The Good : Submersion, érosion… La situation de l’Ile de Ré est-elle désespérée ? L’île et ses habitants sont-ils condamnés ?
Lionel Quillet : La situation n’a jamais été désespérée. Le changement climatique est là, nous avons pris la mesure de ce qui s’annonce. Nous avons considéré les données les plus défavorables du GIEC pour agir. Contre la montée des eaux, nous avons surélevé nos digues et nous travaillons sur les modifications nécessaires du territoire.
La véritable préoccupation concerne les événements climatiques, car les eaux sont alors au-dessus des remontées climatiques et les tempêtes occasionnent de gros dégâts sur les dunes.
Nous devons être créatifs. En plus des ouvrages collectifs de lutte contre la submersion et de lutte contre l’érosion, nous devons considérer les cas individuels car il reste des maisons qui ne peuvent pas être protégées par des réalisations collectives. Nous développons alors une protection individuelle, tout en sachant que nous n’atteindrons jamais le risque zéro. Nous avons mis en place un dispositif de réduction de la vulnérabilité des habitations dans le cadre duquel nous accompagnons et aidons les propriétaires des habitations les plus vulnérables.
C’est tout un territoire qui s’est mis en action depuis Xynthia (2010), où un énorme travail en termes de défense des côtes a été réalisé. La gouvernance est très importante – il faut mettre les moyens et une politique forte a permis d’accompagner un territoire précurseur qui va amener des solutions qui, je l’espère, bénéficieront à tout le monde
The Good : Est-ce que tous les efforts que vous faites, et que nous détaillerons ensuite, si vous le voulez bien, se font envers et contre la nature ?
Lionel Quillet : Non ! Nous travaillons avec la nature et dans le respect de celle-ci. Il y a des endroits qui ne sont pas défendables car la nature y a repris ses droits. On ne lutte pas lorsqu’il s’agit de marais ; de zones humides sur lesquelles il n’y a pas d’enjeu autre que l’espace naturel. Si l’évolution des marais en eau est intéressante pour la nature, nous n’avons pas lieu de lutter.
Mais il y a d’autres configurations où nous pouvons l’accompagner. Il y a des reprofilages qui sont extrêmement efficaces. Il y a des endroits où le sable s’en va et d’autres où il arrive… notre travail consiste à étudier ces transferts de sable pour voir comment les recapter. Sur d’autres sites, nous devons défendre nos sauniers et protéger nos zones naturelles. Dans ce cas, nous pouvons envisager de canaliser les choses et de les faire évoluer.
Nous sommes dans la résilience. Mais dans la résilience positive. La résilience d’abandon n’est consentie que si vraiment il n’y a pas de solution. Et aucun enjeu.
The Good : Quel avenir peut-on dessiner pour la réserve naturelle de Lilleau des Niges ?
Lionel Quillet : Elle correspond à un projet de gestion d’une zone naturelle confiée par l’Etat à la LPO – qui veut dire que si elle évolue dans le sens d’une zone humide, il faut laisser faire. Cependant, une levée, qui ne fait pas partie du système d’endiguement, existe et l’Etat a autorisé la Commune a effectué des travaux pour colmater des brèches intervenues après les grandes tempêtes de l’hiver 2023.
Rien n’est condamné sur notre territoire. Il est toujours possible d’intervenir, mais c’est de l’argent public et il convient d’être raisonnable.
The Good : Submersion ou d’érosion… quels sont vos axes d’action prioritaires en vue des dangers les plus imminents qui guettent l’Ile de Ré ?
Lionel Quillet : L’île de Ré est évidemment soumise au risque de submersion marine avec ses 107 km de côtes. Mais ses 66 km de digues sont autant de remparts contre. L’île a été travaillée, fabriquée par ceux qui l’ont habitée et la liaison entre les trois îles de Loix, Ré et Ars a été faite par les anciens. Contrairement à d’autres îles, comme Oléron par exemple, l’île de Ré est davantage concernée par le risque submersion que par celui de l’érosion. On peut évaluer qu’environ 65% du territoire a un risque submersion et le reste, plutôt un risque lié à l’érosion avec ses 19km de dunes et 11km de falaises.
Après la tempête Xynthia de février 2010, comme je vous l’indiquais tout à l’heure, un énorme travail en termes de défense des côtes a été réalisé. Il a porté sur la lutte contre la submersion, effectué dans le cadre du premier « Programme d’action de prévention des inondations » (PAPI) fixé par l’Etat. Dans ce cadre, la Communauté de commune de l’île de Ré gère les grands programmes de remise en état des digues et autres ouvrages essentiels dans notre lutte contre la submersion. L’autorisation de faire des travaux qui nous a été accordée dans le cadre des PAPI ne concerne que l’existant. Nous reprenons les digues, les surélevons, les rendons plus compact mais le principe d’un PAPI est que nous ne créons pas de digues : il faut travailler sur l’existant.
L’île de Ré a été précurseur puisque notre projet a été le deuxième projet labellisé en France en 2012. Cette avance nous a déjà permis de réaliser des travaux conséquents à hauteur de 65 millions d’euros, c’est-à-dire d’opérer l’essentiel de la remise en état des digues. Nous avons 66 km de digues réparties en quatre types : les digues maçonnées (21 km), les digues en enrochements (25 km), les levées de terre (20 km) et les gabions (150 m).
Nous avons a repris toutes les digues stratégiques à Saint-Clément-des-Baleines, à la Flotte, à La Couarde-sur-Mer, à Loix, à Rivedoux-Plage, etc.
The Good : Avez-vous achevé ce programme et assuré la protection complète de l’île ?
