En 2020, la responsabilité solidaire des entreprises n’aura jamais autant fait de bruit. Si la transition ESS est au menu officiel des politiques privées comme publiques, la crise Covid-19 leurs aura donné l’occasion d’être effective, et c’est tant mieux. Mais pour combien de temps ? En pleine 5ème édition du Mécènes Forum, on s’interroge sur la pratique du mécénat, son sens, et son inscription dans la transition de nos modèles et la crise actuelle. Au menu : déconstruire les idées reçues.
Avec l’urgence climatique en tête, le social et le solidaire ont tendance à rester dans l’ombre de cette révolution durable de nos modes de vie, de production et de consommation. Pilier essentiel de la restructuration de nos sociétés lourdement inégales, le solidaire doit pourtant être pris à bras le corps par tous et toutes. Depuis le premier confinement, nombreuses sont les entreprises qui ont su se montrer solidaires avec les moins chanceux et manifester leurs intentions via des actions concrètes. La recette semble simple : du temps, et/ou de l’argent. En cette deuxième période de confinement, alors que la crise continue de creuser les inégalités sociales, l’acteur historique du développement du mécénat Admical organise ce jour et demain la 5ème édition de son Mécènes Forum. Intitulée « Le mécénat au défi de la crise », cette rencontre entre acteurs de tous bords et toutes tailles promet de mettre en lumière l’impact réel et positif de cette solution de solidarité en temps d’urgence.
Différent du sponsoring ou de l’investissement, le mécénat est un don (en argent, en nature (don de produits) ou en compétences), d’une entreprise ou d’un particulier, à une activité de n’importe quel domaine, du social à la recherche en passant par la culture, l’éducation, la santé, le sport, l’environnement, etc.
En s’intéressant à cette notion et à la manière dont l’esprit collectif la perçoit, on observe que de nombreux préjugés noircissent son tableau vert. Le mécénat, la philanthropie, ne sont-ils pas une affaire de gros portefeuilles cherchant à montrer patte blanche et à payer moins d’impôts ? Figurez-vous que pas du tout. En se renseignant, on apprend que le mécénat n’est pas un acte réservé aux riches ou aux très grandes entreprises : 96 % des entreprises mécènes sont des TPE ou des PME. En France, il est encouragé et encadré par de nombreux dispositifs légaux. Véritable outil stratégique, il est encadré et encouragé par un dispositif fiscal, dont Admical est à l’origine, et dont s’inspirent aujourd’hui de nombreux pays. Le texte de référence est la loi du 1er août 2003 dite « Loi Aillagon » qui permet notamment aux entreprises et aux particuliers de déduire respectivement 60 % et 66 % de leurs dépenses de mécénat de leurs impôts, sous certaines conditions.
Loin d’être un chèque lancé aux pauvres par un PDG du haut de sa tour d’argent, le mécénat connaît bien des évolutions et voit ses formats prendre des formes de plus en plus engageantes et étendues sur le long terme. Mais comment cet engagement peut-il s’inscrire dans une transformation durable de la culture de l’entreprise ? Le mécénat peut-il vraiment être un levier de transformation vers un nouveau modèle ? Quel rôle pour les mécènes dans la crise Covid-19 ? Quel avenir pour l’engagement sociétal des entreprises aux vues de la crise sociale et économique actuelle ? La situation a-t-elle été un facteur déclencheur vers plus d’engagement sociétal pour les entreprises ?
Depuis 2016, Admical organise le Mécènes Forum : un rendez-vous annuel dédié au développement du mécénat pour toutes les entreprises désireuses de s’engager. Pour apporter quelques réponses à ces questions, rencontre avec Léo Gaudin, directeur du développement Admical.
The Good : En 2020, en quoi le mécénat est-il porteur de sens et comment s’inscrit-il dans le parcours de transition écologique sociale et solidaire des entreprises ?
Léo Gaudin : Au-delà d’être un pourvoyeur d’emploi et un créateur de richesses économiques, l’entreprise se doit dorénavant d’agir en respectant l’environnement, en se questionnant sur le bien-être de ses salariés, en prenant en compte nombre de considérations sociales, bref, en opérant une réelle transition écologique, sociale et solidaire. Le mécénat est un outil formidable pour y arriver, et c’est en cela qu’il est plus que jamais porteur de sens en 2020. Avec le développement de la RSE depuis plusieurs années maintenant, à l’heure des réflexions sur la raison d’être, du développement incroyable des entreprises du monde de l’ESS, de l’avènement de nombreux labels comme le B Corp, les entreprises à mission… il est clair que l’entreprise de 2020 a bien compris qu’elle devait aller bien au-delà de son simple et unique rôle capitalistique. Elle a compris que pour être elle-même en bonne santé, elle se devait d’agir dans un environnement en bonne santé, prenant en compte l’ensemble de ses parties prenantes.
Le mécénat permet tout simplement de participer activement à cela, et de créer du lien social entre des populations qui ne se parlaient pas ou peu il y a encore peu de temps (entreprise, associations, pouvoirs publics, citoyens). Le vrai vivre-ensemble commence par « faire » des choses ensemble, et le mécénat y participe clairement.
The Good : Quels acteurs présents parmi cet événement illustrent au mieux « Le mécénat au défi de la crise » ? Comment ?
