The Good : Est-ce qu’il y a urgence aujourd’hui, plus qu’hier, à rendre « Toulouse + fraîche » ?
Jean-Luc Moudenc : Les prévisionnistes annoncent, pour 2050, à Toulouse, le même climat que celui de Séville, qui est au sud de l’Espagne…Or notre ville doit rester vivable. Il s’agit de la transformer et parfois, même, de la réparer pour gagner quelques précieux degrés.
Nous avons bâti un plan systémique pour actionner tous les leviers en faveur de la transition écologique. Toulouse est d’ailleurs la première ville française à avoir cette vision totale. Notre plan compte 30 actions de deux types : conjoncturelles et structurelles. Les actions conjoncturelles sont des actions ponctuelles mises en place durant l’été pour atténuer les effets négatifs de la chaleur, telles extension des horaires d’ouvertures des piscines municipales ainsi que des parcs et jardins, des tickets planète à petit prix pour les transports en commun les jours de canicules, etc. Les actions structurelles sont des mesures pérennes qui visent à transformer la ville.
Nous avons mobilisé tous les élus et tous les services municipaux en leur demandant de réfléchir à ce qui pouvait être fait dans leur secteur et dans leur champ thématique de responsabilités, tant sur le plan conjoncturel que structurel.
The Good : Et c’est ainsi que vous avez, entre autres actions, entrepris d’éclaircir la ville rose ?
Jean-Luc Moudenc : Tout en conservant notre identité architecturale, nous pouvons améliorer de 10%, l’albédo global de notre ville (pouvoir de réfléchissement) en travaillant sur les trois surfaces : espaces publics, enveloppes bâties, toitures et façades.
Nous avons donc entrepris, depuis le lancement du plan Toulouse + fraîche, en 2023, de changer la couleur de la ville, de favoriser les teintes claires qui vont peu absorber la chaleur et moins la restituer. Ce changement de couleur entraîne un changement profond de nos habitudes. Car, pour y parvenir, nous devons élargir nos compétences, nous poser des questions que nous ne nous posons pas habituellement. Nous avons embarqué nos fournisseurs qui, pour changer la couleur du goudron, ont dû en modifier la composition ; y introduire des cailloux clairs. Mais nous n’avons pas de difficulté à trouver des partenaires ad-hoc. Il y a une prise de conscience générale. Les gens et les entreprises, partout, se posent des questions à tous les niveaux et nous sommes de plus en plus être en phase avec nos prestataires.
Nous travaillons aussi l’albedo sur le bâti. Nous avons 2 millions de mètres carrés de bâtiments publics. Bien que ce chiffre prenne en compte les étages, cela donne une idée du parc immobilier à traiter. Nous avons commencé à peindre les toitures et les murs exposés à la chaleur, des écoles, crèches, gymnases, centres culturels, ehpad, mairie, etc. Nous y mettons des couleurs claires et, lorsqu’il y a des constructions nouvelles, nous imposons d’intégrer des couleurs claires, dès la conception.
The Good : En plus d’éclaircir, il est aussi question de verdir…
Jean-Luc Moudenc : Nous devons « dégoudronner ». Après la deuxième guerre mondiale, Toulouse a été reconstruite avec beaucoup de bitume. Lorsque cela est possible, nous enlevons le goudron et nous végétalisons. Nous avons déjà fait cela dans plusieurs rues du centre-ville, là où il y a des îlots de chaleur. Nous avons travaillé en concertation avec les habitants et les commerçants car nos travaux de végétalisation impliquent la suppression de places de stationnement. Il est alors important de faire des arbitrages ensemble sur les portions de stationnement que l’on supprime. S’il est possible de planter des arbres, lorsqu’il n’y a pas de réseau enterré, nous le faisons. Et si ce n’est pas possible, nous installons des bacs en bois avec une forte épaisseur pour y implanter de la végétation. Ce qui donne des rues où alternent stationnement et espaces végétaux. Faire reculer la part du goudron entraîne une vraie transformation de la ville.
Cette année, nous avons « débitumé » 730m2, soit l’équivalent de huit terrains de rugby !
The Good : Vous avez également entrepris de rafraîchir les jeunes générations. De combien d’écoles parle-t-on ?
