Plutôt que de se laisser guider par des découpages administratifs fluctuants, les biorégions visent à épouser les frontières que les écosystèmes dessinent. Une primauté donnée au vivant plutôt qu’aux enjeux économiques et administratifs afin d’enraciner les territoires et de déployer une réelle sensibilité au vivant.
Il suffit de regarder une carte du monde pour saisir l’absurdité de certaines frontières tracées par les humains. De l’Afrique du Nord aux Etats-Unis jusqu’à l’Australie, des quadrillages de lignes droites s’alignent pour débiter des blocs géographiques anguleux. La rigueur parallélique de ces découpages pourrait être une allégorie de notre façon d’appréhender le monde vivant : avec rectitude et verticalité. Car les frontières administratives de nos cartes sont rarement conformes aux frontières naturelles, que ce soit pour des questions coloniales ou épistémologiques – un pays moderne est un pays à la découpe droite. D’autres géographies sont pourtant possibles, et la théorie biorégionaliste nous le montre dans un imaginaire touchant. Ce mouvement américain des années 70 milite pour des frontières prenant en compte les écosystèmes afin de tendre vers une harmonie entre culture humaine et environnement. Pas seulement une écologie du paysage, mais aussi une manière de vivre au rythme des chaînes de montagnes, des sources d’eau et des animaux.
Dessiner la France en fonction de ses montagnes et de ses fleuves
Dessiner des frontières en fonction des caractéristiques locales d’un espace permet de saisir l’unicité de chaque région. À la fois comprendre la diversité de la faune et de la flore, mais aussi la richesse des produits locaux présents nulle part ailleurs. Une biorégion, c’est un territoire fondé sur sa topographie, son biotope et son climat. C’est par exemple le fait de représenter le centre de la France par l’omniprésence et la grandeur de ses volcans, ou d’incarner le sud du pays par le chant bourdonnant des cigales, ou encore de prendre la figure des phoques comme ambassadeurs de la côte littorale nord française. L’idée est de tracer des seuils en fonction de l’écoulement du Rhône ou de la Loire, de définir le point central d’une région à partir du massif des Vosges ou de la forêt des Landes. Une approche résolument écologique qui permet de sortir de notre anthropocentrisme et de créer des milieux de vie qui intègrent animaux humains et non humains. D’autant plus qu’on dénombre trente-deux biorégions sur la planète, c’est-à-dire trente-deux écosystèmes distincts peuplés d’oiseaux, de mammifères, d’amphibiens et de reptiles différents.
De l’ultra-local contre la mondialisation
Mettre le vivant sur le devant de la scène régionale est aussi un moyen de transformer nos représentations politiques de ce qu’est la nature. Pas seulement de belles forêts au cœur desquelles on se ressource, ni des ressources en bois à exploiter pour construire des logements et produire de l’électricité, mais aussi un monde vivant à part entière dont la richesse et la beauté méritent de la visibilité. Créer des biorégions, c’est recréer de la sensibilité à l’égard du vivant, ne serait-ce que par le fait de réaliser les services écosystémiques qui nous sont rendus : la photosynthèse du CO2, l’absorption de la chaleur, la nourriture que nous mangeons. C’est une affaire de sensibilité qui a une réelle épaisseur politique. On met en valeur ce qui est propre à chez soi et on s’écarte des dynamiques marchandes mondialisées. Il y a une volonté d’enracinement et d’autonomie qui dimensionne la vie humaine à une échelle ultra-locale. Car une biorégion peut elle-même se découper en plusieurs biodépartements, lesquels rassemblent des biovillages. L’idée est de déplier à tous les échelons une approche sensible du vivant qui nous entoure.
Le biorégionalisme appliqué aux métropoles
Les grandes villes sont devenues des enjeux considérables tant elles cristallisent nos liens déconnectés de la nature. Habiter la terre dans des sols et des murs de béton a ainsi questionné de nombreux architectes français. Nombreux sont ceux qui aspirent à créer des habitations in situ, c’est-à-dire des logements qui produisent du commun tant avec les espèces animales qu’avec les humains. Pour créer des biorégions urbaines, il faudrait repenser l’urbain en débétonnant radicalement les sols, mais aussi dédensifier les métropoles en décentralisant leurs activités économiques. Une question complexe dans la mesure où le nouveau découpage administratif engagé par François Hollande avait justement pour but de massifier les poches de croissance hexagonale comme le Grand Paris. L’institut Momentum, un think-tank écologiste, a d’ailleurs créé un scénario où l’Ile-de-France est découpée en huit biorégions. Dans cette perspective, les Franciliens deviennent coproducteurs de leur territoire et participent à l’agriculture locale. Une dynamique résolument politique qui intègre des notions de permaculture, de low-tech de de post-croissance. Un mode de vie auquel tous n’aspirent pas, mais qui pourrait tôt ou tard devenir la norme tant les enjeux climatiques et énergétiques de notre siècle sont impérieux et inévitables.