L.G. : La philanthropie des particuliers et le mécénat des entreprises ont très souvent joué leur rôle face aux crises. Qu’elles relèvent d’une catastrophe naturelle (Tsunami de 2004 ou le séisme d’Haïti de 2010), d’un accident industriel (explosion portuaire à Beyrouth cet été, l’incendie de Notre-Dame en 2019), des ravages d’une guerre, ou d’une crise sanitaire, puis sociale et économique comme celle que nous traversons avec le COVID-19, les mécènes répondent très souvent présents pour pallier l’urgence des crises. C’est ce que nous avons constaté une fois de plus cette année : entreprises et particuliers se sont mobilisés en masse pour soutenir le monde associatif, le personnel soignant, les acteurs de la recherche, venir en aide aux populations les plus vulnérables… Nous avons pu voir un véritable élan de solidarité et de générosité. Chacun a joué son rôle : l’intérêt général est soudainement devenu la finalité du politique (Etat et acteurs et services publics et territoriaux au premier plan), les acteurs associatifs et l’ensemble des métiers relevant du « bien commun » en première ligne, mobilisation générale des particuliers et de l’entreprise pour «contribuer » et participer à l’effort collectif…La hiérarchie des priorités et le rapport à l’autre et au collectif se sont profondément et durablement modifiés.
En ce sens, il est difficile de citer un tel ou un tel tant la mobilisation a été générale. Parmi ceux présents au Mécènes Forum 2020, nous pouvons évoquer de grands acteurs associatifs qui ont été en première ligne : Samu Social de Paris, Secours Catholique ; des mécènes engagés : la Fondation Sanofi Espoir, les Fondations Edmond de Rothschild, BNP Paribas et le Groupe AXA, qui agissent respectivement sur les volets de la santé, des arts, de l’éducation et de l’entrepreneuriat social, de la culture, de la recherche et de l’environnement ; des entreprises innovantes qui ont su inventer de nouveaux modèles comme : C’est qui le Patron ?!, Biocoop ; des initiatives collectives à l’échelle territoriale : Break Poverty Foundation, L’entreprise des possibles, Bordeaux Mécènes Solidaires, et bien d’autres encore comme la Fondation SNCF, la Fondation Total, la Fondation Daniel & Nina Carasso, l’agence Assemble, etc.
The Good : La politisation et la conscientisation des entreprises sur les questions du Good les amènent à repenser leurs actions et à s’engager davantage. Depuis l’arrivée de cette crise actuelle, et aux vues de vos 4 précédentes éditions, quelles évolutions des comportements des entreprises sur le sujet du mécénat avez-vous pu observer ?
L.G. : Comme l’entreprise elle-même, le mécénat est quelque chose de mouvant. Les pratiques changent. Depuis une vingtaine d’années maintenant que le budget global du mécénat est en constante hausse chaque année (hormis le ralentissement lié à la crise financière de 2008), nous nous apercevons que les domaines d’interventions dans lesquels les mécènes s’engagent le plus changent. Historiquement, c’est la culture qui était en tête, et nombre de mécènes ont commencé par « investir » ce champ d’action. Mais, contrairement aux idées reçues, c’est désormais le social qui remporte le plus de suffrages auprès des mécènes. Nous avons pu observer une réelle transition suite aux crises sociales des banlieues en 2005 et à la crise financière qui a suivi.
Le Covid-19 nous montre que les domaines de la santé et de la recherche, historiquement des « parents pauvres » du mécénat, pourraient subir le même sort. Beaucoup d’entreprises se sont rendu compte cette année que cela faisait beaucoup de sens par rapport à qui elles étaient de s’engager fortement et durablement dans ces milieux. Et, bien sûr, au-delà des domaines eux-mêmes, les pratiques changent elles-aussi. De plus en plus de mécènes souhaitent combiner des soutiens financiers, en compétences et en nature, apporter à leurs bénéficiaires un accompagnement 360°, adapté aux besoins de ses interlocuteurs.
Le mécénat va bien au-delà d’un simple chèque. Les mécènes veulent désormais être proches des projets qu’ils accompagnent, et beaucoup s’interrogent sur la mise en place d’accompagnement dans la durée. Nous quittons petit à petit les partenariats « one shot » pour des projets à moyen/long-terme. La question de l’implication des collaborateurs est devenue centrale chez nombre d’entreprises mécènes : de nombreux salariés attendent désormais de la part de leur entreprise la possibilité de s’engager pour des causes d’intérêt général, et de se faire une passerelle intelligente, un facilitateur dans la mise en relation avec des acteurs associatifs pour contribuer. Sur ce volet, attention à toujours garder en tête l’objectif premier et unique du mécénat : contribuer à une cause de l’intérêt général (!). Chez Admical, nous croyons par ailleurs que le mécénat de demain se jouera en régions, auprès des ETI, des PME et des TPE, qui constituent un vivier d’entreprises mécènes en devenir et un potentiel de développement incroyable pour le mécénat. Les GE doivent continuer de jouer leur rôle de locomotive (elles représentaient 57% du budget total alloué au mécénat en 2018), mais les entreprises de plus petites tailles ont un rôle déterminant à jouer dans la contribution au rayonnement et au dynamisme des territoires sur lesquels elles évoluent. Et pour cela, le mécénat peut être un formidable outil. Surtout lorsqu’il est pratiqué de manière collective à l’échelle d’un territoire, ce à quoi nous sommes très sensibles chez Admical.