dos. Il ne s’agit pas simplement de reconquérir, de remettre de l’ordre, ni même de revoir les choses. Il faut plutôt inventer, créer, construire et donner des motifs d’espérance aux générations qui arrivent. Il faut absolument résister à la tentation de l’apocalypse. La création de The Good va dans ce sens. 

The Good : Si la Raison d’Être, c’est bien, sa mise en pratique, c’est mieux. Un conseil pour les marques et entreprises qui ne savent pas par où commencer ?

D.G. : Les entreprises et les marques vont devoir choisir leur camp. Il y aura les cyniques qui tenteront de faire durer le plaisir sur les nouveaux marchés en pariant sur un “pas vu-pas pris” à courte vue. Il y aura les repenties qui chercheront à montrer et démontrer leur vertu récente par une débauche de communication qui sera vite washée et blacklistée d’un clic létal. Il y aura les adeptes de la décroissance, du less is more, qui s’apercevront vite que la branche sur laquelle elles reposent vacille. Et puis il y aura les créatives qui, ne renonçant pas à leur fonction de marques, chercheront une nouvelle voie, un nouvel imaginaire. Elles travailleront sur le néoplaisir du consommateur à consommer autrement, elles tisseront de nouveaux liens plus affinitaires, et plus proches, avec leurs clients. Elles imagineront de nouveaux récits, plus respectueux, au langage plus sincère, plus authentique, moins racoleur ou faussement connivent. Elles investiront massivement sur le design et l’architecture pour permettre au client de vivre la marque de l’intérieur et d’y habiter.

Comme « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde » (Albert Camus), je pense qu’il est temps que le marketing laisse la place à un Contributing® qui permette aux marques et aux entreprises d’être au rendez-vous des défis sociaux et environnementaux de notre temps.

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