« Des valeurs » non « négociables »: les entreprises françaises ne semblent pas prêtes à renoncer aux politiques de non-discrimination et à la quête de diversité, d’inclusion et d’égalité entre les genres, prévues par la loi en France, en dépit d’un courrier de l’administration américaine qui les y enjoint. Comme dans d’autres pays européens, l’ambassade américaine a demandé à quelques dizaines d’entreprises françaises si elles avaient des programmes internes de lutte contre les discriminations, dans un courrier adressé la semaine dernière et que l’AFP s’est procuré.
La missive suggère que, le cas échéant, cela pourrait les empêcher de travailler avec les Etats-Unis. L’information s’inscrit dans un contexte de fortes tensions commerciales alimentées par le président américain Donald Trump. « Aucune vérification n’est requise, au-delà de demander aux entrepreneurs et aux bénéficiaires de certifier eux-mêmes leur conformité. En d’autres termes, nous leur demandons simplement de remplir un document supplémentaire« , a écrit l’ambassade des États-Unis en France dans des déclarations transmises à l’AFP, à l’instar de son homologue à Berlin pour l’Allemagne.
« Diversité et inclusion ne sont pas des slogans mais des valeurs partagées en France et un facteur de performance démontré pour nos entreprises« , a réagi lundi sur X la ministre française du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet. « Elles ne sont pas à négocier ou à vendre à la découpe« . « Nous, ce qu’on a, c’est un cadre légal qui fait que les entreprises sont obligées, de toute façon, de se conformer » à ces règles qui bannissent toutes formes de discrimination, rappelle la ministre chargée de l’Égalité femmes-hommes, Aurore Bergé.
« Il n’y a aucun renoncement qui pourrait être fait » côté entreprises, souligne la ministre, avant de prévenir que si celles-ci veulent revoir à la baisse leurs engagement en la matière, « elles ne pourront pas faire moins que ce que prévoit la loi en France« .
« Actions positives » en France
« Les entreprises françaises ne font pas de discrimination positive« , rappelle Yann Tanguy, secrétaire général de la Charte de la diversité, signée par plus de 5.000 entreprises en France. En revanche, « elles ont des actions positives d’égalité des chances et d’inclusion au sein de leurs structures« , ajoute-t-il, rappelant les textes en la matière: « la loi qui favorise l’emploi des personnes en situation de handicap et les lois qui visent à la parité homme-femme dans les organes de gouvernance, conseil d’administration et direction des entreprises« .
« Ce courrier met une forme de pression commerciale sur les entreprises et leurs dirigeants« , estime M. Tanguy, mais pour l’heure, « la Charte n’a pas le sentiment que ses adhérents, les entreprises et les signataires vont reculer » sur ces valeurs. La CFDT, première organisation syndicale en France, « demande aux entreprises et groupes français de résister à ces intimidations et de ne pas remplir le formulaire synonyme de soumission à l’administration Trump« , dans un communiqué diffusé mardi dernier.
« Qu’elles soient prudentes, on l’entend, mais il n’est pas question qu’elles appliquent » les nouvelles doctrines du gouvernement américain, précise à l’AFP une de ses cadres, Béatrice Lestic. « Face aux dangers de la « trumpisation » du monde, de la montée de l’extrême droite dans notre pays et en Europe, nous avons besoin de la garantie qu’aucun backlash ne sera toléré« , ont souligné de leur côté dans un communiqué commun les syndicats CGT, Solidaires, Unsa et FSU.
« Même si en France, on a un certain nombre de pare-feux (…), il va falloir se battre pour veiller à ce que les entreprises ne remettent pas en cause ces accords et chartes sur l’égalité« , dit Gérard Ré, pour la CGT. Pour Patrick Martin, le président du Medef, première organisation de patrons, « on ne peut pas s’incliner, nous avons des valeurs, des règles, nous nous devons de les respecter« . Il a aussi critiqué une « dérive du gouvernement américain, du président américain lui-même, qui veut signifier une emprise sur l’économie mondiale et les valeurs européennes« .
Selon Yann Tanguy, « les choses ne vont pas changer brutalement en France« . Il pense que « les entreprises auront plutôt tendance à contourner la difficulté, par exemple en renommant des postes. Il n’y aura plus des directeurs diversité-inclusion, mais des directeurs promotion de la vie culturelle« .