22/10/2024

Temps de lecture : 5 min

« Investir dans la performance ESG est un moyen pour les entreprises de réduire leurs risques », Camille Leca (Euronext)

Responsable ESG du groupe Euronext, Camille Leca détaille pour The Good l’importance qu’ont pris les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans le monde de la bourse. Elle témoigne de la révolution profonde que vit les marchés de capitaux et nous explique pourquoi.

The Good : Quelle place occupe l’ESG sur les marchés de capitaux en 2024 ?

Camille Leca : Le changement climatique est au centre de l’attention. L’Union européenne est souvent considérée comme leader dans la mise en œuvre et la promotion de la législation ESG, ce qui signifie que les organisations opérant au sein de l’UE sont tenues de respecter des normes parmi les plus élevées au monde. L’Accord de Paris de 2015 et le Green Deal européen de 2019, comprennent une série d’initiatives politiques et l’intention de devenir le premier continent au monde neutre en carbone d’ici 2050.

Dans le même temps, les citoyens de l’UE considèrent les défis sociaux comme une priorité et scrutent la réponse des entreprises à leur égard. Près de 9 citoyens de l’UE sur 10 (soit 88 %) déclarent qu’une Europe engagée en faveur de l’égalité des chances, des conditions de travail équitables et de l’inclusion est importante pour eux personnellement (selon l’Eurobaromètre 513 de la commission européenne 2021). Cette position se reflète dans les achats et les préférences professionnelles au sein des syndicats, avec 63 % des répondants qui déclarent acheter ou défendre des marques en fonction de leurs valeurs et 69 % qui déclarent s’attendre à ce que leur employeur ait un fort impact sociétal (d’après le baromètre Edelman 2023).

La gestion ESG devient centrale sur les marchés de capitaux en tant que fondement de la confiance, de la transparence et de la perception des parties prenantes. L’ESG joue un rôle central lorsque les entreprises communiquent, et lorsque les investisseurs et le grand public évaluent la performance extra-financière des entreprises. Un nombre croissant d’entreprises rendent compte de leurs performances ESG, motivées par la demande des investisseurs, la réglementation et leur propre responsabilité d’entreprise vis-à-vis de leurs parties prenantes.

Les données Euronext suggèrent que plus de 90 % des sociétés cotées rendent compte des indicateurs ESG. Depuis 2020, le nombre de points de données collectés a augmenté significativement (+40 %) pour les 50 indicateurs les plus couramment utilisés. Cette adoption rapide est motivée à la fois par l’évolution de l’environnement réglementaire, tel que la CSRD et la taxonomie de l’UE, et par des mesures volontaires de reporting, basées soit sur les normes existantes, soit sur une méthodologie propre à l’entreprise.

The Good : Constatez-vous un intérêt croissant des investisseurs envers les responsabilités ESG (environnement, social et gouvernance) des entreprises ?

Camille Leca : D’une part, pour des questions de performance financière. Le risque climatique est un risque financier, tout comme le risque de gouvernance. Ils sont parfois également des opportunités de croissance. Les investisseurs intègrent ces perspectives dans leurs exercices de valorisation.

D’autre part, pour être conforme aux changements réglementaires et politiques. Les gouvernements et les régulateurs du monde entier mettent en œuvre des politiques visant à promouvoir l’investissement durable et obligent les investisseurs à intégrer davantage d’informations ESG dans leur stratégie d’investissement. La taxonomie européenne, via le Règlement sur la divulgation (SFDR) et le reporting de développement durable (CSRD) illustre comment la règlementation impose une plus grande transparence et responsabilité sur les questions ESG, y compris de la part des investisseurs. Au niveau mondial, l’International Sustainability Standards Board (ISSB) travaille aussi à intégrer la durabilité dans les normes comptables basées sur le cadre IFRS.

Par ailleurs, les investisseurs sont très préoccupés par la gestion des risques. Les actions avec une feuille de route et une gouvernance ESG mature présentent un risque total inférieur à celui des actions présentant le même risque systématique mais une maturité sur ces sujets inférieure, transformant les entreprises durables en investissement attractif. La gestion des risques climatiques devient un élément central des politiques financières institutionnelles, d’où leur intérêt à comprendre et à piloter la performance ESG.

Enfin, les demandes sont croissantes de la part des parties prenantes. Les investisseurs reconnaissent de plus en plus que leurs clients attendent des résultats ESG, et que ceux-ci doivent être  intégrés dans les décisions d’investissement. Ils savent aussi que les salariés préfèrent travailler pour des entreprises ayant de solides performances ESG.

