(contenu abonné) Hélène Valade, présidente de l’Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (ORSE) et directrice développement environnement du groupe LVMH et Emery Jacquillat, président de Camif et de la Communauté des Entreprises à Mission, tous deux coprésidents du jury du Grand Prix de la Good Économie, livrent leurs impressions sur l’édition 2023 de ces trophées et leurs actualités riches dans leurs nombreuses activités.
TheGood : Que pensez-vous de cette édition 2023 du jury du Grand Prix de la Good Économie dont vous êtes, Emery et Hélène, les coprésidents ?
Emery Jacquillat : Personnellement, j’ai été impressionné par l’ensemble des dossiers, de très bonne qualité je dois dire, très nombreux également, 68 précisément, c’est impressionnant ! C’est positif, car on voit une diversité de sujets dans l’engagement que prennent les entreprises de diverses tailles. Ça concerne tout le monde, on ne peut pas y couper. Seules les entreprises qui seront capables d’apporter la preuve de leur utilité pour la société existeront dans 10 ans. Parce qu’elles auront la préférence des jeunes talents, des consommateurs, de leurs collaborateurs. Elles seront plus innovantes et plus performantes d’un point de vue économique, mais aussi social et environnemental. L’enjeu est de réconcilier la performance financière avec la performance extra-financière, et c’est justement ce que montrent les entreprises qui ont postulé au Grand Prix de la Good Économie. Je suis très heureux, avec Hélène, d’être le coprésident de ce jury.
Hélène Valade : Plaisir partagé. Ce que j’apprécie particulièrement, c’est de mettre la lumière sur les choses positives. Il y a des choses qui marchent, à nous de les encourager pour qu’elles fassent école. Et je pense que ce bruit-là de la solution, du positif, sera probablement plus efficace que les paroles négatives et décourageantes. Je suis particulièrement marquée par l’état d’esprit angoissé de certaines personnes de la jeune génération. Or, il faut absolument dépasser cette angoisse pour agir.
Emery Jacquillat : Oui effectivement, 2,5 millions d’écoanxieux en France ! Quel est le meilleur remède à l’anxiété ? C’est le passage à l’action ! Et quel est le meilleur lieu du passage à l’action ? C’est l’action collective et donc, c’est l’entreprise ! C’est essentiel d’avoir ce Grand Prix de la Good Économie pour valoriser et pour raconter ces nouveaux récits de la réussite de l’entreprise.
TheGood : Emery Jacquillat, concernant votre casquette de président de la Communauté des Entreprises à Mission : il y a de plus en plus d’entreprises à mission ?
Emery Jacquillat : Oui, ça s’accélère et c’est une bonne nouvelle ! L’engagement des entreprises est une attente forte des citoyens, des consommateurs. D’après notre étude réalisée par la Communauté des Entreprises à Mission avec BVA, 77 % des Français souhaitent que les entreprises s’engagent davantage. Or, il faut un cadre pour l’engagement. Et depuis la loi Pacte, la Société à mission est un excellent cadre pour un dirigeant qui souhaite que son entreprise soit plus contributrice sur les enjeux sociaux et environnementaux. Fin 2022, nous avons dépassé la barre des 1 000 sociétés à mission, un cap symbolique, trois ans après la loi Pacte. C’est un signal positif parce que c’est une démarche qui prend du temps, qui invite toutes les entreprises à réfléchir à leur contribution positive à la société et qui engage. En effet, chaque entreprise à mission doit rendre des comptes, doit modifier sa gouvernance, avec le comité de mission, etc. C’est une dynamique très forte puisque nous étions 88 il y a deux ans ! Depuis 2018, cette association qu’est la Communauté des Entreprises à Mission accompagne les dirigeants qui veulent s’engager sur ce chemin qui n’est pas toujours facile, qui prend du temps, qui est exigeant, mais qui fait progresser l’entreprise. Aujourd’hui, l’enjeu est de passer des entreprises responsables – qui font mieux les choses ou moins mal – à des entreprises qui contribuent positivement à la société et aux grands enjeux du climat, de la biodiversité, et des inégalités. On a tous un rôle à jouer. Et notre mission est de transformer nos modèles économiques. Il y a urgence. Et l’entreprise est probablement le plus puissant levier de transformation de la société.
TheGood : Hélène Valade, la France n’est pas en retard côté RSE, n’est-ce pas ? L’Observatoire de la RSE (ORSE) en est d’ailleurs la preuve, puisqu’il réunit de nombreuses entreprises ?