Jean-Luc Moudenc : Du fait de l’expansion démographique de la ville de Toulouse, les écoles se sont beaucoup développées dans les années 60 à 80 et… ont été conçues en tout goudron, avec très peu d’arbres. Nous voulons transformer les cours d’écoles en oasis de fraîcheur, en ralliant la communauté éducative et les enfants à ce projet. Nous enlevons le goudron, créons des espaces de fraîcheur, plantons des végétaux, des arbres, construisons des cabanes en bois, mettons du broyat de bois, et les enfants sont chargés de les entretenir.
Nous avons 211 écoles avec 35 0000 enfants : c’est un travail de transformation important que de traiter tous les établissements ! Nous avons équipé une quarantaine d’écoles depuis 2020 et avons prévu une trentaine d’ici à la fin du mandat. Toutes les écoles n’ont pas besoin d’une telle transformation mais elles sont nombreuses celles qui ont été conçues en tout bitume.
The Good : Vous avez également décidé de mettre les Toulousains sous « tente ». Quels sont les résultats de cette expérimentation ?
Jean-Luc Moudenc : Nous avons testé plusieurs types d’ombrières. Si ces toiles tendues ont, au départ, provoqué quelques moqueries, les résultats ont démontré qu’elles ont une vraie utilité. Nous avons fait deux types de mesures : une mesure de satisfaction, avec des QR Codes, pour demander leur ressenti aux gens – 1000 personnes ont participé, et des mesures réalisées par nos équipes. Elles ont mesuré les températures réelles et ressenties sous ombrières et hors ombrières. Et les résultats sont positifs : Nous pouvons gagner jusque 5 degrés.L’an dernier, nous avions déployé sept ombrières. Nous en avons déployé une vingtaine cette année, en centre-ville et dans les quartiers.
The Good : Comment cette volonté de rafraîchir la Ville impacte-t-elle le plan d’urbanisme ?
Jean-Luc Moudenc : Le 15 juin, nous avons voté un nouveau PLUIH plan local d’urbanisme intercommunal d’habitat sur les 37 communes de la métropole ; Métropole que je préside, par ailleurs, qui comporte de nouvelles règles applicables à fin 2025 qui vont faire de de la métropole toulousaine la première à être dotée d’un PLU bioclimatique intercommunal.
Ce plan introduit nombre de nouvelles règles, notamment en ce qui concerne les portions de pleine terre à maintenir dans les nouvelles opérations d’urbanisme, de manière à ne pas artificialiser la totalité des sols et à permettre la plantation de végétaux. Sur l’albedo, ce PLUH introduit de nouvelles obligations pour rafraîchir la ville. Les nouvelles règles urbanistiques seront applicables à Toulouse d’ici à un an et demi
The Good : Que prévoit votre plan systémique en faveur de la préservation de l’eau ?
Jean-Luc Moudenc : Nous avons été la première métropole à suivre les recommandations du Conseil économique et social environnemental (CESE) en instaurant, depuis le 1er juin, une tarification saisonnière de l’eau. De juin à octobre, le tarif augmente de 42%, ce qui oblige tout le monde à faire attention. Et, sur les 7 mois qui suivent, quand la ressource en eau est abondante, le prix diminue de 30%
Nous avons adopté un plan eau il y a quelques semaines, et, parmi les mesures décidées, je citerai la distribution de kits permettant d’abaisser de 30% la consommation des ménages. Ce kit, qui sera d’abord distribué au sein des foyers les plus modestes, sert à équiper les embouts de robinets et de douches. Aujourd’hui, nous étudions la possibilité de créer une aide financière pour les particuliers qui feront l’acquisition d’un récupérateur d’eau.
Nous avons également doublé les investissements en faveur de l’entretien du réseau d’eau potable et abaissé le taux de fuite. En France, le taux moyen est de 20%, nous sommes, nous, à 11%. Et nous poursuivrons nos efforts. Nous avons installé un système de télésurveillance numérique informatisé avec des capteurs sur le réseau pour que toute fuite soit détectée immédiatement et que nous puissions intervenir très vite.
L’ADEME nous accompagne dans ce plan, et notamment sur le volet communication auprès des habitants. Nous souhaitons qu’ils soient acteurs de la transformation et qu’ils participent en nous faisant part de leurs idées, mais aussi qu’ils donnent leur avis. L’ADEME mesure les résultats obtenus par nos différentes actions pour en faire de bonnes pratiques pouvant être dupliquées.