Chercheur en économie écologique à la School of Economics de l’Université de Lund en Suède, Timothée Parrique vient de publier le 16 septembre aux éditions du Seuil l’essai « Ralentir ou Périr ». Il explique comment la sortie de crise où décroissance sert l’égalité et la survie et non la récession et le chômage. Il nous explique pourquoi il est grand temps de prendre la décroissance au sérieux.
The Good : Ralentir ou périr et pas « Arrêter ou périr »? Ralentir est-ce suffisant pour répondre à l’urgence ?
Timothée Parrique : Une économie dans son ensemble ne s’arrête jamais, mais il va en effet falloir renoncer à certaines activités (les SUVs, la publicité, la bourse, les jets privés, etc.). D’autres choses vont devoir ralentir (le nombre de kilomètres parcourus en voiture, les mètres carrés à chauffer, la quantité de viande que l’on consomme, etc.) et d’autres encore vont devoir accélérer, par exemple les énergies renouvelables, les rénovations thermiques, les monnaies alternatives, les réseaux de réciprocité. Le résultat de cette grande transition que je décris dans le livre serait une économie plus petite et plus lente.
The Good : Comment les entreprises doivent-elle repenser leur développement si ce n’est pas vers un modèle de croissance ?
Timothée Parrique : Au lieu d’entreprendre, d’investir, de produire et d’innover pour les profits, faisons-le pour le bien-être. C’est un changement radical de paradigme. Au lieu de chercher à faire croître le chiffre d’affaires, il faudra améliorer les performances sociétalo-écologiques des entreprises. Nos besoins sont finis et répondent à des seuils de satiété : assez de nourriture pour un régime sain et gourmand, un accès suffisant à la santé en cas de maladie, une infrastructure de transport adéquate permettant d’aller là où l’on veut se rendre, etc. Pourquoi alors organiser nos entreprises (et nos économies d’ailleurs) autour de la poursuite de la croissance ? À quoi bon croître à jamais ? Et quand bien même l’on voudrait absolument faire croître quelque chose, choisir le chiffre d’affaires, le PIB ou les revenus est une piètre stratégie de développement.
The Good : Est-ce qu’il faut changer le système de création de valeur et de définition même de ce qu’est la valeur au sein de l’entreprise ?
Timothée Parrique : Oui et pas seulement au sein des entreprises ! Il faut aussi redéfinir la valeur au sein des communes, des régions, des associations, et des gouvernements. On doit abandonner la monomanie de la richesse financière pour lui remplacer une vision plurielle de richesses économiques, sociales, et écologiques.
The Good : Que pensez-vous de la comptabilité écologique ?
Timothée Parrique : La comptabilité constitue le logiciel de fonctionnement des entreprises. Les indicateurs qu’elle utilise permettent aux entreprises de définir leur relation avec leur environnement, dont la nature. Aujourd’hui, cette nature est invisible dans la comptabilité traditionnelle et donc il ne faut pas s’étonner que de temps en temps, des entreprises détruisent des écosystèmes. Les entreprises qui ne font que compter les euros sont des éléphants aveugles qui écrasent des choses d’une valeur inestimable sans pouvoir même les voir. Raser une forêt riche en biodiversité et en services écosystémiques pour vendre du papier ou construire un centre commercial constitue de la « croissance » au sens de la comptabilité nationale, un chiffre d’affaires sur les tableaux Excel d’une entreprise, mais c’est en réalité une croissance anti-économique, une activité contre-productive qui génère plus de coûts que de bénéfices.
The Good : Etes-vous optimiste concernant la capacité des organisations publiques et privées à travailler ensemble pour l’intérêt général ?
Timothée Parrique : Pessimisme de la raison, optimisme de la volonté, comme disait Antoni Gramsci. Aujourd’hui, il faut s’inquiéter. Nous faisons face à une crise sans précédent dont la résolution est déjà une question de vie ou de mort pour une partie de l’humanité, les plus pauvres qui se retrouvent en première ligne de l’effondrement écologique. Il faut se projeter dans le pire pour pouvoir l’éviter. Mais il faut aussi garder en tête que toutes les règles de nos sociétés et de leurs économies sont des constructions sociales – un peu comme un grand jeu de Monopoly géant. Tout ce qui a été socialement construit peut-être socialement déconstruit – il ne faut donc jamais tomber dans l’impossibilisme social. Les véritables contraintes sont écologiques.
The Good : Vous écrivez : « Nous n’avons pas besoin d’économistes dociles qui agissent en gentils plombiers du capitalisme, mais d’architectes d’économies alternatives. Fini les réparations, en avant la conception. » Comment doivent réagir les organisations ?
Timothée Parrique : Quelle soit publique ou privée, une organisation qui cherche à constamment accumuler de l’argent finira tôt ou tard par dégradé des communautés ou des écosystèmes. Nous avons besoin de sortir du noir et blanc du capitalisme versus communisme, privé versus public. Le problème, c’est l’idéologie de la croissance et son productivisme destructeur. Du côté des concepts, les modèles abondent : l’économie participaliste, l’économie du bien-être, l’économie du donut, l’économie du bien commun, l’économie permacirculaire, la démocratie économique, le socialisme participatif et l’écosocialisme. Le chantier est vaste mais les idées ne manquent pas : une économie convivialiste faite de communes frugales de permaentreprises contributives, et de sociétés relationnelles, animée par un hédonisme alternatif et une poursuite de la résonance, une économie de la low tech avec une culture du travailler moins pour vivre mieux organisée en biorégions misarchiques et en cercles sociocrates selon le modèle du municipalisme libertaire. Il y en a beaucoup d’autres. Chacun de ces concepts est un morceau du puzzle pour nous permettre d’inventer l’économie de demain. Il ne reste plus qu’à les tisser ensemble pour qu’ils fassent système.