Retour à l’âge de pierre, crise économique, chômage de masse… Par sa connotation décliniste, la décroissance effraie. Pourtant ce concept ne souhaite ni réduire nos modes de vie, ni enterrer l’idée du progrès. Simplement modifier nos indicateurs pour que la croissance ne soit plus définie par l’économie, mais par la bonne santé des humains comme celle de la planète.
Parler de décroissance demande d’être en appui solide sur ses deux pieds. D’abord parce que le terme est un mot-obus qui renvoie au pessimisme du déclin, face à l’image d’Épinal d’une croissance biologique et naturelle. C’est à ce titre que certains préfèrent parler de post-croissance, ou d’objection de croissance. Quoi qu’il en soit, il faut être d’autant plus solide que dans une société où l’économie ne cesse de croître, parler de ralentissement ou de changement d’indicateur est quasi blasphématoire. Une réaction compréhensible puisqu’à l’école, au travail comme dans nos imaginaires, le progrès humain repose systématiquement sur un développement économique et technique infini. Pour partir du bon pied, commençons par définir la décroissance. Il s’agit d’une réduction démocratiquement planifiée de la production et de la consommation dans les pays riches afin de réduire les pressions environnementales et les inégalités tout en améliorant la qualité de vie.
« Leur récession n’est pas notre décroissance »
Malgré cette définition, beaucoup de détracteurs de la décroissance y voient une récession économique souhaitée qui mènerait à une hausse du chômage et de la paupérisation. C’est mal connaître le concept, qui ne se veut nullement comme « l’inverse arithmétique de la croissance », dixit l’ancien ministre de l’environnement Yves Cochet. Il s’agit au contraire d’une économie redéfinie à l’aune de la raréfaction des ressources et de l’urgence écologique. La décroissance peut certes envisager une contraction volontaire du PIB, mais cela n’est pas synonyme de chômage ou de pauvreté puisque des instruments comme le revenu universel sont là pour absorber le choc. Mais surtout, l’idée même de ralentir une croissance infinie dans un monde fini est loin d’être baroque. Comme l’explique Timothée Parrique, doctorant spécialisé sur ces questions, la croissance repose sur les ressources biophysiques de la planète type pétrole, charbon, gaz, mais aussi bois et métaux. En plus d’être limité, ce stock est en train de se tarir tout en réchauffant l’atmosphère après 150 ans d’extractivisme. Dans ce contexte, la décroissance vise à réduire notre dépendance aux ressources pour éviter un sevrage trop violent et un climat invivable. Raison pour laquelle le politologue Paul Ariès a publié un texte pendant la crise financière de 2008 intitulé : « Leur récession n’est pas notre décroissance ».
C’est mal connaître le concept, qui ne se veut nullement comme « l’inverse arithmétique de la croissance », dixit l’ancien ministre de l’environnement Yves Cochet.
À quoi ressemble une économie décroissante
À la différence du développement durable qui mise sur le recyclage, l’écoconception et les technologies vertes pour marier capitalisme et écologie, la décroissance veut prendre un virage ambitieux. Première étape, changer l’indicateur qu’est le PIB au profit d’indicateurs de pleine santé. Eloi Laurent, économiste et chercheur à l’OFCE, suggère la création d’un indicateur qui reflète le bien-être des humains et de la planète. Ce dernier intégrerait la santé physique et mentale, la qualité de l’éducation, l’accès à la nature, l’espérance de vie, les liens sociaux etc. Intégré au réseau international « well being economy alliance », ce professeur à Sciences Po n’a cessé de constater les limites de la croissance en matière de chômage structurel, d’extraction déraisonnée des ressources, d’augmentation indécente des inégalités. Face à un tel bilan, la décroissance veut tourner la page et dissocier le progrès humain de la croissance économique. Progresser reviendrait à gagner en santé, en éducation, en lien social, pas en productivité. Les objecteurs de croissance en appellent aussi à une diminution du temps de travail. Une idée que l’économiste Keynes avait largement défendue comme moyen de partager l’emploi. Cette hausse du temps libre permettrait aussi une respiration sociale et culturelle bienvenue dans un monde largement touché par les burn out et les dépressions. Autre volonté des décroissantistes : instaurer un revenu maximum pour limiter les inégalités et un revenu universel d’existence pour absorber les chocs économiques et sociaux. Enfin, les partisans de la sobriété veulent réguler la production et la consommation au moyen d’une TVA écologique selon le caractère polluant du produit ou du service. Un florilège d’idées novatrices qui pourraient prendre place dans les débats présidentiels à venir.