Hélène Valade : Oui, ça avance vite en ce moment, et notamment en écho de l’opinion public qui a complètement adhéré à ce concept de sobriété. Une étude réalisée par OpinionWay interroge sur la définition des Français du mot sobriété. On s’attendait à des retours négatifs en lien avec la contrainte, des réponses clivées par catégories sociales, et pas du tout. Il y a une charge positive dans ce mot qui n’est pas pris au pied de la lettre, mais qui désigne une volonté de régénération d’un autre système de valeurs fondé sur une plus grande sobriété, moins de gaspillage, sur une attitude et des comportements beaucoup plus respectueux de l’environnement. En écho, en effet, les entreprises accélèrent. On peut toujours dire qu’elles ne vont pas assez vite. La réalité, c’est que beaucoup de choses sont en préparation, dont certaines sont visibles, d’autres n’ont pas encore produit de résultats. Les plans de sobriété, qui ont par exemple été mis en place cette année dans un certain nombre d’entreprises, commencent à produire des résultats assez tangibles et on fait des petits. Parce que cela a permis une acculturation de la sobriété à l’intérieur des entreprises, et notamment concernant une sobriété de l’eau. En ce qui me concerne, étant une ancienne du monde de l’eau, je sais très bien, y compris en France, que cette ressource est menacée par les conséquences du réchauffement climatique et qu’on ne veut pas l’entendre. Nous publions en juillet 2023 un guide sur les éléments de réduction de la consommation d’eau, mais aussi sur les rejets dans les zones naturelles.
TheGood : Emery Jacquillat, vous expérimentez un nouveau modèle d’affaires chez Camif ?
Emery Jacquillat : En 2017, Camif a inscrit dans ses statuts sa mission, et son troisième objectif de mission est de faire de l’économie circulaire son standard. Ça nous a, dès 2017, obligés à revoir l’ensemble des références du catalogue Camif et à nous poser les questions : Comment sont fabriqués les produits ? Comment peut-on faire mieux avec moins ? Fin 2022, nous avons sorti le premier matelas, Timothée, fabriqué à partir de vieux matelas recyclés. C’est un premier pas, mais qui reste au fond basé sur notre modèle traditionnel. En ce moment, nous expérimentons en effet un nouveau modèle d’affaires avec la location, en particulier de meubles enfants. Par exemple, un lit bébé est utilisé trois ans alors qu’il pourrait durer 40 ans ! C’est pour cela que l’on propose aujourd’hui aux jeunes parents de louer nos meubles, afin que ces derniers puissent passer d’une famille à une autre. C’est Camif qui est garant de la qualité de ses produits, fabriqués en France, dont la longévité sera augmentée grâce à ce nouveau modèle. Notre objectif : avoir 300 locataires d’ici la fin de l’année. À titre personnel, j’ai été mandaté par le ministre de l’Écologie pour produire un rapport sur la TVA circulaire. Personnellement, je pense qu’il y a urgence à aligner une fiscalité sur les enjeux de la transition écologique. Il me semble aberrant de taxer de la même manière un produit éco-conçu ou la réparation même de ce dernier par rapport à d’autres qui ont fait trois fois le tour de la planète avant d’arriver chez nous et qui sont fabriqués dans des conditions sociales et environnementales que l’on n’accepte plus chez nous. Nous étudions ces questions pour différents secteurs : le textile/l’habillement, le mobilier, l’automobile. C’est plutôt bon signe que ça bouge même au niveau du gouvernement sur ce genre de mesure, même si ça ne veut pas dire que ça va passer !
TheGood : Hélène Valade, ça bouge aussi du côté de LVMH sur ces questions ?
Hélène Valade : Absolument et je rejoins Emery sur le fait que la régulation doit accompagner ce mouvement. Et d’ailleurs, cette dernière est foisonnante en ce moment avec la loi sur l’économie circulaire, en pleine application puisque les décrets sont sortis, celle sur l’affichage environnemental, sur la circularité, sur l’éco-conception des produits. Ce sont des aiguillons extrêmement importants. Je suis d’accord aussi sur cette seconde vie à donner à l’ensemble de nos produits. Concernant LVMH, il se trouve que, par définition, les produits de luxe durent et se passent de génération et génération. Nous nous sommes posé la question de ne pas entrer dans une logique de seconde main – dont on connaît les effets rebonds qui ne sont pas positifs – mais dans celle de la seconde vie (et même troisième ou quatrième). Comment prolonger, le plus longtemps possible, à la fois la manière dont il est fabriqué, mais aussi dans la manière dont il peut être réparé ? L’ensemble des Maisons qui composent LVMH a des services de réparation extrêmement sophistiqués pour leurs produits. Je trouve que cela va dans le bon sens parce que LVMH exerce une capacité d’influence et d’entraînement qu’il faut savoir mettre au service de la transition et je suis très heureuse de cela. Nous venons également de signer un partenariat pour « utiliser » sa réserve de biodiversité qui est à une heure à peine de Paris, afin de dispenser de la formation à l’ensemble des collaborateurs de LVMH. Ce n’est pas de la sensibilisation, car il faut aujourd’hui aller chercher les nouvelles expertises, les nouvelles compétences nécessaires à la transformation des métiers dans un lieu magnifique qui reconnectera à la nature dont on a besoin pour penser différemment le changement et les modèles, c’est-à-dire dans une alliance d’un genre nouveau avec la nature. On va essayer de faire la même chose au sein des pays dans lesquels on est, car il est hors de question que je demande aux équipes d’Asie, par exemple, de venir se former en France. Ces formations vont permettre d’aller dans la profondeur des métiers : apprendre l’éco-conception, apprendre à sourcer de manière responsable l’ensemble de nos produits. Et c’est enthousiasmant pour les équipes parce que ça redonne du sens à son métier, mais aussi à sa contribution à la société.