Les risques sont majeurs pour l’alimentation en eau potable, l’assainissement, l’alimentation, la production énergétique, mais aussi la production industrielle. Dans le contexte actuel où la qualité de l’eau est une préoccupation croissante, il est essentiel de souligner que la pollution de l’eau est responsable de la mort d’un million de personnes chaque année, un chiffre qui dépasse les pertes dues aux conflits armés, estimées à 220 000 décès annuels. Cette réalité met en évidence l’importance cruciale de la qualité de l’eau, notamment pour des industries sensibles comme celle des semi-conducteurs, où la pureté de l’eau est indispensable à la fabrication de composants. Le risque économique est également majeur puisque 31 % du PIB mondial sera exposé à ce risque de stress hydrique.
Dans un monde où l’eau devient géographiquement une ressource rare, les conflits d’usage vont s’accentuer et la priorité sera logiquement donnée à l’alimentation en eau potable des populations. Le défi de l’eau devient un enjeu politique majeur comme en témoignent les exigences européennes de reporting extra-financier[2] ou le « plan eau » présenté en avril 2023 par le Gouvernement français qui prévoit la réduction de 10 % de l’eau prélevée d’ici à 2030 en France.
L’ensemble des acteurs économiques, notamment les acteurs industriels, doivent intégrer l’enjeu de l’eau dans leur stratégie et leur processus, non pour réduire leurs coûts mais pour assurer leur pérennité et leur responsabilité globale. Le « risque eau » est multiforme : quantité et qualité de l’eau, réputation, respect de la réglementation, non seulement dans le process de production mais également sur l’ensemble de la chaine d’approvisionnement.
Les 2/3 des plus grandes entreprises mondiales déclarent que leur business est touché par le risque « eau ». Les secteurs ayant l’impact le plus important sur l’eau[3], en dehors du secteur agro-alimentaire, sont le textile et l’habillement, les matériaux (mines, métallurgie, ciments, etc.) et la pétrochimie. D’ailleurs, les 12 premiers sites industriels ciblés par le Gouvernement français pour réduire leur prélèvement et consommation d’eau relèvent de ces secteurs.
Le « risque eau » interroge la pérennité même d’entreprises majeures, il est « cœur business ». Il exige donc une approche holistique « 360° » plaçant au cœur de la stratégie de l’entreprise l’impératif environnemental. Pour les entreprises, il existe quatre étapes clés pour mener à bien leur stratégie de gestion du « risque eau ».
- Déterminer l’empreinte de l’eau dans l’ensemble de la chaîne de valeur de l’entreprise. Cette première étape peut sembler simpliste. Pourtant, sans données précises sur l’eau, sans identification des points de vulnérabilité, sans scénarios, il est impossible de prendre des décisions éclairées, de mesurer précisément les risques et de hiérarchiser les objectifs. L’empreinte eau se mesure dans le processus de production, mais également et peut être surtout, auprès de tous les fournisseurs. Le CERES Investor Water Toolkit[4] montre que le « risque eau » dans le secteur agro-alimentaire, du pétrole et du gaz, ou encore des semi-conducteurs est aussi important sur la chaine d’approvisionnement que dans le process de production.
- Evaluer l’opportunité de toutes les actions envisageables. Une deuxième étape clé durant laquelle les entreprises peuvent évaluer les solutions technologiques disponibles, des processus de conception de produits plus sobres en termes de consommation d’eau, des choix d’implantations géographiques dans des zones non soumises au stress hydrique, voire, à terme, l’abandon de certaines activités. S’il est aisé de se fixer des objectifs ambitieux, déterminer une feuille de route efficiente est un défi majeur. Chaque action doit être mesurée au regard de ses résultats potentiels, son coût, sa durabilité ou encore son impact local par exemple.
- Piloter la mise en œuvre opérationnelle de la feuille de route. Pour assurer le succès d’un plan, les entreprises doivent définir un pilotage robuste, en se dotant d’instruments de mesure et de suivi en temps réel de leurs « données eau » afin d’être agiles. Les évolutions majeures des changements climatiques, les contestations du partage de l’eau, l’adhésion des communautés locales sont des paramètres éminemment variables qui exigent donc de s’adapter rapidement.
- Jouer la carte des partenariats et la technologie pour passer à l’échelle. Utiliser des technologies avancées telles que les capteurs, l’intelligence artificielle et les satellites permet d’obtenir une meilleure visibilité sur l’utilisation, la disponibilité et la qualité de l’eau. Par exemple, les compteurs intelligents et les infrastructures connectées dans l’industrie offrent des solutions efficaces. L’irrigation de précision est également cruciale, l’agriculture consommant environ 70 % de l’eau douce prélevée. Les innovations dans le traitement et le recyclage de l’eau, ainsi que la production d’eau à partir de l’air (Atmospheric Water Generation systems), sont des solutions potentielles à long terme pour les défis d’approvisionnement en eau. En misant sur le digital et les nouvelles technologies, et en formant des alliances pour travailler de manière écosystémique, les entreprises pourront trouver des solutions durables.
Le défi est complexe mais des solutions technologiques et innovantes existent. En premier lieu, les données, véritable or noir de ce siècle. Des bases de données permettent d’adresser l’ensemble du cycle de l’eau, de décliner les enjeux pour chaque process, d’identifier les points de fragilités. La conception de jumeaux numériques permet d’intégrer de multiples paramètres pour définir des scénarios et optimiser les solutions. Et les entreprises peuvent capitaliser sur des outils de suivi en temps réel des prélèvements, de la consommation comme de la qualité de l’eau au sein des process sur des paramètres choisis par l’entreprise. Ces solutions, la solution au défi de l’eau réside dans l’alliance entre l’environnement, la technologie et le digital.
La pérennité des entreprises dépendra de leur capacité à développer une approche holistique et écosystémique de l’eau. Une approche holistique car c’est leur stratégie business qui est interrogée. Une approche écosystémique car les enjeux de l’eau différent selon les territoires et les communautés locales. Comme le climat, la transition énergétique ou la biodiversité, l’eau impose l’environnement au cœur des stratégies des entreprises. Plus que jamais la réinvention totale des entreprises et de leurs processus n’est plus une option.
Marie Georges, Sustainability Lead chez Accenture.
[1] World resources Institute, August 2023
[2] Commission delegated regulation supplementing Directive 2013/34/EU of the European Parliament and of the Council as regards sustainability reporting standards, 31th of July 2023
[3] CPD Water Impact Index, 2021
[4] https://www.ceres.org/resources/toolkits/investor-w