The Good : Quels sont les critères ESG sur lesquels se basent les investisseurs ?

Camille Leca : Les investisseurs appliquent différentes stratégies d’investissement basées sur plusieurs critères ESG, qui incluent déjà le filtrage négatif voire l’exclusion d’entreprises, secteurs ou zones géographiques impliquées dans des activités controversées, comme le travail des enfants. Il y a le critère « Best-in-class », qui concerne la sélection de sociétés de l’univers d’investissement basée sur leur performance ESG. Il y a « l’investissement thématique » qui comprend la sélection de sociétés de l’univers d’investissement en fonction de thèmes durables spécifiques ou soutenant des ODD spécifiques, comme l’égalité des sexes. Il y a aussi le critère de « performance extra-financière » qui sélectionne les entreprises dans une approche portefeuille basée sur l’intégration explicite des risques et opportunités ESG dans l’analyse financière traditionnelle ainsi que les décisions d’investissement. Il y a le critère « corporate engagement » pour les entreprises de l’univers de l’investissement qui favorisent le dialogue avec la direction de l’entreprise, proposent ou votent des résolutions sur les questions ESG.

The Good : Pourquoi les entreprises s’intéressent-elles davantage à l’ESG ?

Les entreprises s’intéressent à l’ESG car elles ont pris conscience qu’elles ont un rôle à jouer dans la transition écologique. Toutefois, l’ESG ne se limite pas seulement à l’environnement, mais inclut également des dimensions sociales et de gouvernance.

La pression des investisseurs est un facteur clé qui les pousse à agir plus rapidement. Leurs attentes et demandes augmentent proportionnellement à mesure qu’ils deviennent plus sophistiqués. Cela concerne désormais directement l’engagement actionnarial de l’entreprise. Comme nous venons d’en parler, les investisseurs peuvent aller plus loin et prendre une position ferme sur les questions ESG, obligeant les entreprises à améliorer leurs pratiques, y compris sous forme de résolutions lors des assemblées générales annuelles.

Les entreprises font aussi face à des demandes croissantes de la part des parties prenantes. En effet, une grande variété de parties prenantes, des consommateurs aux actionnaires sont en attente de plus de transparence. En devant actifs sur ces sujets, ils rendent les entreprises responsables de leur performance ESG.

De plus, investir dans la performance ESG est un moyen pour les entreprises de réduire ou d’atténuer leurs risques. Chaque l’entreprise est confrontée à un large éventail de problématiques liées à l’ESG qui peuvent avoir un impact sur sa réputation et ses résultats. La problématique de la pollution des eaux est un bon exemple, car elle peut avoir comme conséquences une détérioration de l’image de l’entreprise ainsi que d’éventuelles poursuites judiciaires et sanctions financières. La gestion des risques ESG devient une pratique courante et fait partie intégrante de la gestion de l’ensemble des risques de l’entreprise. Ne pas investir dans l’ESG peut exposer les entreprises à des risques plus élevés. Les incidents peuvent à leur tour entacher la réputation de l’entreprise et entraîner des situations de boycott, y compris en réponse aux pratiques de greenwashing. A contrario, une stratégie ESG proactive peut accroître la valeur de la marque.

The Good : Comment le groupe Euronext accompagne les entreprises vers plus de pratiques ESG ?

Camille Leca : Nous avons développé et côté sur nos marchés des produits financiers ESG qui visent à financer la transition (des ESG bonds, des indices boursiers, des fonds/ETFs ESG etc.). Mais une part importante de notre travail consiste à accompagner les sociétés cotées dans cette évolution. Nous les formons dès qu’un besoin se fait sentir notamment chez les PME-ETI et mettons à disposition des guides de bonnes pratiques. L’échange entre pairs et avec les investisseurs est un bon moyen de favoriser le dialogue. Nous accompagnons aussi les entreprises qui souhaitent être introduites en bourse car la durabilité doit aujourd’hui être au cœur de la stratégie de chaque entreprise. Un candidat à la cotation pas suffisamment mature sur ces sujets, s’expose à l’échec de son opération boursière. L’intégration des questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) dans les prises de décisions n’est pas une question de conformité. Il est désormais essentiel de démontrer sa stratégie ESG auprès de l’ensemble des actionnaires.

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