La France tient le rythme prévu pour décarboner son économie, mais les forêts et les sols de son territoire n’absorbent pas autant de CO2 que prévu.
La France tient le rythme prévu pour décarboner son économie, mais les forêts et les sols de son territoire n’absorbent pas autant de CO2 que prévu, empêchant de peu le pays de tenir ses objectifs climatiques et de rattraper le retard accumulé lors de la précédente décennie. Les gaz à effet de serre émis par l’activité humaine en France ont baissé dans quasiment tous les secteurs de l’économie (agriculture, transports, industrie …), reculant de 5,8% en France en 2023 par rapport à 2022, a annoncé le 23 mai le Citepa, l’organisme chargé de l’inventaire des gaz à effet de serre français, dans une révision de ses premières estimations. Ce chiffre, dont s’enorgueillit le gouvernement après un recul de 2,7% entre 2021 et 2022, avait été dévoilé mercredi dernier par le Premier ministre Gabriel Attal lors d’un meeting électoral.
En 2023, la France a ainsi rejeté dans l’atmosphère l’équivalent de 373 millions de tonnes de dioxyde de carbone (Mt CO2e), « en dessous du niveau minimum record de 2020 » lors du ralentissement majeur de l’économie pendant la pandémie. « On est dans les clous de nos objectifs« , s’est-on félicité jeudi dernier dans l’entourage du ministre de la Transition écologique Christophe Béchu, tout en concédant que « l‘absorption du carbone était un peu moins importante que prévu« . En effet ce nouveau record ne suffit pas: en retranchant des émissions françaises la quantité de CO2 absorbée naturellement par les forêts et les sols, « le budget carbone 2019-2023 n’est pas respecté« , avertit le Citepa. Les arbres, par la photosynthèse, captent le carbone de l’air pour le stocker dans leurs racines et leurs branches. Au total, sur ces cinq années, les émissions nettes de la France atteignent en moyenne 380 Mt « contre un objectif de 379 Mt, soit un dépassement de 1,4 Mt » (0,4%), indique l’organisme.
Mortalité des arbres
La feuille de route climatique de la France, fixée par sa deuxième Stratégie nationale bas carbone (SNBC) 2019-2023, prévoyait d’atteindre 40 à 45 Mt de CO2 absorbé par les forêts et les sols d’ici 2030. Mais ce puits de carbone « s’est considérablement réduit » et n’a absorbé qu' »environ 20 Mt CO2 dans les années récentes, notamment en raison (…) de sécheresses à répétition depuis 2015, de maladies (augmentant) la mortalité des arbres et d’une hausse des récoltes de bois », explique le Citepa. Et l’avenir est incertain: selon une étude récente de l’IGN, « la séquestration du carbone en forêt continue de s’éroder » dans la grande majorité des projections d’ici 2050, y compris si le gouvernement parvenait à tenir l’objectif de planter un milliard d’arbres d’ici 2032.
« La dégradation du puits de carbone est aussi un choix politique puisque le gouvernement s’entête à vouloir augmenter la récolte de bois alors que tous les signaux sont au rouge« , a réagi Sylvain Angerand de l’association Canopée. Les modes de gestion de la forêt « n’ont pas radicalement changé ces dernières années », rétorque le ministère de l’Agriculture. Le gouvernement cherche à « renouveler les forêts se dépérissant, comme celles d’épicéas et de sapins du grand Est victimes d’attaques parasitaires, et à les remplacer par des arbres plus adaptés au changement climatique« , a-t-il indiqué. Et le bois est « un matériel écologique pouvant remplacer le béton ou le plastique et évitant ainsi des émissions« .
Reste que la diminution de l’absorption par la forêt et les sols « implique un effort encore plus conséquent sur les autres secteurs afin de parvenir à la neutralité carbone« , rappelle le Citepa, alors que la 3e version de la SNBC, annoncée comme « imminente » depuis des mois par le gouvernement, se fait toujours attendre.
Baisse conjoncturelle ?
Le Citepa constate une « situation inédite où tous les grands secteurs émetteurs participent à une baisse des émissions, dans un contexte particulier (inflation, reprise de production nucléaire…) mais sans crise économique majeure« .
C’est une « bonne nouvelle« , mais « en grande partie liée à des facteurs conjoncturels comme la baisse de l’activité économique, les prix élevés de l’énergie ou le redémarrage de réacteurs nucléaires » à l’arrêt en 2022, relativise Anne Bringault, du Réseau Action Climat, qui appelle à s’attaquer notamment aux émissions du secteur des transports.
La France, qui doit s’aligner sur l’objectif européen de -55% d’émissions d’ici 2030 par rapport à 1990, avait déjà échoué à respecter son premier budget carbone (2015-2018) et avait revu ses ambitions à la baisse en 2019.