05/06/2023

Temps de lecture : 4 min

« Le facteur humain au cœur des transitions écologiques » Loïc Quénault (Pixelis)

Chassez le naturel, il revient au galop... Comme toutes les expressions populaires, celle-ci porte un sens qui nous concerne tous : il ne suffit pas de vouloir changer pour y arriver ! Car nous savons bien que nous devons changer : à l’heure actuelle...

(contenu sponsorisé) Chassez le naturel, il revient au galop… Comme toutes les expressions populaires, celle-ci porte un sens qui nous concerne tous : il ne suffit pas de vouloir changer pour y arriver ! Car nous savons bien que nous devons changer : à l’heure actuelle, c’est un enjeu de survie. Au sujet de la crise écologique mondiale, le GIEC parle désormais de retombées cataclysmiques avec un effet d’emballement incontrôlable. Alors que fait-on ? Est-ce que l’on continue de débattre pour savoir qui a raison ? Est-ce que l’on s’en remet à l’effet colibri, ou à la volonté de nos gouvernants ? Il est temps de se mobiliser collectivement pour faire évoluer durablement nos comportements.

S’il est difficile de se changer soi-même, c’est à cause de la puissance des automatismes ancrés dans nos schémas mentaux et dans notre corps. Essentiels à notre survie, ces automatismes nous permettent d’agir rapidement, notamment face au danger, et de coopérer facilement. Changer ses habitudes, c’est donc en quelque sorte lutter contre soi, c’est choisir de se perturber dans l’espoir que quelque chose de meilleur advienne.

Mode mental automatique ou intelligence adaptative

Les sciences cognitives ont pour but de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau humain, et d’identifier ce qui influe dans sa prise de décision, ses habitudes et pratiques. Ce qu’on sait, c’est que notre pensée suit deux systèmes. Le premier est le mode mental automatique : une pensée de court terme, binaire, adaptée à un environnement stable et prévisible, qui répond au besoin d’autonomie et de rapidité face aux dangers. Le second système est l’intelligence adaptative : une pensée qui fait appel à des capacités de vision long terme et systémique, à la créativité et l’agilité mentale. Moins spontanée, cette intelligence nécessite un apprentissage et une activation volontaire. C’est elle qui peut nous aider à résoudre les défis qui nous sont actuellement posés.

Pour mieux comprendre le facteur humain, un rassemblement international de chercheurs s’est créé : l’International Panel on Behavior Change – Groupe International Interdisciplinaire pour l’Évolution des Comportements (IPBC-GIECo). Il vise à accroître le savoir pour améliorer l’action. Comme l’explique son président Jacques Fradin, médecin et consultant cognitiviste et comportementaliste, « on ne peut piloter efficacement sans voir et comprendre ce que l’on fait, ni sans savoir où l’on va ». Pour Stéphane La Branche, sociologue et coordonnateur scientifique du GIECo, « travailler sur le facteur humain, c’est tenter de comprendre toute la beauté du foisonnement, des aspects aléatoires et récurrents du fonctionnement de notre psyché […]. C’est bien plus compliqué que de comprendre le fonctionnement de molécules dans l’atmosphère ! Comprendre le « facteur humain » représente un immense défi intellectuel, éthique, disciplinaire, méthodologique. » 

Mieux se connaître pour mieux agir

Cette connaissance approfondie du facteur humain est à la base du design cognitif, un type de design visant à faire changer nos comportements pour le meilleur. Un exemple bien connu est le nudge, un type de facilitation cognitive capable d’influer très fortement sur des comportements. Le don d’organes, par exemple, est passé de 10% à 70% en inversant « la charge de la preuve », c’était-à-dire en considérant chaque individu comme donneur par défaut, sauf mention contraire. Dans ce cas, le nudge facilite l’ajustement entre le désir et l’acte, puisque 90% des gens se disent favorables au don d’organes dans les sondages. Le même genre d’observation a été fait sur de nombreux autres sujets, désormais bien connus mais très contre-intuitifs avant d’avoir fait l’objet d’études et d’expérimentations.

Dans le domaine de la pédagogie aussi, la recherche sur le facteur humain se révèle très éclairante. Divers travaux sur les comportements de domination ou de soumission laissent penser que la pédagogie de l’excellence marche mieux avec les sujets à tendance dominante, alors que celle de l’apprentissage par l’erreur (notamment celle des autres) convient davantage à tous. Nos modes d’apprentissage, dans les écoles ou les entreprises, induiraient-ils des comportements dominants : attitude impulsive, individualiste, démonstration de puissance ? Changer de modèle pédagogique selon les principes du design cognitif permettrait alors de développer « industriellement » les qualités d’empathie, de générosité et de coopération. Grâce à la recherche, on comprend mieux le fonctionnement humain, et grâce au design cognitif, on conçoit de meilleures pratiques et institutions, dans tous les pans de la société.

La transition écologique au prisme du facteur humain

Appliquées à nos pratiques environnementales, les études sur la pédagogie montrent que les approches par les sens et les projets sont plus efficaces que les approches cognitives. Cela pourrait expliquer que nous soyons informés du danger, mais que nous ne passions pas à l’action. Cette tendance est corroborée par un autre phénomène : l’appât du gain motive moins que l’aversion à la perte, d’autant plus si le gain paraît lointain et incertain et l’effort de changement immédiat. C’est lié au fait que la peur de la perte mobilise le mode de pensée automatique alors que l’envie d’explorer de nouvelles habitudes suppose de résister au connu puis de se mobiliser pour réfléchir, explorer, prendre des risques (intelligence adaptative).

Ces études du facteur humain nous montrent la voie pour mieux concevoir et orienter le changement de nos comportements face à la crise écologique. Comme l’explique Stéphane La Branche, « la crise écologique est surtout une crise de l’imagination : imagination de nouveaux comportements, de nouvelles envies, valeurs et institutions, de nouveaux fonctionnements économiques, politiques et sociaux. Face aux freins à ces changements, il nous faudra beaucoup d’intelligence et de créativité, mais aussi de la volonté afin de passer à l’action. » Libérons le pouvoir de l’intelligence adaptative !

Le facteur humain est la clé de coûte de la transition écologique, mais pas que : elle peut aider à concevoir la transition numérique, démocratique ou économique … Il est essentiel à une société fonctionnelle, équitable et apaisée. Quand on sait qu’il peut suffire de 21 jours pour créer une nouvelle habitude, on est tenté de revoir tous nos comportements à la lumière de ce savoir … Pour, enfin, leur donner la direction d’un avenir durable.

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