Lionel Quillet : Il nous reste un grand projet à mener qui est celui de la digue intérieure du Fier d’Ars, qui concerne les communes des Portes-en-Ré, d’Ars-en-Ré et de Saint-Clément-des-Baleines. Cette consolidation va représenter une enveloppe de 35 millions d’euros. La distance à traiter est très importante, on parle ici de 7 kilomètres, avec des contraintes environnementales très fortes. Le projet a été validé par l’Etat en 2020, dans le cadre du PAPI 2. Le principe a été acté. La suite est dans les mains du Département car c’est lui qui est maître d’ouvrage. Nous attendons le résultat des études. Il y aura certainement une discussion intense sur le financement du projet et en particulier de ses surcoûts, mais le gros du projet est décidé.
Une fois ce projet concrétisé, nous aurons assuré une protection complète de l’île de Ré face au risque submersion pour un coût global et final de plus de 100 millions d’euros financés par l’Etat et les collectivités territoriales.
The Good : Comment travaillez-vous sur le sujet de la lutte contre l’érosion ?
Lionel Quillet : L’érosion est moins prioritaire que la submersion, qui peut entraîner un risque humain. Mais l’érosion, à terme, va poser de véritables problèmes de disparition des espaces naturels et d’activités économiques, comme la saliculture, et menace les infrastructures comme les routes. Mais travailler sur la gestion du trait de côte est plus complexe que de travailler sur la submersion car il n’y a pas de procédure établie, et nous avons besoin de l’accord de l’Etat pour entreprendre tout chantier.
L’Etat a fixé des procédures et des cofinancements sur les travaux liés à la submersion, mais rien encore sur l’érosion. Il s’est arrêté à la défense des personnes et les priorités se sont rallongées avec les phénomènes d’inondation : un quart du territoire national est en zone inondation. C’est un enjeu prioritaire qui a dépassé les 10 milliards d’euros. Le coût de la construction de protections en dur est estimé à plus de 8, voire 10 milliards.
L’étude préalable au lancement de notre plan érosion n’est pas tout à fait achevée. Elle sera présentée au printemps 2025 et sera soumise à l’Etat pour validation. Nous sommes confrontés à de gros défis mais nous suivons l’évolution de notre trait de côte grâce à notre observatoire du littoral que nous avons créé en 2013.
The Good : Comment allez-vous combler ce vide de procédures et de financement ?
Lionel Quillet : Comme nous avions un temps d’avance sur les PAPI, nous avons pu travailler sur ce sujet et nous avons fait une proposition sur trois axes :
Le premier est le financement. C’est nous, Communauté de communes, qui financerons les travaux de lutte contre l’érosion via l’écotaxe. Cette taxe pour la protection environnementale est perçue au niveau du pont qui relie le continent à l’île. Elle représente des recettes d’environ 15 millions d’euros par an mais près de la moitié de celles-ci servent aux investissements et à l’entretien liés à l’ouvrage. Le reste est réparti entre le Département et la Communauté de communes et permet aujourd’hui de financer les actions de protection de la nature, le développement des énergies renouvelables, des pistes cyclables, etc.
Le deuxième axe est la gouvernance. Normalement, la charge de ces travaux revient aux communes. Mais face à cet immense défi, nous nous sommes mis d’accord pour que ce soit la Communauté de communes qui prenne en charge la gestion du trait de côte. La gestion du trait de côte et la remise en état de tout ce qui est dunes et falaises représente un budget de plus de 20 millions d’euros.
Le troisième axe est le problème technique. Nous avions déjà lancé en 2013 un observatoire du littoral sur l’érosion après le passage de Xynthia. Nous avons donc déjà plus de 10 ans d’étude du trait de côte ; de son évolution, et, grâce au travail mené, nous sommes en capacité de savoir ce qu’il faut faire. Nous avons des cartes d’érosion à court et moyen terme. Cela nous a permis de travailler sur un projet et de faire des propositions techniques.
Le projet de lutte contre l’érosion que nous allons proposer aux services de l’Etat, au printemps 2025, concernera l’ensemble de l’île avec une cohérence à l’échelle du territoire.
The Good : Comment lutte-t-on contre l’érosion ? Quelles sont les pratiques en la matière ?
Lionel Quillet : Il y en a beaucoup. L’arsenal classique passe par le ré-ensablement des dunes, la pose de ganivelles et le reprofilage. Nous allons également travailler sur le captage de sable et les plantations. Nous avons entamé une collaboration avec l’ONF il y a 13 ans de cela. Nous leur consacrons un budget pour travailler sur nos dunes et notre trait de côte.
En parallèle des actions classiques, nous tentons de nouvelles choses. Actuellement, nous lançons un projet qui a été validé par l’Etat, sur les récifs naturels d’huîtres pour casser l’énergie de la houle. Nous poursuivons notre avancée et nous sommes suivis de près par les services de l’Etat car les solutions que nous développons peuvent être duplicables.
The Good : Savez combien de terrain vous allez finalement devoir abandonner à la nature ?
Nous avons fait toutes les prévisions en fonction du GIEC et nous avons maximisé le risque – nous avons pris les hypothèses les plus défavorables et nous les avons adaptées à notre territoire. Nous avons travaillé sur un objectif, au niveau submersion, à 2100, et, sur l’érosion, nous sommes partis parti sur les hypothèses dépassant 2050, car érosion va très vite si on ne fait rien.
L’érosion est très évolutive en fonction des actions menées. Si nous menons nos actions telles que prévues, la surface de territoire perdue sera de moins de 11%, mais il y a une discussion qui est compliquée sur les zones humides. Si on ne considère que la carte terrestre, cette perte représente moins de 1,5 % de l’ensemble du territoire.